Epictète

Epictète est un des représentants de l'école stoïcienne, la grande rivale de l'école épicurienne, dont le fondateur fut Zénon de Cittium. La particularité de la philosophie stoïcienne est d'avoir traversé les différentes classes sociales. Elle compte un empereur Marc Aurèle, mais aussi cet esclave affranchi que fut Epictète.

Sommaire

Les sources de sa pensée

La vie d'Epictète

Histoire du stoïcisme

Apport conceptuel

Les principales œuvres

Les sources de sa pensée

Epictète est un stoïcien. Le stoïcisme naît avec Zénon de Cittium (335-264 av J.C.) et Chrysippe (280-206 av J.C.). Le stoïcisme d'Epictète est donc un stoïcisme tardif (troisième période). Chez Musonius (le maître d'Epictète), on note, outre le stoïcisme, un retour à l'école cynique qu'Epictète va d'autant plus accentuer que les maîtres du cynisme (Antisthène, Diogène) avaient eux aussi été esclaves.
Il subit aussi l'influence de Socrate et de l'héritage aristotélicien. La pensée d'Epictète naît, non pas de découvertes originales, mais d'une synthèse qui permet de revenir aux sources et de choisir entre elles selon les exigences du présent.

La vie d'Epictète

Epictète est né en Phrygie (Asie Mineure) vers 50 après J.C. et amené à Rome comme esclave d'Epaphrodite, un affranchi devenu grand personnage de la cour de Néron puis de celle de Flavien. Epictète est affranchi à son tour. Il suivait alors les leçons du philosophe romain stoïcien Musonius Rufus. Il commence ensuite à enseigner lui-même le stoïcisme.
Vers 94, un décret de Domitien bannit de la cité tous les philosophes, considérés comme fauteurs de trouble et ennemis de l'Etat. Epictète s'exile à Nicopolis en Epire (Grèce occidentale) où il restera jusqu'à sa mort (vers 125-130) et ceci malgré la faveur des grands et notamment celle de l'empereur Hadrien que son renom de philosophe lui avait attirée.
Epictète à Nicopolis dirigea une école fréquentée par de nombreux disciples, école paradoxale où les maîtres n'avaient de cesse d'inviter les élèves à quitter l'école pour affronter les épreuves de la vie.
Comme Socrate, Epictète ne laissa nulle œuvre et de son enseignement ne nous serait parvenu que la renommée si un de ses élèves, Arrien, soldat et écrivain, n'avait entrepris de transcrire quelques-uns de ses propos et ne s'était décidé à les livrer à la postérité. Nous sont ainsi parvenues les leçons d'Epictète sous la forme d'un "Manuel" (qui contient l'essentiel de la morale stoïcienne), et de huit livres d'"Entretiens" ou "Diatribes" dont nous avons gardé les quatre premiers.
Nous avons quelques idées de ce que fut l'enseignement du maître : la séance commençait par une leçon technique (exercice de logique, commentaire d'un texte de l'ancien stoïcisme) par le maître ou un de ses disciples. Puis Epictète se laissait aller, souvent à l'occasion d'une question, à une improvisation dans un style brillant souvent plein d'anecdotes.
Quand Epictète donne ses leçons, il est libre, affranchi et jouit de sa liberté de pensée, d'autant plus qu'il se trouve en Grèce. Néanmoins son passé servile a dû exercer sur sa pensée une influence décisive. En tant qu'affranchi, il reste privé de certains droits politiques et des légendes racontent que des tortures infligées par son maître l'avaient rendu boiteux. Il lui a donc fallu trouver en lui-même les secours qu'il ne pouvait espérer de la société.
Epictete vivait simplement dans une maison pauvre avec en tout et pour tout un grabat et une lampe d'argile.

Histoire du stoïcisme

1) Le stoïcisme ancien.
Le stoïcisme naît à la fin de l'empire d'Alexandre et s'élabore jusqu'à la conquête romaine. Aux Etats-cités se substituent les empires massifs des successeurs d'Alexandre jusqu'à ce qu'en 146 av. J. C. la Grèce toute entière devienne une province romaine sous le nom d'Achaïe. Privé de son cadre politique, l'individu se découvre dans sa solitude. La question du bonheur individuel devient prépondérante et le seul cadre où puisse s'insérer ce bonheur sera l'univers. Ceci explique à la fois l'individualisme stoïcien (chacun doit faire son salut) et son idéal cosmopolite. Toutes les écoles philosophiques de l'époque affichent le même programme : définir la fin de la vie heureuse et transmettre un art de vivre qui conduise à cette fin.
L'école stoïcienne tire son nom du "portique" (stoa) où Zénon de Cittium (332-262 av. J. C.) réunit vers 300 av. J. C. ses premiers disciples. Stoïcisme et philosophie du Portique sont donc deux appellations équivalentes.
Les deux premiers successeurs de Zénon seront Cléanthe (-322 ?, -232) et Chrysippe (-277, -210). Pendant près d'un siècle, l'école se prolonge sans grand éclat.
Lorsque la Grèce devient une province romaine, c'est Rome qui devient le centre du stoïcisme.

2) Le moyen stoïcisme.
Rome en est le centre et on latinise les noms d'un certain nombre d'auteurs, notamment les deux plus illustres : Panaïtios (Panetius) et Poséidonios (Posidonius).
Panetius (185 , 110 av. J. C.) fut l'ami de Scipion Emilien. Posidonius (135, 51 av. J. C.) vint en ambassade à Rome (-86) et Cicéron alla suivre ses cours à Rhodes. Cicéron, pour se consoler de ses déboires politiques, s'adonnait à la philosophie et présentait à ses concitoyens les grands débats des écoles contemporaines. Ses préférences allaient à l'éclectisme d'Antiochus. Or celui-ci se rapprochait à la fois de l'ancien platonisme, de l'école péripatéticienne et du stoïcisme. C'est surtout pour la morale que Cicéron adhère au stoïcisme. Ailleurs il lui reproche sa rigueur, ses paradoxes.

3) Le stoïcisme impérial.
Le trait dominant du stoïcisme impérial est l'idée que la théorie la plus rigoureuse s'éprouve dans la pratique.
Les trois grands philosophes de cette période sont Sénèque (-4, 65 apr. J. C.), l'esclave Epictète et l'empereur Marc Aurèle, "libre au sein de toute dépendance, sur le trône comme dans les chaînes", comme le dira Hegel.
Tous trois insistent sur la pratique, sur l'application à la vertu, plus essentielle que les subtilités logiques. Ceci explique qu'ils repartitionnent la philosophie :

  • L'ancien stoïcisme comportait une logique (très avancée puisque la logique moderne des propositions s'en réclamera), une physique et une morale.
  • Le stoïcisme impérial, lui, insiste sur la morale. Il reconnaît une dialectique (théorie de la connaissance), une morale théorique et une morale pratique.

4) Postérité du stoïcisme.
L'œuvre d'Epictète, et notamment Le Manuel intéressa très tôt les philosophes. Au VI° siècle, Simplicius le commenta. Boëce (IV° s.) unit très intimement christianisme et sagesse stoïcienne. Montaigne fut influencé, ainsi que Descartes dans sa célèbre morale provisoire. Mais c'est surtout Pascal qui fut profondément impressionné par Le Manuel. Quand Descartes s'interroge sur la morale, il relit Sénèque, quand Pascal va à Port-Royal, c'est Le Manuel qu'il emporte et considère comme le fruit suprême de la sagesse humaine, même s'il n'est pas lui-même stoïcien.

Apport conceptuel

1) Il faut vivre selon la nature.
Pour le stoïcien, la vertu consiste à connaître la nature et à vivre en harmonie avec elle.
a) Connaître la nature.
Pour vivre selon la nature, il faut logiquement d'abord la connaître. Aussi, le stoïcisme repose sur une physique qui suppose elle-même une théorie de la connaissance ou dialectique. La dialectique est seule susceptible de nous apprendre à raisonner correctement. Elle est la science des choses vraies, des choses fausses et des choses ni vraies ni fausses. "Si la présomption et l'ignorance sont des vices, c'est à juste titre que l'on qualifie de vertu cet art qui les supprime." (Cicéron). Il existe donc une vertu logique.
La physique est l'étude de la nature. Celle-ci n'a rien de commun avec celle des romantiques ou de nos modernes écologistes. La nature, c'est l'univers, le monde, la réalité.
Pour les stoïciens, le monde est un grand être unique, un organisme, une sorte de grand vivant constitué par les quatre éléments (air, terre, eau, feu) qui passent l'un dans l'autre. Ils y voient la loi de l'éternel retour c'est à dire l'idée d'un temps cyclique selon lequel au bout d'un bon millénaire ce qui a été redevient.
Pour les stoïciens, ce grand organisme qu'est le monde, ce vivant éternel, n'est rien d'autre que Dieu lui-même. Dieu n'est pas hors du monde.
Les stoïciens croient au fatum c'est à dire au destin. La volonté et l'intelligence humaine sont impuissantes à diriger le cours des événements. La destinée est fixée d'avance et est fixée par Dieu, ordonnateur du monde.
Par conséquent, il n'est pas de liberté d'action de l'homme. La seule liberté est la liberté intérieure : la liberté de pensée. Le monde est un organisme où tout se tient et la vraie liberté consiste à agir selon l'ordre du monde.

b) Vivre en conformité avec la nature.

Quand la nature est connue, il faut vouloir son ordre. La vertu est donc pratique. Elle est une technique et non une contemplation.
Il faut distinguer ce qui dépend de moi et ce qui n'en dépend pas. L'ordre du monde ne dépend pas de moi. Ce qui dépend de moi, c'est mon attitude devant cet ordre du monde : ou je le désire, je participe au monde et je suis vertueux, ou je le refuse, je m'insurge et je suis un fou insensé et malheureux. Le malheur, en effet, est de désirer ce qui ne dépend pas de moi. Il faut désirer l'ordre du monde, s'accorder avec le monde sinon on est insensé et fou. L'homme qui se révolte est un fou misérable car il n'aura pas ce qu'il désire dans la mesure où il désire changer ce qu'il n'est pas en son pouvoir de changer. La sagesse stoïcienne n'est du reste pas une acceptation passive et conformiste de l'ordre de la nature mais bien le vouloir actif de cet ordre.
Il n'y a pas de milieu entre la sagesse et la folie car ou l'on veut l'ordre du monde, ou l'on ne le veut pas. C'est l'un ou l'autre, sans position intermédiaire. Comme la courbe qui se rapproche presque de la droite reste courbe, le fou qui s'approche de la sagesse reste fou. Toutes les fautes sont égales sans gradation car toute faute s'insurge contre l'ordre du monde. Les vertus sont liées et en avoir une, c'est les avoir toutes.
Cependant, la sagesse n'existe peut-être pas. Faute de pouvoir la pratiquer, on peut avoir des conduites convenables. La vertu consiste alors à vivre selon le préférable, le plus possible en accord avec le monde au niveau des actions. C'est la dimension pratique, technique de la sagesse : le calcul du meilleur.
Il faut faire effort sur sa pensée, changer ses opinions plutôt que l'ordre du monde (ce qui exclut la plainte). De ce point de vue, l'anecdote célèbre de la jambe d'Epictète est significative. On raconte que le maître d'Epictète, lorsqu'il était encore esclave, aurait un jour, pour le punir, tordu sa jambe. Epictète lui aurait dit : "Si tu continues, elle va casser." Le maître continua sa torture et la jambe cassa. Epictète lui aurait simplement répondu : "Je te l'avais bien dit". Cette anecdote explique le sens qu'a pris l'adjectif stoïque dans la langue commune mais a surtout un sens philosophique : l'attitude du maître fait partie de ce qui ne dépend pas d'Epictète. Il ne peut donc rien empêcher mais sa sagesse implique non seulement d'accepter mais même de vouloir ce qui va arriver, avec la satisfaction du sage d'avoir prévu ce qui, en fin de compte, arrive. Il faut "vouloir que les choses arrivent comme elles arrivent" dit Epictète. Le seul bien consiste en la conformité des désirs avec la nature. La seule source des maux est dans la rébellion.
Diogène Laërce écrit à propos du stoïcisme : "La vertu de l'homme heureux et le cours bien ordonné de la vie naissent de l'harmonie du génie de chacun avec la volonté de celui qui organise tout." Le sage vit au niveau de l'univers.
Il y a chez les stoïciens une morale de l'intention. C'est dans le vouloir (de l'ordre du monde), dans l'intention que réside la morale. On comprend que le stoïcisme soit aussi bien la philosophie des esclaves que celle des empereurs, d'Epictète que de Marc Aurèle. Celui qui naît esclave doit jouer son rôle d'esclave le mieux qu'il peut, tout comme l'empereur doit jouer le sien. L'unité du maître et de l'esclave, c'est la pensée qui rend les hommes égaux.

2) Plaisir, désir et vertu.

Celui qui donne son accord à la nature est heureux. La recherche du plaisir est exclue. Ou le plaisir est contraire à l'ordre du monde et est impossible, ou il lui est conforme et nous obtenons non pas le plaisir mais le bonheur.
Suivre l'ordre du monde, c'est suivre la raison. Le stoïcisme va aboutir à un indifférentisme et à un ascétisme. Le sage est heureux partout, même dans les pires douleurs car son bonheur est de vouloir la nécessité.
Le but premier de tout vivant consiste non dans le plaisir mais dans la seule conservation de soi. L'idéal stoïcien est donc la mort des désirs et des passions considérées comme des maladies. Si nous n'avons aucun empire sur le cours des choses, nous pouvons vaincre nos passions. Cela dépend de nous et l'empire sur les passions fait partie de notre liberté.
Le bonheur a lieu lorsque nous sommes dans un état de calme dégagé des plaisirs et des désirs. C'est l'apathie, "où nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels." Nous sommes éternels en tant que nous vivons dans un état immobile, toujours semblable à lui-même et qui pourrait demeurer toujours semblable, comme l'éternité.
Le bien suprême, le plus haut, c'est le beau, au sens éthique d'harmonie avec le tout. La vertu est quelque chose de substantiel. Elle s'enseigne puisque les méchants peuvent devenir vertueux. Elle est souverain bien, bonheur intérieur.

Les principales œuvres

Un de ses disciples, Arrien de Nicodémie, recueillit l'enseignement d'Epictète et le publia en huit livres, Les Entretiens ou Diatribes, dont quatre seulement nous sont parvenus.
Le Manuel passe pour un recueil de morceaux choisis tirés des Diatribes mais beaucoup de passages du Manuel n'ont aucune correspondance dans les Diatribes et faisaient peut-être partie des livres perdus.


Index des auteurs