Sénèque

À la fois philosophe stoïcien, auteur de tragédies, précepteur puis conseiller de Néron, Sénèque nous a laissé une œuvre de moraliste qui a exercé une influence profonde sur la pensée occidentale. Il écrit avec simplicité et non en docte érudit, s'adressant aux gens dans le siècle, confrontés aux difficultés de la vie pratique. Il a grandement contribué à affirmer l'existence d'une philosophie romaine.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Sénèque

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Stoïcien, il a pu lire des œuvres aujourd'hui perdues des premiers philosophes de l'école du Portique (pour plus d'information sur l'histoire du stoïcisme, consulter la notice consacrée à Épictète). Il connaît aussi l'épicurisme mais s'oppose à cette école.

La vie de Sénèque

Lucius Annaus Seneca naît vers l'an 4 av. J. C. à Corduba (aujourd'hui Cordoue). Sa famille est de rang équestre (c'est-à-dire qu'elle ne comporte aucun des siens ayant été sénateurs). Le père de Sénèque est riche de biens fonciers qu'il possède en Espagne. Deux de ses trois fils, Novatus (l'aîné) et Seneca (le cadet) décident de s'élever jusqu'au rang sénatorial, ce qui implique de vivre à Rome pour exercer, dans l'ordre rituel, les différentes magistratures constituant la "carrière des honneurs" (cursus honorum)
Venu à Rome tout petit, Sénèque fréquente d'abord l'école du grammairien qui lui enseigne les rudiments. Vers 12 ou 13 ans, il fréquente les salles de déclamation où il apprend la rhétorique. Il découvre les philosophes, d'abord en suivant les cours de Sotion (un pythagoricien) puis ceux d'Attale, un stoïcien, qui lui fait découvrir la philosophie du Portique.
Sénèque se prépare à briguer les premières charges de la carrière des honneurs lorsque sa santé devient chancelante. La médecine préconisant comme remède un voyage en mer et le climat d'Égypte étant favorable au traitement des maladies de poitrine, il part vers 25 apr. J. C. pour Alexandrie (chez un oncle, préfet d'Égypte) dont il ne revient qu'en 31, lorsque son oncle est rappelé à Rome. Cet oncle meurt durant la traversée. Sa veuve, la tante de Sénèque, a quelque influence à la cour et décide de favoriser la carrière de son neveu. Sénèque devient questeur. Sa santé est meilleure et il mène une vie mondaine, oubliant un peu la philosophie. Il écrit cependant des ouvrages d'histoire naturelle aujourd'hui perdus et une Consolation adressée à Marcia, une aristocrate qui vient de perdre son fils (39 ou 40). C'est le premier ouvrage de Sénèque qui nous soit parvenu.
Peu après, Sénèque écrit un traité sur la colère, probablement pendant les premiers mois du règne de Claude. Valeria Messalina (la femme de Claude) a à se défendre contre les intrigues d'une rivale, Julia Livilla, nièce de Claude. Livilla est accusée d'adultère et, comme il faut un complice à ce crime, on désigne Sénèque. Sénèque est condamné à la relégation (assignation à résidence loin de Rome mais sans privation des biens). Il doit partir pour la Corse où il reste jusqu'au début de l'année 49, lorsque l'influence d'Agrippine sur Claude remplace celle de Messaline, mise à mort. Durant son exil, Sénèque écrit une Consolation adressée à sa mère, la Consolation à Helvie, ainsi que la Consolation à Polybe. Il est possible aussi que certaines de ses tragédies aient été écrites en exil.
Quand Sénèque est rappelé à Rome, Agrippine obtient pour lui la préture qu'il exerce pendant l'année 50. Cette année voit aussi l'adoption par Claude du jeune L. Domitius Ahenobarbus, le futur Néron. Les intentions d'Agrippine sont évidentes et Sénèque s'y prête : il s'agit de favoriser l'accession du jeune Domitius au détriment de Britannicus, le fils de Claude. Sénèque devient le précepteur de Néron, fonction qu'il partage avec le nouveau préfet du prétoire, Afranius Burrus. Le praeceptor est celui qui donne à un jeune homme des préceptes c'est-à-dire des conseils et une règle de vie. Sénèque trouve le temps d'écrire des dialogues : le traité Sur la brièveté de la vie (49) et celui Sur la tranquillité de l'âme (53 ou 54).
En 54, Agrippine, redoutant que Claude ne se repente d'avoir adopté Domitius et ne songe à désigner Britannicus comme successeur, fait empoisonner l'empereur. On fait appel à Sénèque pour agir sur l'opinion et assurer la popularité de Néron, le nouveau prince. Néron est chargé de prononcer l'éloge funèbre de Claude, discours composé par Sénèque. En même temps, Sénèque fait circuler une satire sur le prince défunt, tournant en dérision la divinisation officielle de ce dernier : La transformation en citrouille du dieu Claude.
Au début de l'année 56, Sénèque écrit un traité Sur la clémence
Néron n'a que 17 ans lorsqu'il devient empereur et n'a aucune expérience politique. Ce sont donc Sénèque et le préfet Burrus qui assurent la marche des affaires. Mais Agrippine n'a pas intrigué pendant si longtemps pour donner la réalité du pouvoir à ceux qu'elle considère comme ses instruments. Un conflit latent s'installe entre elle et eux. Néron, quant à lui, se détourne de sa mère, laissant le champ libre à ses deux conseillers. Agrippine ne désarme pas, ce qui va provoquer sa perte.
Sénèque fait restituer au Sénat une partie de ses prérogatives et diminue l'importance des agents privés du prince. Il intervient sans doute aussi pour diminuer le pouvoir de l'argent dans l'État.
Sénèque accepte les présents de Néron et sa fortune devient l'une des plus considérables de l'Empire. Des critiques commencent à s'élever contre ce philosophe qui prétend mépriser l'ambition et la richesse et qui est l'un des hommes les plus puissants et les plus riches de Rome. Son principal accusateur est Suillius Rufus. Sénèque lui fait un procès et obtient sa condamnation à l'exil en 58. C'est peut-être à ce moment qu'il écrit et publie Sur la vie heureuse où l'on trouve sublimés les arguments du débat avec Suillius.
Néron commence une liaison nouvelle avec Poppaea Sabina. Poppée est l'ennemie personnelle d'Agrippine. Celle-ci essaie d'empêcher son fils Néron de tomber sous l'influence de Poppée, allant même, dit-on, jusqu'à tenter de le séduire. Pour ne pas aggraver la situation, Sénèque fait éloigner Othon, le mari de Poppée. Néron est marié à Octavia, la fille de Claude, qu'il n'aime pas mais qui peut transmettre à son époux la légitimité julio-claudienne. Comprenant que si Octavia est répudiée, elle devient une menace pour Néron, Agrippine use du chantage pour empêcher que Poppée devienne l'épouse du prince. Néron conçoit alors le projet de faire tuer sa mère. Il lui tend un piège (la faisant embarquer sur un bateau préparé pour que l'assassinat ait l'air d'un accident) mais ce piège échoue. Néron a peur d'une vengeance d'Agrippine et convoque en hâte ses conseillers Sénèque et Burrus. Sénèque conseille d'achever le crime, conscient qu'entre la mort d'une femme coupable et celle d'innocents causés par une guerre civile il n'y a pas à hésiter. Agrippine meurt mais Sénèque sait désormais que Néron est un criminel.
Sénèque compose, sans doute vers 55, un traité Sur la constance du sage puis le traité Sur le loisir.
Sénèque rencontre des difficultés croissantes. Néron est de plus en plus entraîné vers une conception du pouvoir à laquelle le philosophe stoïcien ne peut souscrire. Il devient un monarque absolu à l'orientale. Octavia est répudiée en 62. Les assassinats politiques commencent et l'influence de Sénèque est brisée. Il en tire les conséquences et demande à Néron de lui permettre de s'enfermer dans la retraite. Il offre au Prince de lui donner tout ce qu'il possède. Néron lui répond affectueusement, lui demandant de ne pas l'abandonner. Néron ne peut rompre brutalement avec sa politique antérieure et doit ménager l'opinion, surtout celle des sénateurs où Sénèque compte beaucoup d'amis. Il faut sauver les apparences. Sénèque demeure donc l'un des amis du prince, mais en réalité il s'efforce de consommer une rupture qu'il sait inévitable, sans offenser Néron ouvertement.
L'activité littéraire de Sénèque pendant ces années de fin de ministère et de semi-retraite après 62 est considérable : Traité sur les bienfaits en 7 livres (59-60), Questions naturelles (à partir de 62), Lettres à Lucilius, correspondance qui ne sera interrompue que par la mort de Sénèque, Dialogue sur la prudence, Livres de philosophie morale, Exhortations à la philosophie, traité Du mariage, De la superstition, Sur l'amitié.
L'orientation nouvelle de la politique de Néron entretient dans Rome une atmosphère de terreur. Néron redoute une conspiration. Celle-ci est en réalité lente à se former. Pendant les derniers mois de 64 elle commence à s'organiser et choisit, pour assurer la fonction impériale, un noble, Pison. Une tradition prétend que ce choix était provisoire et qu'en réalité on voulait faire de Sénèque le futur empereur. La conspiration est découverte. Néron envoie un officier demander à Sénèque s'il reconnaît avoir été en correspondance avec Pison. La réponse est évasive et Néron envoie à Sénèque l'ordre de se suicider.
Le philosophe exécute l'ordre mais sans hâte. Il a en réserve une potion de ciguë. Il s'entretient longuement avec ses amis, se fait lire le Phédon puis absorbe le poison. Celui-ci s'avère inefficace. Sénèque demande alors qu'on lui ouvre les veines mais le sang ne coule pas alors que les soldats attendent la fin, prêts à la hâter si elle ne vient pas. Paulina, la femme de Sénèque, se fait aussi ouvrir les veines. Néron, prévenu, fait savoir qu'il n'a aucun grief contre elle et un médecin bande ses blessures. Elle gémit de souffrance et Sénèque demande qu'on l'éloigne. Il se fait alors porter dans une étuve très chaude qui provoque l'arrêt du cœur. Ceci se passe le 19 ou le 20 avril 65.

Apport conceptuel.

L'œuvre de Sénèque est d'abord la première œuvre d'envergure composée par un stoïcien qui nous soit parvenue à peu près intégralement.
L'œuvre de Sénèque est consacrée à la direction spirituelle. Il s'agit, dans une atmosphère amicale, d'exercer une influence sur le perfectionnement moral de l'autre.
Sénèque reprend l'opposition, classique chez les Stoïciens (et qu'on retrouvera notamment chez Épictète), entre ce qui dépend de nous (notre pensée, notre esprit) et ce qui n'en dépend pas (la fortune c'est-à-dire le hasard). Il ne faut pas croire aux présents de la fortune mais s'attendre à ce qu'elle nous les reprenne.
La philosophie est censée assurer la consolation et la maîtrise de soi. Néanmoins la sagesse est rare et le bonheur consiste souvent seulement à se tenir à l'écart des vicissitudes. Le Souverain Bien repose sur la cura c'est-à-dire la conscience attentive qui saisit l'occasion au vol. Être heureux, c'est savoir vivre le temps présent en renonçant à l'illusion d'échapper au devenir.
Le bonheur n'est pas dans les choses. C'est un bien de l'âme. Pour être heureux, il faut vivre conformément à la nature c'est-à-dire d'abord conformément à notre nature propre d'être humain se distinguant des animaux par la raison. La raison nous fait participer aux lois de l'univers car l'univers est rationnel. Le bonheur est dans l'exercice des facultés de l'esprit, capables de s'élever au-dessus de ce qui est passager, sans se laisser exalter ou briser par la Fortune, insensible à la crainte comme à l'espoir.
Dans la première partie de son œuvre, Sénèque recommande une vie mixte, partagée entre les charges politiques et le loisir intellectuel mais, dans ses dernières œuvres, il recommande davantage le détachement. Si le sage doit se consacrer à l'action (et on sait que Sénèque s'est engagé dans les affaires politiques de son siècle), comment concilier les exigences de l'action et celles de la vertu ? L'action du sage rencontre de nombreux obstacles comme l'injustice, la tyrannie etc. Face à ces obstacles, il faut savoir se replier quand c'est nécessaire et se consacrer alors à l'étude ou à sa famille et ses amis, mais on ne le fera que si on a épuisé toutes les possibilités de s'impliquer à un plus haut niveau. La vie de Sénèque montre qu'il appliqua ce principe à lui-même.
Sénèque pratiquait chaque jour un examen de conscience, se demandant ce qu'il avait fait de sa journée, s'il avait appris à se dominer, à résister aux désirs, aux mouvements de la passion qui détruisent l'âme et la rendent esclave. La colère, par exemple, ne se développe que si l'esprit y donne son assentiment et est donc évitable.
Sénèque eut le pouvoir et l'argent. Comment concilier ceci avec la sagesse ? Il affirme que ni le pouvoir, ni l'argent ne sont contraires à la sagesse à la condition de ne pas s'y attacher. Le sage ne cherche pas mais ne rejette pas non plus la richesse ou le pouvoir. Le tout est de ne pas en être dépendant car le bien ne réside ni dans la richesse ni dans le pouvoir mais dans la tranquillité de l'âme. C'est pourquoi il demandera lui-même de se retirer de la vie politique lorsqu'il sentira qu'il est devenu impossible d'agir, qu'il offrira sa richesse à Néron et acceptera même la mort calmement.
Face à la difficulté d'être sage, Sénèque conserve l'idée stoïcienne des biens préférables. Ainsi il est préférable d'être riche plutôt que d'être pauvre, d'être bien portant plutôt que malade etc. Néanmoins, ces biens ne sont pas les biens véritables qui se situent dans le bien moral.
Dans le traité Des bienfaits, Sénèque souligne le caractère humain des esclaves. Les esclaves sont esclaves par convention sociale ou par accident de fortune mais non par nature. Bien des esclaves ont rendu des services à leur maître et il faut donc reconnaître une plus grande place aux esclaves que ne le fait la loi.
L'œuvre de Sénèque a profondément influencé Montaigne, en particulier les Lettres à Lucilius. Il a aussi influencé Descartes et Rousseau
Pour en savoir plus sur le stoïcisme, consulter la notice consacrée à Épictète.

Les principales œuvres.

  • Consolation à Marcia (vers 39-40)
  • De la colère (vers 41)
  • Consolation à Helvie (entre 41 et 49)
  • Consolation à Polybe (43)
  • De la brièveté de la vie (49)
  • De la tranquillité de l'âme (53 ou 54)
  • Transformation en citrouille du dieu Claude (vers 54 )
  • De la constance du sage (55)
  • De la clémence (56)
  • De la vie heureuse (58)
  • Des bienfaits (59-60)
  • Questions naturelles (vers 62)
  • Lettres à Lucilius (63-64)

  • Index des auteurs