Derrida

Auteur réputé difficile, Derrida est peut-être le philosophe français majeur du XX° siècle. Il est le père de la philosophie de la déconstruction qui influencera la politique et la littérature.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Derrida

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Derrida se réclame explicitement de Heidegger. Il a aussi travaillé, pour le déconstruire, sur Husserl. Mais il reconnaît aussi l'importance de Freud et de la psychanalyse en général. Ami d'Althusser, il s'intéresse à Marx sans avoir été communiste.

La vie de Derrida

Jacques Derrida est né le 15 juillet 1930, à El Biar, près d'Alger. D'origine juive, il subit la répression liée aux événements de la fin des années 1930. Sa scolarité est mouvementée. Il subit les lois antijuives. En 1940-1941 s’opère une pétainisation de l’école et notamment le statut des juifs du 3 Octobre 1940 exclut ceux-ci de l’enseignement et de la justice. En 1942, Derrida est exclu du lycée le jour de la rentrée scolaire, pour des raisons antisémites. Il fréquente jusqu'en 1943 le lycée Emile-Maupas où les enseignants juifs expulsés de la fonction publique ont reconstitué un enseignement. Jacques Derrida garde de cette époque une relation particulière au judaïsme. Sportif, il rêve aussi de devenir footballeur professionnel. Au lycée, il découvre des philosophes comme Jean Jacques Rousseau, Frédéric Nietzsche, et des écrivains comme André Gide ou Albert Camus. Il échoue une première fois au baccalauréat en 1947. Elève en classes préparatoires, il fait d’abord une hypokhâgne au lycée Bugeaud d’Alger puis s’inscrit en khâgne à Louis le Grand qu’il fréquente à partir de 1949 (il y rencontre Pierre Bourdieu), il entre, après deux échecs, à l'Ecole Normale Supérieure de la Rue d'Ulm en 1952. Il y découvre Kierkegaard et Heidegger et y rencontre, dès le premier jour, Althusser alors agrégé répétiteur. Il est l'élève de Jean Hippolyte et rédige sous sa direction son mémoire de maîtrise, La problème de la genèse chez Husserl. Il se lie d’amitié avec Foucault dont il suit les cours. En 1957, il obtient l'agrégation. Sa famille reste en Algérie jusqu'à l'indépendance, en 1962.
Il devient à la sortie de l'Ecole assistant à l'université américaine d'Harvard, obtenant une bourse de « special auditor ». En juin 1957, il se marie avec Marguerite Aucouturier, psychanalyste dont il aura deux fils, avant d'effectuer son service militaire en Algérie en pleine guerre d'indépendance. Il y est instituteur d’enfants de troupe. En 1959, il enseigne pour la première fois en lycée au Mans, en hypokhâgne. Assistant à la Sorbonne dès 1960, Il donne également des premières séries de conférences. En 1962, il habite quelques temps à Nice. En 1964, il obtient le prix d'épistémologie Jean-Cavaillès pour sa traduction et l'introduction de l'Origine de la Géométrie d'Husserl. Il rencontre Philippe Sollers et écrit dans Tel Quel. En 1965, admis au CNRS, il démissionne pour être professeur de philosophie à Normale Sup où il occupe la fonction de « caïman », c'est à dire de directeur d'études, avec Althusser. Il y restera jusqu'en 1984. Il entame aussi de fréquents voyages aux Etats Unis où il donne de fréquentes conférences, à Yale, Irvin, Cornell ou à l'Université Johns Hopkins. En 1966, de mieux en mieux accueilli outre-Atlantique, il rencontre ou retrouve là bas Barthes, Hyppolite, Vernant, Goldman et Lacan.
En 1967, ses trois premiers livres, De la Grammatologie, L’Ecriture et la différence, La Voix et le phénomène, sont publiés. Il entre également au comité de rédaction de Critique. Il fréquente des intellectuels de l'époque comme Philippe Lacoue-Labarthe, Jean Luc Nancy, ou Sarah Kofman. En 1971, il donne des conférences à l'Université d'Alger. En 1972, il rompt avec Tel quel, et écrit dans Le Monde et Les Lettres Françaises. En 1974, paraît Glas. La même année, Derrida fonde avec des amis, des collègues et des étudiants le GREPH (Groupe de recherche sur l’enseignement philosophique) qui préconise une initiation à la philosophie dès la sixième. Il lance l'initiative des Etats Généraux de la Philosophie qui se tiennent en 1979 à la Sorbone.
Derrida s'implique dans la vie politique, alors qu'il était jusqu'ici en retrait, notamment par rapport à mai 1968. Il avait cependant participé aux manifestations et organisé la première assemblée générale à l'ENS. En 1981, il fonde l'association Jean Hus avec Jean-Pierre Vernant pour aider les intellectuels tchèques dissidents. Il sera arrêté à Prague à la suite d'un séminaire clandestin (une poudre brune est introduite dans sa valise et il est inculpé de « production et trafic de drogue ») Après une campagne de pétition, il est libéré grâce aussi à l’intervention de François Mitterrand. En 1982, J. P. Chevènement le charge de coordonner une mission (à laquelle participent F. Châtelet, J. P. Faye et D. Lecourt) en vue de fonder le Collège International de Philosophie (effectivement fondé en 1983). Jacques Derrida donne des conférences partout dans le monde, aux Etats Unis, au Japon, en Amérique Latine, en Afrique Noire, en Israël... A partir de 1984, il est directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Il a la même année un enfant de sa relation avec Sylviane Agacinski, future épouse de Lionel Jospin. A partir de 1986, il est « Distinguished Professor » en philosophie, français et littérature comparée à l'Université de Californie à Irvine. En 1993 paraît Spectres de Marx. En 1995, Jacques Derrida est membre du Comité de Soutien à Lionel Jospin, mais refuse d'y être à nouveau en 2002, notamment en raison du jugement qu'il porte sur la politique du gouvernement sortant sur l'immigration. Il soutient notamment le mouvement des sans-papiers.
À partir de 2003, Jacques Derrida souffre d'un cancer du pancréas et réduit considérablement ses conférences et ses déplacements. Il meurt le 9 octobre 2004 dans un hôpital parisien, à l'âge de 74 ans. Il laisse pas moins de quarante ouvrages.

Apport conceptuel.

Derrida emprunte à Heidegger le thème de la déconstruction. Il s'agit de la tâche à laquelle doit se vouer le philosophe d'aujourd'hui. La philosophie traditionnelle depuis Platon s'élabore à partir de dualismes : l'âme et le corps, le sensible et l'intelligible, la nature et la culture, la parole et l'écriture, l'intérieur et l'extérieur, la présence et l'absence, la réalité et l'apparence, le masculin et le féminin etc. Chacune de ces oppositions constitue un ensemble de valeurs et conduit à dévaloriser systématiquement l'un des deux termes. La différence est ce processus producteur de différences, le processus par lequel diffèrent les concepts. Les concepts diffèrent, ne sont jamais en eux-mêmes. Surtout, la validité de ces dualismes n'est jamais remise en question. Certes, tel philosophe remettra en question, par exemple, la séparation de l'âme et du corps mais tout en continuant à utiliser le même vocabulaire et sans voir que par le vocabulaire on se tient sur le même terrain que celui qu'on critique : celui de la culture occidentale pour laquelle il y a un mot pour désigner le corps et un mot pour désigner l'âme. Toute culture s'enracine dans un univers de pensée, une métaphysique implicite. Déconstruire consiste à mettre à nu, à démonter ces oppositions implicites. Mais défaire un système n'est pas le détruire. Mettre en évidence les répartitions des forces et des motifs dans telle ou telle œuvre, reconnaître ce qui y est hégémonique ou nié n'est pas dénigrer. Déplacer les oppositions n'est pas les anéantir.
Par exemple, la philosophie traditionnelle a donné à la parole un privilège exorbitant par rapport à l'écriture. La parole est pensée comme « proximité de la pensée à elle-même », alors que l'écriture n'en serait que la représentation dérivée. Ce privilège de la voix et de la parole dans la tradition philosophique, Derrida le nomme phonocentrisme ou logocentrisme.
Le logocentrisme est l'illusion que la raison peut exister indépendamment des expressions linguistiques, de la médiation des mots. Le phonocentrisme est toute priorité accordée à la parole au détriment de l'écriture. On peut se référer au Phèdre, dialogue de Platon où celui-ci reproche au livre de ne pas répondre quand on l'interroge car « son père n'est pas là pour le défendre ». Pourtant même la voix implique l'absence de l'autre dont la présence n'en livre en réalité que des traces. La parole aussi est distance de l'autre et même de soi à soi comme le montre cette curieuse expérience qui fait que je ne reconnais pas ma propre voix enregistrée au magnétophone. Il y a en réalité toujours écart du sujet à lui-même et Derrida nomme écriture ce travail de la fêlure, ce délai qui met le vivant toujours en retard sur lui-même. Il ne s'agit donc pas de réhabiliter l'écriture au sens courant de la simple transcription de la parole mais de la redéfinir comme trace, écart qui disjoint la présence. En somme on ne peut jamais rien dire ni signifier d'un seul coup : tout énoncé s'espace, se temporalise et c'est la condition même du langage, d'où le concept de différance (écart, espacement). Nous différons au sens où nous remettons sans cesse à plus tard la parfaite compréhension de ce que nous vivons et faisons. Le sens nous échappe, fuit en avant. Saussure lui-même en postulant derrière chaque signifiant un signifié tombe dans le logocentrisme pour Derrida. Le sens n'est jamais présent mais est différé dans ce mouvement qu'est la différance, fond d'où procèdent toutes les différences (parole / écriture, intérieur / extérieur etc.)
Toute communauté parlante participe en tant que telle au jeu de la différance et c'est en ce sens qu'il n'est pas de société sans écriture, ce qui légitime la critique déconstructiviste que fait Derrida de Lévi-Strauss. Ce dernier dans Tristes Tropiques raconte sa rencontre avec un chef indien qui, simulant l'acte d'écrire, s'imagine s'approprier une technique du pouvoir. Lévi-Strauss associé écriture et pouvoir, domination, voire oppression. Le passage de la parole à l'écriture serait celui des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes. Derrida voit chez Lévi-Strauss le même présupposé que chez Rousseau qui condamne l'écriture comme un « dangereux supplément »

Les principales œuvres.

  • De la grammatologie, 1967
  • La voix et les phénomènes, 1967
  • L'écriture et la différence, 1967
  • Marges de la philosophie, 1972
  • Glas, 1974
  • De la vérité en peinture
  • , 1978
  • La carte postale
  • , 1980
  • Du droit à la philosophie
  • , 1990
  • Spectres de Marx
  • , 1993
  • Politique de l'amitié
  • , 1994
  • Résistances de la psychanalyse
  • , 1996
  • De l'hospitalité, 1997

Index des auteurs