Foucault

Philosophe et historien, Michel Foucault fut en France une des figures les plus influentes à partir des années 60. Ses conceptions novatrices conduisent à une remise en question des phénomènes sociaux (institutions et idéologies). Il se reconnaissait moins comme philosophe que comme un archéologue qui reconstitue ce qui rend compte d'une culture.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Foucault

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Michel Foucault se réclame de Marx, Bachelard, Canguilhem et Guéroult. L'influence majeure est celle de Nietzsche. On notera aussi une influence de Heidegger.

La vie de Foucault

Paul-Michel Foucault naît à Poitiers le 15 octobre 1926 dans une famille bourgeoise. Son père est chirurgien. Il fait ses études secondaires, d'abord au lycée de Poitiers puis chez les « bons pères » au collège Saint Stanislas. Après une hypokhâgne et une khâgne à Poitiers et un échec au concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure, il arrive à Paris, en 1945, et y intègre la khâgne du Lycée Henri IV. C'est là qu'il découvre la philosophie sous la direction de Jean Hyppolite, un spécialiste de Hegel. Il entre à L'École Normale Supérieure en 1946. Il suit les conférences de Merleau-Ponty et y rencontre Louis Althusser (philosophe marxiste) qui le prépare à l'agrégation et influe sur son adhésion (1950-1953) au Parti communiste français. Foucault est chargé, à L'ENS, du petit laboratoire de psychologie. Peut-être à cause d'une homosexualité mal vécue à une époque où cette conduite sexuelle est mal acceptée, il fait une tentative de suicide en 1948, ce qui lui vaut (comme Althusser) une chambre privée à l'infirmerie de l'École.
Reçu à l'agrégation de philosophie en 1951, il est nommé l'année suivante à Lille où il dirige, jusqu'en 1955, l'Institut de psychologie. A partir de 1953, il commence à lire Nietzsche, lecture qui exercera une influence décisive sur son œuvre. Progressivement, il laisse la phénoménologie et le marxisme pour s'inspirer de Bachelard, Nietzsche, Sade et Bataille.
En 1954, paraît Maladie mentale et personnalité, publié plus tard sous le titre Maladie mentale et psychologie. Foucault désavouera ce texte plus tard.
George Dumézil lui propose un poste de lecteur à l'Université d'Uppsala (Suède). Il sera à la fois attaché culturel à Stockholm et directeur de la maison française d'Uppsala (1955-1958). Il se sent isolé mais utilise cette solitude pour entamer ce qui sera sa plus grande œuvre : Folie et déraison (qu'il rebaptisera plus tard Histoire de la folie à l'âge classique). En 1958, il accepte un poste culturel à Varsovie mais la police secrète polonaise le menace pour le faire quitter le pays en raison de son homosexualité. Il passe deux années à Hambourg (1958-1960) avant d'être élu maître de conférence à la Faculté de Clermont-Ferrand. En 1961, il soutient sa thèse de doctorat (Histoire de la folie à l'âge classique). Canguilhem est son directeur de thèse. Il devient, en 1962, professeur de philosophie à l'Université de Clermont-Ferrand. C'est de ces années à Clermont que datent ses amitiés pour Deleuze et Michel Serres.
En 1963, Foucault publie Naissance de la clinique et, en 1966, Les mots et les choses qui le font découvrir par un plus large public. Il accepte, en 1966, un poste à l'Université de Tunis. Il revient, en toute hâte, à Paris lors des évènements de mai 1968. Il participe à la création de l'Université « expérimentale » de Vincennes (il y enseignera en 1969 et 1970) et publie, en 1969 L'archéologie du savoir. Il est nommé en 1970 au Collège de France à la chaire d'histoire des systèmes de pensée.
En 1971, il participe à la création du Groupe d'observation des prisons qui conteste l'univers carcéral. En 1975 paraît Surveiller et punir. Foucault participera désormais à de nombreuses actions notamment en faveur des droits de l'homme. Dans les années 70, Foucault fait de nombreux voyages aux Etats-Unis où il donne des conférences et où il découvre aussi et fréquente les communautés homosexuelles sado-masochistes.
Foucault publie en 1976 La Volonté de savoir, premier tome de son Histoire de la sexualité. Les deux volumes suivants, L'usage des plaisirs et Le souci de soi ne seront publiés qu'à sa mort. Il meurt en effet du Sida, le 25 juin 1984 après trois semaines d'hospitalisation à Paris, à l'hôpital de la Salpétrière, hôpital dont il avait décrit les rôles et l'évolution dans son Histoire de la folie. En 1994 paraissent quatre volumes d'œuvres posthumes, Dits et écrits.

Apport conceptuel.

1) Une archéologie

L'archéologie du savoir est un ouvrage de réflexion méthodologique où Foucault essaie d'analyser les processus méthodologiques présents dans ses œuvres antérieures. Archéologie est un mot qui évoque à la fois un travail de fouille et une référence à des archives. Mais il ne s'agit pas de faire de l'histoire au sens classique du terme. Il faut prendre les discours comme des évènements dont il s'agit de rechercher les conditions d'émergence. Par exemple, L'histoire de la folie ne cherche pas à expliquer ce qu'est médicalement la folie mais à voir comment la folie s'est constituée comme objet institutionnel. L'archéologie est l'étude des manières successives dont s'organisent les savoirs aux différentes époques.
Par exemple, ce que nos bibliothécaires rangent à côté d'autre chose est spécifique à l'époque. Au XVII° siècle, on place l'alchimie au rayon des sciences. De même la philosophie est aussi une institution. Newton se disait philosophe et on le considérait comme tel. L'archéologie est l'étude des coupures et des solidarités dans les savoirs existants qui varient historiquement. L'histoire de la pensée n'est pas autonome. La pensée d'aujourd'hui ne dépend pas seulement de celle d'il y a trente ans. Elle a des liens avec d'autres secteurs de la pensée mais aussi avec des phénomènes extérieurs à elle-même. Aucun phénomène intellectuel n'est isolable de l'ensemble des réalités sociales. L'enjeu est le décentrement du sujet. Foucault critique les continuités, les masses de manœuvre mises en jeu par ce type d'idéologie qu'est l'histoire de la pensée comme démarche autonome. Il faut critiquer les notions qui masquent les ruptures et qui sont comme autant de fausses solutions. Là où il y a problème, on répond par une désignation, par exemple le concept de tradition. On néglige de se demander pourquoi une tradition se maintient ou non. Pourquoi des résurgences comme celle du pythagorisme au XVI° siècle ? On peut répondre que c'est parce qu'on les lisait mais pourquoi les lisait-on ? Pourquoi une tradition cartésienne en France et pourquoi n'est-elle pas la même à différentes époques ? Le choix de ses ancêtres intellectuels est un choix qui s'explique dans le contexte d'une époque et la réponse ne peut être que structurelle.
Dans Les mots et les choses, Foucault tente une archéologie des sciences humaines. Le discours sur l'homme est un événement récent dans l'histoire du savoir. L'homme naît en tant que concept au XIX° siècle.  « L'homme est une invention dont l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine. »
Chaque époque se caractérise par une grille du savoir qui rend possible le discours scientifique et que Foucault appelle épistémè. L'épistème détermine ce qu'une époque peut ou non penser. De la Renaissance au XIX° siècle, se succèdent trois épistémès :

  • A la Renaissance, il y union des mots et des choses. Le monde est un livre où il s'agit de déchiffrer des signes (que Dieu est censé avoir inscrit dans les choses).
  • A l'âge classique, le langage cesse d'avoir un rapport intime aux choses. Il est instrument de la pensée, la représente. C'est le règne de la représentation.
  • Au XIX° siècle, a lieu une nouvelle brusque mutation. De nouvelles disciplines (liées à l'histoire qui impose sa loi) émergent : philologie (étude des modifications des langues), biologie (théorie de l'évolution), économie politique, c'est-à-dire l'homme qui parle, qui vit, qui travaille. C'est là qu'intervient l'homme comme objet de sciences. Mais l'homme est en position ambiguë puisqu'il est à la fois celui qui est objet de savoir et sujet qui connaît. Il est spectateur regardé. Les sciences humaines sont donc fragiles et ne peuvent être qu'un épisode dans l'histoire du savoir.

2) Folie et déraison

Dans Histoire de la folie à l'âge classique, Foucault se propose, non pas de faire une histoire de la psychiatrie, mais de chercher les conditions de l'exclusion et de l'enfermement des fous. Alors qu'au Moyen Age, la société écarte et isole les lépreux, à partir de l'âge classique on enferme les fous.
À la Renaissance, s'opère un premier mouvement de scission. Dans les tableaux de Bosch (La nef des fous) ou de Breughel, le fou est un passager, symbole de la condition humaine mais qui a aussi parti lié avec les forces du mal et des ténèbres. Chez Érasme, en revanche, dans son Éloge de la folie, apparaît une folie avec laquelle la raison dialogue mais qu'on évoque pour critiquer l'illusion humaine et sa prétention. D'un côté se situe donc une folie tragique et de l'autre une folie apprivoisée. L'écart va se creuser jusqu'au XIX° s. La seconde, celle de la conscience critique, va aboutir à la science médicale, l'autre qui doit se taire ressurgira dans les œuvres de Goya, Van Gogh, Artaud, Nietzsche.
Au XVII° siècle, le fou est rejeté, tenu à l'écart. Un exemple philosophique nous montre le changement de perspective. Dans la Première Méditation, consacrée au doute, Descartes évoque, au moment où il cherche à douter de son corps, l'argument de la folie qu'il emprunte à Montaigne. Mais là où Montaigne envisage sérieusement l'argument, Descartes l'écarte immédiatement : « Mais quoi ? Ce sont des fous et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leur exemple ». Le clivage raison / folie a eu lieu. La folie, aux yeux de Descartes représente une altérité totale par rapport à la raison. Elle est située dans une région d'exclusion et la possibilité nietzschéenne d'un philosophe fou n'a pas de sens pour Descartes alors que Montaigne admettait encore la possibilité d'une pensée hantée de déraison.
Au XVII° siècle, on n'enferme pas que l'insensé mais aussi les pauvres, les oisifs, les vagabonds, les débauchés etc. Le fou fait partie de ceux qu'il s'agit de « corriger ». On prive donc les fous de la parole que le Moyen Age leur avait donnée. On enferme tous ceux qui dérangent l'ordre établi. La raison apparaît comme une norme sociale tyrannique.
Plus tard, la folie retrouve une place particulière (distincte des autres formes de marginalité). Elle reste seule dans les lieux d'enfermement parce qu'on comprend que, d'un point de vue économique, il vaut mieux rendre les oisifs et les pauvres au marché du travail. C'est la naissance de l'asile, de la médicalisation de l'internement. La folie se constitue en maladie mentale. Le fou devient un objet et ainsi, en voulant domestiquer la folie, la raison s'interdit de la comprendre. Certes le fou est délivré de ses chaînes mais il est asservi au regard savant du médecin. De bête dangereuse, il est devenu enfant sous tutelle, réduit au silence, à l'absence d'œuvre et donc encore exclu. En somme les Lumières de la psychiatrie ont fonctionné (avec d'autres procédés et modalités) selon la même logique qui mena au grand renfermement du XVII° siècle. On voit donc, pour résumer, que l'avènement du rationalisme classique a mis hors jeu la folie et le savoir psychiatrique a inventé, façonné, découpé son objet, la maladie mentale.

3) Pouvoir et savoir

Foucault récuse l'idée qu'il y aurait un seul pouvoir, le pouvoir d'État, le pouvoir politique. Existent aussi, omniprésents, partout dans la société, ce que Foucault nomme les micro-pouvoirs. Ils se situent à différents niveaux : pouvoirs de certains individus sur d'autres (parents, professeurs, médecins etc.), de certaines institutions (asiles, prisons), de certains discours.
Alors que le pouvoir politique est répressif, les micro-pouvoirs sont productifs. Quand le pouvoir politique cherche à faire taire en se réservant le droit à la parole, à maintenir dans l'ignorance, à réprimer plaisirs et désirs et exerce la menace de mort, les micro-pouvoirs, en revanche, produisent des discours, incitent à l'aveu (il faut avouer au prêtre, au médecin etc.), ce qui permet de contrôler qui est ou non dans la norme. Ils produisent des savoirs (les sciences humaines, par exemple, énoncent les savoirs des normes nécessaires pour définir qui s'en écarte), ils individualisent (dans un système de discipline, l'enfant est plus individualisé que l'adulte, le malade que l'homme sain, le fou que l'homme normal etc.), ils veulent gérer la vie et cherchent à se faire désirer, aimer (le patron est étymologiquement le père, on parle de mère patrie, de Dieu le père etc.). « Si tu ne m'obéis pas, je ne t'aime plus », telle est la formule plus ou moins implicite du micro-pouvoir qui utilise le jeu de la séduction pour mieux asservir. Quand le pouvoir politique impose ses lois, les micro-pouvoirs imposent des normes, normalisent.
Pouvoir et savoir sont liés. L'exercice de ces pouvoirs s'appuie sur des savoirs.
Foucault explique que c'est la prison elle-même qui fabrique le concept de délinquance comme le pouvoir psychiatrique a fabriqué le concept de maladie.
Les micro-pouvoirs sont bien sûr tout aussi contraignants voire davantage que le pouvoir politique. Ils sont, en tout état de cause, plus subtils.
Foucault veut inventer un contre discours esthétique contre les jeux du pouvoir. Dans ses dernières œuvres (Histoire de la sexualité, tomes II et III), Foucault procède à une recherche sur l'éthique. S'intéressant à la solution grecque des problèmes moraux posés par la sexualité, il montre que, parce que seuls des hommes libres peuvent dominer les autres, ils doivent d'abord se dominer eux-mêmes. Ceci suppose une diététique des plaisirs d'abord alimentaires puis sexuels. Il faut se gouverner soi-même et construire sa vie comme une œuvre d'art. Il faut se soucier de soi, porter attention à soi.

Les principales œuvres.

  • Maladie mentale et personnalité (1954)
  • Folie et déraison. Histoire de la folie à l'âge classique (1961)
  • Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical (1963)
  • Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines (1966)
  • L'archéologie du savoir (1969)
  • Surveiller et punir. Naissance de la prison (1975)
  • Histoire de la sexualité :
    • Tome 1 - La volonté de savoir (1976)
    • Tome 2 - Le souci de soi (1984)
    • Tome 3 - L'usage des plaisirs (1984)
  • Dits et écrits (Posthume, 1994)

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