L'idée d'inconscient exclut-elle l'idée de liberté ?


Sommaire

Index des sujets

Analyse du sujet

Les mots du sujet

Il faut ici souligner "idée d'inconscient" et "idée de liberté"

On voit que la seule analyse des deux concepts clefs du sujet m'oriente déjà vers le problème.

Le sens du problème

"Exclure" signifie "être incompatible avec" (cf. en logique, le principe dit "du tiers exclu"). Si l'idée d'inconscient exclut l'idée de liberté, cela signifierait que les deux idées sont contradictoires, que l'existence même de l'inconscient en nous rendrait impossible notre liberté.
Le fait de placer le sujet au niveau des idées (idée d'inconscient, idée de liberté) exclut de se poser la question de l'existence ou non de l'inconscient. Il faut se mettre dans le cadre du sujet c'est à dire poser l'idée d'inconscient, la penser, et se demander si alors la liberté demeure pensable ou non.

Réponse spontanée

Elle est affirmative. C'est du reste la principale critique que des philosophes comme Alain ou Sartre firent à la théorie psychanalytique. On reprocha à Freud en ruinant l'idée de liberté de dégager l'homme de la responsabilité de ses actes. Il est vrai, du reste, que Freud introduisit l'idée de déterminisme psychique et que liberté et déterminisme sont des termes qui s'opposent.
Cependant, il faut faire attention à deux choses :

Plan rédigé

I Inconscient et liberté semblent incompatibles

1) Inconscient et déterminisme psychique.
La liberté implique qu'il existe des effets sans cause, à savoir les actes libres. Le principe de déterminisme, lui, stipule que tout effet a une cause. Les deux idées s'excluent.
Or, justement, alors qu'il introduit la notion d'inconscient, Freud introduit aussi le principe d'un déterminisme psychique, déterminisme qui n'est pas accessible à la conscience claire. Non seulement je suis déterminé mais j'ignore ce qui me détermine. Tout se passe à mon insu. Une grande partie de notre vie nous échappe et la conscience est par rapport à l'inconscient comme la partie visible de l'iceberg. La plus grande partie de ce qui se passe en nous nous échappe et nous agit sans que nous le sachions. " Le moi n'est pas maître dans sa propre maison " écrit Freud, ce qui est bien une façon d'affirmer que nous ne sommes pas libres.
Freud affirme que le hasard psychique n'existe pas. Lapsus, oublis, rêves peuvent s'expliquer par les désirs inconscients qui en sont les causes. Mais dire que tout est déterminé, c'est dire que, pas plus que le hasard, la liberté n'existe : " Vous avez en vous l'illusion d'une liberté psychique et vous ne pouvez pas y renoncer. Je suis désolé d'être sur ce point en totale contradiction avec vous. "
Le déterminisme mental s'exprime jusque dans la méthode des "associations libres "; qui n'ont de libres que le nom. Si tel symptôme m'évoque tel mot, telle situation, qui me permettront de découvrir le traumatisme psychique, cause du symptôme en question, voilà qui ne relève nullement du hasard. Le déterminisme mental est pour Freud un déterminisme absolu. L'inconscient existe, dit Freud, " chez l'homme sain comme chez le malade", ce qui veut dire qu'il n'y a pas que chez le névrosé que la liberté est empêchée mais aussi chez l'homme sain.
On peut, à ce propos, évoquer le processus de rationalisation, par exemple dans la suggestion post-hypnotique. Sous hypnose, le médecin explique à sa patiente qu'au réveil, elle se lèvera, prendra son parapluie et l'ouvrira. La malade se réveille et effectivement ouvre son parapluie. "Pourquoi ouvrez-vous votre parapluie ?" demande le médecin. En toute logique, la malade devrait répondre qu'elle n'en sait rien puisqu'elle a oublié ce qui s'est passé durant l'hypnose. Or, bien au contraire, elle répond : "Je croyais qu'il était cassé, j'ai voulu vérifier". Le Moi a rationalisé et fait passer pour un acte libre une action en réalité déterminée par la suggestion et dont la malade n'avait aucun souvenir conscient.
Ainsi, l'inconscient nous fait agir à notre insu. Freud montre comment la personnalité s'est formée dans la prime enfance, comment elle est le fruit des interdits de l'enfance. Nous nous interdisons ce que nos parents nous ont interdit, nous considérons comme bien ce que nos parents nous ont dit être bien, comme mal ce que nos parents nous ont dit être mal etc. Où peut donc se situer le libre choix dans un tel contexte ?

2) Les critiques de la psychanalyse.
Il est symptomatique que la grande majorité des critiques philosophiques énoncées contre la théorie freudienne voulaient avant tout défendre la liberté.
Alain, par exemple, critique non pas l'idée d'inconscient en elle-même mais l'idée d'un inconscient qui serait l'acteur mystérieux qui guiderait à la fois nos discours et nos actes et donc s'opposerait à notre liberté. La psychanalyse lui semble dangereuse parce qu'en niant notre liberté elle nie en même temps notre responsabilité. Elle est le moyen de se trouver de bonnes excuses.
Dans le même ordre d'idée, Sartre, philosophe par excellence de la liberté, procède à une critique en règle de la théorie psychanalytique. Croire en l'inconscient ne serait qu'un alibi pour nier notre libre arbitre. C'est parce que l'idée d'inconscient semble exclure l'idée de liberté que Sartre la récuse. (sur la critique sartrienne de l'inconscient freudien, voir L'Etre et le Néant, 1ère partie, chapitre 2, 1)

II Qu'est-ce que l'inconscient et qu'est-ce que la liberté ?

1) L'inconscient en question.
Tout ce que nous venons de dire n'a de sens que si l'on s'en tient à l'inconscient freudien. Or, il est de toutes autres façons de concevoir l'inconscient.
Quand Leibniz parle de perceptions insensibles, il s'agit bien d'une forme d'inconscient. Pour comprendre ce que peut être une perception insensible, nous pouvons prendre l'exemple de l'audition d'une chute d'eau. On écoute le bruit et on n'entend que cela. Mais, parce qu'on s'y habitue, on finit par ne plus l'entendre. Il y a un passage insensible (parce que progressif) de l'aperception (consciente) à la perception insensible. L'aperception est perception consciente quand la perception insensible est perception inconsciente. De même, quand j'entends le bruit des vagues, il s'agit d'une aperception. Mais il s'agit en réalité du résultat d'un grand nombre de "bruits" provoqués par le choc de chaque goutte d'eau contre une autre goutte d'eau. Or je ne pourrais entendre le bruit des vagues si je ne percevais pas (de façon insensible) le bruit de chaque goutte.
Mais on ne voit pas très bien en quoi cet inconscient là, condition de notre perception consciente remettrait le moins du monde en question notre liberté.
On peut aussi attribuer l'inconscient au corps à la manière de Descartes (et pour Descartes le corps est maîtrisable) ou d'Alain qui critique moins l'idée d'inconscient que l'idée d'inconscient psychique :" L'erreur n'est pas de supposer des mouvements auxquels on ne pense pas mais au contraire de supposer que ces mouvements auxquels on ne pense pas signifient des pensées auxquelles on ne pense pas et donc une autre âme et comme un double de nous-mêmes qui pense ces pensées auxquelles on ne pense pas. " Autrement dit, Alain récuse moins l'idée d'un inconscient que l'idée d'un inconscient psychique. L'enjeu est bien la liberté car l'idée d'un inconscient de type corporel ne s'oppose pas à l'idée de liberté, bien au contraire. Le corps reste maîtrisable sous la toute puissance de l'âme.
On peut enfin envisager un inconscient de type social. Par exemple Marx montre que nos pensées sont le reflet inconscient de notre position sociale et économique, de notre situation de classe. Elles sont des idéologies. Mais si cela excluait toute liberté où serait la cohérence d'un Marx qui encourage l'action politique et la révolution prolétarienne ? Prôner la révolution c'est dire que l'histoire n'est pas un destin et que la liberté humaine reste possible puisqu'elle peut, sinon modifier, au moins accélérer (ou retarder) le cours de l'histoire. Certes notre situation dans la société influence nos idées mais il est possible, en retour, d'influencer l'action par les idées politiques sinon pourquoi fonder un parti communiste ?

2) La liberté en question.
Freud dit " le moi n'est pas maître dans sa propre maison ". Mais qui a jamais prétendu qu'être libre, c'est être maître dans sa propre maison ? Il s'agit là d'une confusion entre libre-arbitre et liberté. certes l'idée d'inconscient exclut l'idée de libre-arbitre c'est à dire l'idée d'une conscience totalement indéterminée, complètement maîtresse de ses choix, mais non l'idée de liberté.
On peut très bien concevoir que nos actions, nos pensées aient des causes (fussent-elles inconscientes) sans pour autant nier l'idée de liberté. Spinoza, par exemple, ne définit pas la liberté par la maîtrise de soi (l'homme n'est pas " un empire dans un empire ") mais par la condition d'être agi par sa seule nécessité. " J'appelle libre une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature, contrainte une chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée; " Or, si l'inconscient existe, il fait bien partie de mon être. L'idée d'inconscient n'exclut plus alors l'idée de liberté.
Du reste, l'inconscient freudien n'est pas un inconscient manipulateur. Le déterminisme psychique n'est pas un déterminisme physique puisque, ici, la cause n'est pas antérieure à son effet (voir la notice consacrée à Freud) et l'inconscient n'est pas une réalité neutre mais visée, volonté. Il n'est, du reste, nullement exclu de le connaître. C'est tout le but de la psychanalyse qui vise bien à libérer le malade de ses affections ou des événements de son histoire passée. " Là où ça était, Je dois venir ", dit Freud, ce qui semble bien nous dire que rien n'empêche l'individu de reprendre le contrôle de lui-même, de découvrir ce qui le faisait agir à son insu et de décider ensuite librement de ce qu'il fera de ces désirs qui étaient enfouis et que soudain il découvre. La cure psychanalytique n'est-elle pas justement une pratique visant à la reconquête de soi, à la libération ? La psychanalyse est d'abord une médecine qui vise à libérer nos symptômes.

Conclusion

L'idée d'inconscient n'exclut l'idée de liberté que si l'on conçoit la liberté comme spontanéité d'une conscience claire qui serait maîtresse d'elle-même et l'inconscient comme une causalité physique. Or cette conception de la liberté est loin de faire l'unanimité (on n'est pas forcé d'identifier liberté et libre arbitre) et cette conception de l'inconscient n'est pas même celle de Freud (la psychanalyse n'étant, du reste, qu'une des façons possibles de concevoir l'inconscient). On peut donc très bien concevoir l'inconscient tout en sauvegardant l'idée de liberté. Il reste que l'idée d'inconscient exige, si on l'admet, de quitter les conceptions naïves sur le libre arbitre. Si l'inconscient psychique existe, il n'est plus de place pour une maîtrise de soi à la manière de Descartes. Mais n'était-ce pas l'illusion suprême, l'effet, dit Freud, de notre narcissisme ? Inversement, il est faux de dire que l'idée d'inconscient nous enlève toute excuse et toute responsabilité. A nous, au contraire, de reconnaître la causalité qui nous fait agir pour reconquérir une certaine latitude d'action qui sans être absolue a pourtant une existence. Ne pas reconnaître cette causalité, n'est-ce pas l'illusion même ?