Leibnitz

Leibnitz croit au progrès de la connaissance philosophique. En ce sens, tous les philosophes ont, à ses yeux, apporté une contribution positive à la pensée et il s'efforce de retenir la meilleure partie des systèmes de ses prédécesseurs. Mais il y ajoute les fruits de sa recherche personnelle, ce qui fait du système leibnitzien un système original. Comme la grande majorité des philosophes de l'époque, il est aussi un scientifique. Ce génie des mathématiques invente le calcul infinitésimal.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Leibnitz

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Disciple de Descartes, il reprend des éléments du rationalisme cartésien, mais critique sa conception de la matière. D'Aristote, il retient le thème de la finalité, du finalisme. Leibnitz critique l'empirisme de Locke (1632-1704) mais tente de le compléter. Enfin il faut noter l' importance des sciences dans sa pensée : la physique mais aussi les mathématiques (il découvre en 1676 le calcul infinitésimal, en même temps que Newton).

La vie de Leibnitz

Leibnitz naît à Leipzig le 1er juillet 1646 d'une famille d'origine slave. Il commence par étudier dans les livres choisis et variés que lui avait laissés son père, jurisconsulte et professeur de morale à l'Université de Leipzig. Ayant appris le latin et le grec dès l'âge le plus tendre, il lit d'abord les anciens, Virgile, Platon, Aristote. Il assimile de bonne heure la philosophie et la théologie scolastique. Ce n'est qu'à partir de l'âge de 15 ans qu'il lit les modernes : Bacon, Cardan et Campanella, Kepler, Galilée, Descartes. Le mécanisme cartésien prévaut alors et le porte à s'appliquer aux mathématiques. Il étudie à l'Université de Leipzig et s'y adonne particulièrement à la philosophie avec le professeur Thomasius. Dès 1663, il écrit, sur la question scolastique du principe d'individuation, une thèse qui est remarquée et où il se prononce pour le nominalisme.
Puis il se rend à Jena suivre les cours du mathématicien Ehrard Weigel. Frappé alors de la certitude des combinaisons mathématiques, il a l'idée de chercher pour la philosophie des lois de combinaisons analogues. Il s'agirait d'abord de démêler, par analyse, au fond des idées communes, les idées simples, et de leur assigner des signes appropriés. Tous les problèmes de la philosophie se ramèneraient alors à un calcul logique.
Leibnitz décide de se consacrer à la jurisprudence et il prend à Aldorf (près de Nüremberg) le grade de docteur en droit. Il va à cette époque à Nüremberg où il s'affilie à la confrérie des Rosenkreuzer, où l'on s'occupait de sciences occultes. Il se plonge dans la lecture des alchimistes, devient secrétaire des Rosenkreuzer et, sans adopter aucune des idées superstitieuses qui règnent dans la confrérie, s'adonne aux expériences de chimie. Il fait la connaissance au printemps de 1667 du baron de Boinebourg, un des hommes d'Etat les plus distingués de l'Allemagne. Il prend alors part aux grands évènements de l'époque. En 1670, il est investi de la fonction de conseiller à la cour suprême de l'électorat de Mayence. En 1668 et 1669, il travaille avec Lasser à une révision du corpus juris.
Il ébauche sa théorie de la substance.
Leibnitz se rend à Paris en mars 1672. Il veut convaincre Louis XIV de conquérir l'Egypte (pour anéantir la Turquie, dernier refuge de la barbarie en Europe), ce qui fut un échec. Paris est alors la capitale du monde savant. Leibnitz y séjourne jusqu'en 1676 (sauf les 3 premiers mois de 1673 où il est à Londres). Il rencontre Arnauld, étudie les travaux mathématiques de Pascal et travaille avec le mathématicien et astronome Huygens. Il invente une machine à calculer, plus performante que celle de Pascal puisqu'en plus des additions et soustractions, elle effectue multiplications, divisions et extractions de racines.
En 1676, Leibnitz fait sa plus grande découverte mathématique : il invente le calcul différentiel (encore appelé calcul infinitésimal).
Leibnitz quitte Paris en 1676 pour devenir bibliothécaire à Hanovre, appelé par le duc Jean Frédéric de Brunswick-Lunebourg. Il passe par Londres et par Amsterdam où il rencontre Spinoza.
Il demeurera à Hanovre (à part pour quelques voyages) jusqu'à sa mort. Il y jouit d'une grande considération et exerce une grande influence. Il tente, en vain, de réconcilier les églises chrétiennes protestantes et catholiques. Il est chargé d'écrire l'histoire de la famille de Brunswick (publication de 1701 à 1711). Persuadé que la science est la vraie source de la puissance et de la production, il travaille à la création d'une Académie des Sciences qui sera fondée le 11 juillet 1700. Il s'adresse aussi au tsar Pierre le Grand (qu'il rencontre en 1711) et lui demande la création à Saint Pétersbourg d'une Académie des sciences et lui propose un plan d'organisation civile, intellectuelle et morale. Il est appelé à Vienne auprès de l'empereur d'Autriche qui, lui aussi, cherche ses conseils. Il y rencontre le prince Eugène de Savoie pour qui il écrira La Monadologie. Il revient à Hanovre en 1714 où il voit peu à peu décliner son crédit. Entre temps il a écrit Les Nouveaux Essais sur l'entendement humain (1703), la Théodicée (1710) et La Monadologie (1714).
Vers 1714, la maladie commence à le clouer dans son fauteuil. Il meurt le 14 novembre 1716 et est enterré sans pompe, sans suite aucune, sans ministre de la religion, accompagné du seul Eckhart, son fidèle secrétaire.

Apport conceptuel.

1) La rupture avec Descartes et Spinoza.

Le projet de Leibnitz se conçoit par rapport à ses deux prédécesseurs et contemporains que sont Spinoza et Descartes.
a) Le problème de Dieu.
Selon Descartes, Dieu n'est ni juste, ni bon. Il est indifférent. Il crée librement les vérités éternelles et aurait tout aussi bien pu faire que 2 + 2 = 5. Pour Leibnitz, admettre une telle conception, c'est admettre un Dieu arbitraire. À ses yeux, même Dieu est soumis à la raison et il n'est du reste de vraie liberté que soumise à la raison.
Quant à Spinoza, son identification de Dieu et de la nature, de Dieu et de la totalité ne peut conduire qu'à l'athéisme. La nécessité aveugle ramène Dieu au fatalisme, à l'indifférence.
Pour Leibnitz, l'indifférence du Dieu cartésien comme la nécessité spinoziste mènent à l'athéisme. Ces philosophes ne connaissent que la nécessité géométrique, alors qu'il y a une autre nécessité : la nécessité morale, le choix du meilleur qu'un Dieu juste n'a pu manquer de faire.
b) La matière.
Leibnitz s'oppose à la conception cartésienne de la matière. Descartes rejette toute cause finale au niveau de l'explication physique. Mais alors quel est le rôle de Dieu ? De là à concevoir une seule substance où tout s'expliquerait par des causes mécaniques, il n'y a qu'un pas aux yeux de Leibnitz. Il est vrai que Descartes a du mal à préciser le rapport entre l'âme et le corps. Au niveau méthodologique, il y a bien chez Descartes deux substances séparées et ce n'est qu'au niveau de la vie courante, du vécu (notamment celui des passions) qu'on doit admettre (sans pouvoir la connaître) l'union de l'âme et du corps. Le corps, pour Descartes, est une machine qui agit sur l'âme. Il y a donc bien deux niveaux chez Descartes : celui théorique du dualisme et celui où l'on tente tant bien que mal d'unir l'âme et le corps.
Leibnitz ne s'oppose pas au mécanisme cartésien au sens où il est conforme à la science moderne, celle de Galilée, de Kepler. Chaque auteur voit un point de vue et il est vrai que, d'un certain point de vue, tout se passe mécaniquement. Mais le mécanisme ne suffit pas. La théorie de Descartes suppose les corps inertes quand la science montre que l'essence des corps n'est pas l'étendue mais la force. La théorie de Descartes ne tient pas compte de l'inertie des corps c'est à dire de ce qui fait que la matière résiste au mouvement. Elle suppose les corps indifférents au mouvement et au repos. En faisant la matière passive, statique, Descartes conduit à la doctrine de Spinoza.
Spinoza, lui, d'une certaine façon fond l'esprit dans la substance. Le parallélisme des attributs fait qu'on peut tout connaître de la substance à travers un seul des attributs (par exemple l'Étendue), ce que refuse aussi Leibnitz.

2) La théorie de la substance : les monades.

Aux yeux de Leibnitz, tout l'univers est constitué de monades. Les monades sont des substances simples, sans parties, des atomes de la nature qui ont chacune une unité. Elles sont toutes différentes. Deux choses individuelles ne sauraient être parfaitement semblables et leur différence ne peut être que qualitative, interne, absolue (et pas seulement quantitative). C'est le principe des indiscernables selon lequel deux êtres réels différent toujours par des caractères intrinsèques. Il n'existe ni n'existera jamais deux individus rigoureusement semblables.
Pour Leibnitz, tout est force, tout est âme. Les formes substantielles sont des forces qui ont quelque chose d'analogue à l'appétit, d'analogue à l'âme. Tout est force, pensée et désir. Le monde n'est pas une machine.
Les monades sont en nombre infini. Ne pouvant ni commencer ni finir naturellement, elles ne peuvent qu'être créées ou annihilées. Les monades sont sujettes à un changement continuel mais ce ne peut être par des causes extérieures (elles sont sans parties et une influence mécanique extérieure est un déplacement de parties) mais par un principe interne : la monade est douée de spontanéité. La qualité qui donne à chaque monade son individualité n'est autre que la perception. Toutes les monades sont douées de perception et chaque monade perçoit l'univers de son point de vue. Tout l'univers se réfléchit dans chaque chose d'une certaine manière. Pour le comprendre, imaginons une ville fortifiée. On peut en avoir différents points de vue selon le lieu où l'on se trouve. De même les substances sont autant de points de vue sur l'univers tous imparfaits et partiels. Dans la ville fortifiée, seul celui qui monte sur la plus haute tour voit tout. Au niveau du monde, cela représente le point de vue de Dieu.
Toute substance est perception mais il ne faut pas confondre perception et conscience. Leibnitz distingue les perceptions claires (ou aperceptions ) des perceptions insensibles c'est à dire non conscientes d'elles-mêmes. Ainsi, si même les corps sont des esprits, il s'agit d'esprits endormis, assoupis. La différence entre le corps et l'esprit réside en ce que dans l'esprit l'effort propre et les impressions extérieures se conservent durablement dans la mémoire alors que dans les corps ces deux éléments n'existent que momentanément lors de la production du mouvement.
Pour comprendre ce que peut être une perception insensible, nous pouvons prendre l'exemple de l'audition d'une chute d'eau. On écoute le bruit et on n'entend que cela. Mais, parce qu'on s'y habitue, on finit par ne plus l'entendre. Il y a un passage insensible (parce que progressif) de l'aperception (consciente) à la perception insensible. Ainsi, si toute monade perçoit, toute monade n'aperçoit pas nécessairement. L'erreur de Descartes est d'avoir identifié conscience et pensée. L'animal aussi perçoit.
La matière, pour Leibnitz, est double. Elle est à la fois quelque chose d'impénétrable et étendue. En ce sens, elle est résistante et passive. Mais elle est aussi force active, ce que Leibnitz appelle l'entéléchie, (étymologiquement, énergie agissante). Ce second aspect enveloppe le premier, lui donne son mouvement. Tout ce qui est est animé et il n'y a que des différences de degrés, des transitions insensibles qui vont des monades simples aux animaux, des animaux aux âmes et des âmes à Dieu

L'harmonie préétablie.

Comment, dans un tel système, penser le rapport de l'âme et du corps ? Pour Leibnitz, tout se passe comme si Dieu avait créé deux horloges qu'il aurait réglées au même rythme, qu'il aurait mises en harmonie. Il y a une harmonie préétablie : le corps se règlent suivant les causes efficientes, les âmes selon les causes finales et il y a harmonie entre les causes efficientes et les causes finales. Dieu a créé le plus de substances possible avec le minimum de moyens. Elles agissent l'une sur l'autre mais seulement selon ce principe d'harmonie préétablie. Entre les substances il n'y a, en effet, pas d'influence réelle. Elles sont "sans fenêtres" et ne peuvent donc communiquer. Aux perceptions claires d'une monade, répondent les perceptions confuses d'une autre monade. C'est d'une manière métaphysique que les monades agissent les unes sur les autres.
Mais dire que le monde a été ainsi organisé selon le principe du meilleur nous renvoie à l'existence de Dieu.

"Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles".

Chaque monade exprimant à sa manière le monde, toutes les monades s'harmonisant entre elles sans communiquer, cela implique l'existence de Dieu. Il faut bien qu'il y ait un point de vue central, quelqu'un qui accorde toutes les monades, qui serve de régulateur.
Dire que les choses existent par la seule nécessité de la nature divine, c'est réduire l'infinité de Dieu. Pour Leibnitz, le monde n'est pas nécessaire mais contingent. Il faut poser cette double question : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi les choses existent-elles ainsi et non autrement ? La réponse à ces deux questions ne se trouve pas dans la considération des choses où chaque cause renvoie à une autre cause à l'infini, reculant sans cesse le problème sans le résoudre. Il faut donc en conclure que si le monde existe, c'est qu'il est créé. Selon le principe de raison suffisante, c'est à dire le principe que rien n'arrive sans raison, tout élément a une cause et c'est un être nécessaire qui a créé les choses contingentes.
Posant, l'idée d'un Dieu bon, Leibnitz en conclut qu'il n'a pu que créer le meilleur des mondes possibles. Le meilleur des mondes possibles n'est pas un monde parfait mais le meilleur des mondes qu'il était possible de créer. Dieu, nous l'avons dit, n'agit pas arbitrairement. Il est soumis aux lois de la raison sans quoi il ne serait pas libre. Il ne pouvait donc créer un monde contradictoire, fut-il meilleur que le nôtre. Parmi tous les mondes non contradictoires (et donc possibles) il a créé le meilleur.
Mais comment alors concilier la thèse leibnitzienne avec l'existence du mal dans le monde ? Rappelons que concilier l'existence de Dieu et celle du mal, disculper Dieu de l'existence du mal dans le monde, constitue ce qu'on appelle une théodicée.
Il existe trois définitions du mal : le mal métaphysique (l'imperfection), le mal physique (la souffrance) et le mal moral (le péché).

  • Au sens métaphysique, que la nature ne soit pas bonne était inévitable. Nous l'avons dit, Dieu ne pouvait créer la perfection. Du reste, si la création était parfaite elle serait Dieu (et, nous l'avons vu, Leibnitz rejette le panthéisme spinoziste). Néanmoins cela ne fait pas de notre monde un monde mauvais. Le mal est la condition du bien. Il rend possible le bien. Le monde est harmonie et le mal rend possible le bien un peu comme dans un tableau les ombres rehaussent les couleurs et la lumière. Le mal est nécessaire pour mettre en évidence le bien.
  • Le mal physique vient de notre union à un corps mais pour des esprits finis le corps est nécessaire pour pouvoir être en rapport avec d'autres esprits. Il fallait donc de la douleur. La souffrance peut être surmontée par la raison et elle est d'ailleurs souvent un bienfait lorsqu'elle nous avertit pour éviter ce qui nous est nuisible. Si je n'avais pas mal quand j'approche ma main d'une flamme je l'y laisserais et elle se carboniserait.
    Quant à la souffrance morale, elle est, soit une juste punition, soit un moyen d'acquérir des mérites. C'est une absurdité morale que de concevoir un monde sans douleur.
  • Le mal moral n'a pas pour cause Dieu mais l'homme. C'est un effet de notre liberté. Le mal n'est donc pas nécessaire. L'homme est libre d'agir correctement. Dieu n'y participe que de façon indirecte.

On sait que Voltaire sera tenté par cette conception qu'il mettra en scène dans le conte philosophique Zadig mais qu'il y renoncera et la critiquera dans Candide après la catastrophe que fut le tremblement de terre de Lisbonne.
Voltaire, dans Zadig illustre l'optimisme leibnitzien en montrant qu'un mal pour l'homme peut être un bien du point de vue de Dieu (point de vue dont nous avons dit qu'il est le seul point de vue du tout). Il conte, par exemple, l'histoire de cet enfant mort en bas âge qui, s'il avait vécu, serait devenu un criminel ou celle de cet homme dont la maison brûle mais qui découvrira un trésor dans les ruines calcinées. Du mal peut sortir le bien. Les plaintes devant le mal viennent du fait que le déroulement de la création n'est pas compris.

Les principales œuvres.

  • Discours de métaphysique (1685)
  • Nouveaux essais sur l'entendement humain (1704)
  • Essais de Théodicée (1710)
  • La Monadologie (1714)

Index des auteurs