Deleuze

Gilles Deleuze est un des auteurs phares de l'après 68. Ces cours à l'université de Vincennes furent un véritable évènement intellectuel.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Deleuze

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Gilles Deleuze se situe dans la lignée de Spinoza et de Nietzsche de façon explicite. On notera aussi une influence de Bergson et bien sûr du psychanayste Guattari avec qui il a collaboré. Il s'opposera à Hegel et à Freud

La vie de Deleuze

Né le 18 janvier 1925 à Paris. Il découvre la philosophie au lycée Carnot, où il fait ses études secondaires. Entre 1944 et 1948, il poursuit des études de philosophie à la Sorbonne, où il rencontre entre autres Michel Butor, François Chatelet, Claude Lanzman, Michel Tournier. Il a pour professeurs notamment Ferdinand Alquié, Georges Canguilhem, Maurice de Gandillac, Jean Hyppolite. A la libération, il fréquente le château de la Fortelle où Marie-Madeleine Davy organise des rencontres entre écrivains et intellectuels. Il y rencontre Lacan, Klossowski et Jean Paulhan. Obtenant l'agrégation en 1948, il se consacre alors à l'histoire de la philosophie. Il est d'abord professeur de philosophie dans les lycées d'Amiens, d'Orléans puis au lycée Louis-le-Grand à Paris, puis assistant à la Sorbonne à partir de 1957. En 1960, il est chargé de recherche au CNRS avant de devenir chargé d'enseignement à la faculté de Lyon (1964-1969).
Jusqu'alors Deleuze a surtout publié des travaux d'histoire de la philosophie : Empirisme et subjectivité (1953), Nietzsche et la philosophie (1962), Le bergsonisme (1966). En 1969, il présente comme thèse principale Différence et répétition, sous la direction de Maurice de Gandillac, et comme thèse secondaire Spinoza et le problème de l'expression, sous la direction de Ferdinand Alquié. Il rencontre la même année Félix Guattari (1930-1992), psychiatre renommé, avec qui il entame une longue collaboration, dont naîtront cinq ouvrages dont Capitalisme et schizophrénie, tome 1, l'Anti Œdipe en 1972, tome 2, Mille plateaux ou Qu'est ce que la philosophie? L'Anti Œdipe sera un des livres phares de l'après 68.
En1969, Gilles Deleuze succède à Michel Foucault à l'Université de Paris VII, Vincennes où il enseigne jusqu'à sa retraite en 1987. Ses cours connaissent un immense succès, attirant un public nombreux et international. Il y est un professeur extraordinaire, conjuguant rigueur et érudition. Mi forum, mi happening, se bousculent à ses cours peintres, cinéastes, musiciens, jeunes étudiants. On peut retrouver les cours de Vincennes sur le site Deleuze. Il participe ainsi, avec Michel Foucault, au rajeunissement de la philosophie universitaire. Il consacre aussi des ouvrages au cinéma et à la peinture. Il publie L'Image-Mouvement en 1983 et l'Image Temps en 1985. En 1988, il publie Le Pli.
Il se suicide par défenestration le 4 novembre 1995, à Paris, atteint d'une grave maladie respiratoire. Deleuze laisse derrière lui un projet de livre : Grandeur de Marx. Il est le père de la réalisatrice Emilie Deleuze.

Apport conceptuel.

Qu'est-ce qu'un philosophe ? Quelqu'un qui crée des concepts. Cette définition de la philosophie s'applique très bien à son auteur car Gilles Deleuze est un grand fabricateur de concepts.
Deleuze oppose à la dialectique hégélienne (idéologie du ressentiment au sens nietzschéen du terme), la volonté créatrice, volonté de créer des formes, des valeurs nouvelles. Il veut une métaphysique de l'acte et non de l'être. Hegel cherche à penser l'unité du multiple, à ramener l'autre au même, quand Deleuze est attentif à la différence, à l'évènement. Il faut réhabiliter les concepts comme l'immanence, le multiple, le devenir, le flux. Il faut une « métaphysique en mouvement, en activité » c'est-à-dire « nomade » mais, en revanche, se libérer du « poids du négatif » . Faire l'histoire d'un système philosophique c'est le reproduire mais de telle sorte qu'un espace de jeu soit ouvert, débouchant sur la production de différences (trahison féconde).
Plus généralement la philosophie contient des présupposés, des postulats qu'il s'agit de mettre en évidence et de réfuter. On postule d'abord en l'homme une volonté de vérité, les obstacles étant extérieur à la pensée. Deleuze pense au contraire que  « la pensée ne pense pas tant que rien ne la force » et la bêtise (obstacle interne à la pensée) est plus à redouter que l'erreur (obstacle externe). Spontanément la pensée ne se pose pas de problème (« cela va de soi ») et empêche de distinguer l'important de l'accessoire. Le deuxième postulat de la philosophie est que toute connaissance est reconnaissance. Les problèmes sont supposés éternels. Enfin on postule que l'important est de déterminer le bon principe. Penser serait découvrir le fondement et la philosophie serait alors commencement radical. Deleuze pense qu'il n'existe pas de pensée sans aucun présupposé. On ne commence rien. On est toujours au milieu, entre un point de départ et une fin.
Le sujet considéré comme centre (idéalisme) est une illusion. Ce qui apparaît est un champ anonyme où règne la multiplicité. L'homme est processus, flux, vie, intensité mais non une personne, un être métaphysique en représentation. Il faut briser le « je », laisser parler en nous les différences multiples dont nous sommes faits. Puisqu'il n'y a pas de Je, Autrui n'est pas non plus un autre Je mais plutôt l'irruption dans mon champ d'immanence d'un monde possible. L'autre me fait entrevoir des expériences nouvelles, me transporte dans les lieux qu'il habite. La rencontre d'autrui fait de moi un monde qui voyage sans voyager.
L'Anti Œdipe, texte dont le vrai titre est Capitalisme et schizophrénie (L'Anti Œdipe n'est que le sous-titre), fut une suite de Mai 68. Deleuze et Guattari s'interrogent : comment les exigences d'expression du désir et de libération dont fut porteur Mai 68 ont-elles pu être étouffées ? « Pourquoi les masses combattent-elles pour leur propre servitude comme s'il s'agissait de leur salut ? » Deleuze s'oppose à Freud à qui il reproche d'avoir limité la signification du désir au conflit œdipien (la triade père / mère / enfant). Nous sommes des « machines désirantes » c'est-à-dire que l'inconscient n'est pas un théâtre mais une machine qui n'a d'autre fonction que produire. Le désir produit comme une machine : « toujours une machine couplée avec une autre », par exemple le sein (qui produit un flux) et la bouche de l'enfant (qui coupe le flux pour le consommer). Les machines désirantes sont en connexion. Le sujet né de l'état de consommation est un « je sens » plus qu'un « je pense ». Le « corps sans organe » produit et arrête le désir, l'enregistre, l'émet. Cette production désirante est production sociale. Elle est la véritable infrastructure plus que la production économique mise en avant par Marx. Le tort de la psychanalyse est sa conception trop centrée sur la famille. Le désir essentiel est pour elle œdipien. Ainsi la psychanalyse, au lieu de libérer l'homme, participe à l'œuvre de répression bourgeoise « maintenant l'humanité sous le joug de papa-maman » Le désir est enfermé dans le drame de l'enfance et la répression sociale est oubliée au profit du refoulement (ce qui facilite cette répression) Le tort de Freud est d'avoir maintenu la définition du désir comme manque, absence. Cette théorie (issue de Platon) conçoit le désir de façon négative vers ce qu'on n'a pas. Le désir est enraciné pour Freud dans l'interdit et ne peut plus se réaliser que dans le fantasme, le rêve (l'illusion) ou la sublimation. La psychanalyse prendrait alors le relais de la religion, tuant le désir, encourageant abstinence et résignation.
Deleuze voit au contraire dans le désir une force affirmative, une puissance de subversion qui invente de nouvelles normes de vie. Cette conception du désir créateur, donateur, énergie surabondante est issue de Spinoza , de Nietzsche
On trouve chez Deleuze une théorie du capitalisme. L'histoire universelle est celle de la répression sociale du désir. Le capitalisme est la forme la plus terrible de domination : ayant peur que l'individualisme qu'il favorise n'engendre une schizophrénie généralisée il fixe des limites, canalise les flux de désir, bref est proche du despotisme, d'autant plus que son caractère belliqueux (production militaire) le lie aux puissances de mort.
Le capitalisme produit des schizophrènes qui finiront par le miner. Le schizophrène souffre de cette société et indique les voies d'une libération. Il perçoit son propre corps comme un corps sans organe à la suite d'une désorganisation maladive mais aussi suite à la découverte d'une force : la volonté de puissance nietzschéenne, l'inconscient préœdipien. Non asservi à une identité fixe, le schizophrène est ouvert à toutes les expériences possibles, incapable d'un rôle social déterminé. Multiple il n'a plus l'identité du Sujet et joue à des identifications transitoires (un peu comme Nietzsche juste avant de sombrer dans la folie). La schizo-analyse vise à évaluer les potentialités révolutionnaires de la schizophrénie.
Deleuze ne croit pas à une révolution globale qui générerait de nouveaux types de souveraineté. Il s'agit plutôt de faire en sorte que  « les gens pensent » et sachent trouver des « lignes de fuite » fragmentaires, avoir la « sagesse du milieu » et profiter des « interstices » du système. Il faut savoir être minoritaire. Selon Deleuze et Guattari, majoritaire est toute pensée, toute position qui s'estime « normale » et définit toute divergence comme écart à la norme, c'est-à-dire comme ce qui doit être expliqué. Minoritaire sont les groupes à qui ne pourrait venir le souhait voire l'idée que tout le monde soit comme eux. Toute pensée se définissant comme valable « en droit », tout outil se prétendant « neutre » sont majoritaires. La majorité ne passe donc pas par le nombre.
Si ce que Deleuze et Guattari appellent minorité ne rêve pas de devenir majoritaire ce n'est pas parce qu'elle cultiverait égoïstement sa particularité mais parce que l'expérience du devenir ne porte pas avec elle le rêve de sa généralisation. Ceux et celles qui ont connu un devenir-alpiniste ou mathématicien ne rêvent pas d'un monde d'alpinistes ou de mathématiciens.

Les principales œuvres.

  • Empirisme et subjectivité, 1953
  • Nietzsche et la philosophie, 1962
  • La philosophie critique de Kant, 1963
  • Présentation de Sacher-Masoch, 1967
  • Spinoza et le problème de l'expression, 1968
  • Différence et répétition, 1968
  • Logique du sens, 1969
  • Capitalisme et shizophrénie, en collaboration avec Félix Guattari :
    • Tome 1 : l'Anti Oedipe, 1972
    • Tome 2 : Mille Plateaux, 1980
  • Le Pli, 1988
  • Qu'est-ce que la philosophie ? (en collaboration avec Félix Guattari), 1991

  • Index des auteurs