Schopenhauer

Il inaugure une nouvelle forme de philosophie, celle qui remet en cause l'aptitude de la raison à éclairer le monde et l'aptitude de l'homme au bonheur. Philosophe pessimiste, son œuvre influencera profondément le jeune Nietzsche

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Schopenhauer

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Il considère l'œuvre de Kant comme " la plus considérable qui se soit produite depuis vingt siècles en philosophie ". Il revendique aussi l'influence de Platon pour sa théorie des idées. La philosophie hindoue est aussi une des sources de son œuvre. En revanche, il fut un détracteur sans concession de Hegel qu'il qualifie de " écrivailleur d'absurdités et détraqueur de cervelle "

La vie de Schopenhauer

Schopenhauer naît à Dantzig le 22 février 1788. Son père est un riche négociant de 40 ans qui lui donne le prénom d'Arthur pour que son fils devienne un véritable citoyen du monde (ce prénom se prononce de la même manière dans toutes les langues européennes). Il aime les voyages et pense que la meilleure éducation est celle donnée par la confrontation avec le monde. À l'âge de 9 ans, Schopenhauer part pour deux ans au Havre pour apprendre le français. À 15 ans, il voyage avec ses parents en France, en Hollande, en Angleterre où il apprend l'anglais. Il entre ensuite dans une école de commerce (son père lui a fait promettre qu'il embrassera la carrière commerciale) mais, alors qu'Arthur n'a que 16 ans, son père se suicide dans un accès de mélancolie. Sa mère, une célèbre romancière, ne s'entendra guère avec son fils. Alors qu'Arthur reste à Hambourg pour continuer ses études de commerce, elle s'installe avec la jeune sœur d'Arthur, Adèle, à Weimar pour animer un cercle littéraire fréquenté notamment par Goethe. Un critique d'art, Karl Fernow, insiste auprès de sa mère pour que le jeune Schopenhauer fasse des études classiques. À 19 ans, il entre donc au lycée de Gotha. À l'Université de Göttingen, il découvre les œuvres de Platon et celles de Kant ainsi que les religions orientales. En 1814, il est reçu docteur en philosophie à l'Université d'Iéna avec une thèse sur la Quadruple racine du principe de raison suffisante.
Schopenhauer s'installe ensuite à Weimar avec sa mère et fréquente Goethe dont il adopte la théorie des couleurs. Dès 1814, il se brouille avec sa mère qu'il ne reverra jamais. Il passe quatre ans à Dresde où il écrit Sur la vue et les couleurs (1816) et surtout Le Monde comme Volonté et comme Représentation, son chef d'œuvre, qu'il publie en 1818. Cette première édition n'a aucun succès. Schopenhauer fait alors un long voyage en Italie. À son retour (en 1820) il obtient un poste de professeur à l'université de Berlin où il se retrouve en concurrence avec Hegel qu'il méprise. Il décide de placer ses cours aux mêmes heures que ceux de son adversaire. C'est un nouvel échec : les étudiants ne viennent pas. Il repart en Italie de 1822 à 1824 et, après un nouvel essai décevant, renonce à l'enseignement. Sur le plan sentimental, les choses ne vont pas mieux. Sa maîtresse a en 1826 une grossesse qu'elle ne mène pas à son terme. Il a déjà vécu le même événement avec une autre compagne et il en conclut qu'il lui faut rester seul.
En 1831, il fuit Berlin en raison d'une épidémie de choléra (celle qui va emporter Hegel) et s'installe définitivement à Francfort où il vit de ses rentes, gérant l'héritage paternel. Il vit en ermite avec son chien dans un petit cabinet de travail orné d'une statue de Bouddha et de nombreux portraits de chiens. Il publie en 1836 De la volonté dans la nature et, en 1841, Les deux problèmes fondamentaux de l'éthique (Essai sur le libre arbitre; les fondements de la morale). Ces deux derniers textes ont été écrits, le premier pour un concours proposé par l'Académie des sciences de Drontheim en Norvège (Schopenhauer reçut un prix), le second pour un concours proposé par l'Académie de Copenhague (cette fois le mémoire est critiqué).
En 1844, paraît la deuxième édition du Monde comme volonté et comme représentation avec d'importants apports qui en doublent le volume. En 1847, c'est la deuxième édition de sa thèse de doctorat, profondément remaniée.
Il est encore presque inconnu, lorsqu'il rédige en 1851 les Parerga et Paralipomena (Accessoires et restes) qui vont enfin lui apporter le succès, succès confirmé à partir de 1853 lorsque Wagner le découvre. Une nouvelle édition du Monde comme volonté et comme représentation en 1859 va connaître un immense succès. On vient du monde entier écouter sa conversation sarcastique à l'hôtel d'Angleterre. C'est en pleine gloire qu'il meurt subitement le 21 septembre 1860.

Apport conceptuel.

Schopenhauer se veut d'abord le véritable successeur de Kant. On sait que celui-ci a opposé les phénomènes aux choses en soi. Ce qui nous apparaît dans l'expérience, ce sont les phénomènes et non les choses en soi. Autrement dit, le monde qui m'apparaît dans l'espace et le temps n'est pas le vrai monde mais une représentation subjective. Les phénomènes sont les manières humaines (et seulement les manières humaines) de nous représenter les choses. Nous ne connaissons pas les choses en soi mais ne les percevons qu'à travers un voile. Au-delà des phénomènes pour Kant existent donc les choses en soi inconnaissables. C'est ici que Schopenhauer cesse d'être kantien. Il réfléchit sur la chose en soi et découvre qu'elle n'est pas si inconnaissable. Nous avons en effet un corps qui n'est pas un phénomène parmi d'autres car nous en avons une expérience interne. Or de ce point de vue il est chose en soi. Le sujet dispose d'une connaissance immédiate de son être intime. Pour saisir l'essence du monde, il faut donc rentrer en nous-mêmes et nous découvrons alors que notre être se manifeste, s'affirme comme Volonté. Schopenhauer en vient à conclure qu'on peut généraliser cette découverte, d'abord par analogie au monde animal, ensuite au monde inorganique. Le monde entier va être pensé comme Volonté, ce qui est la meilleure approximation que le sujet connaissant puisse atteindre de la chose en soi. Tout dans l'univers (minéraux, végétaux, animaux), les êtres vivants comme toutes les forces chimiques et physiques sont animés de volonté. À l'opposition classique âme / corps, Schopenhauer substitue la dualité Volonté / Intellect. Ainsi, mon intellect par lequel je me représente le monde n'est nullement premier. Des premières ébauches d'intelligence apparaissent chez l'animal et elle se développe vraiment chez l'homme par le langage mais tout en restant au service du vouloir-vivre qui, lui, est premier.
Il faut bien voir que la Volonté chez Schopenhauer n'a rien à voir avec le libre arbitre. Elle est la puissance aveugle de la vie, sans fondement et surtout sans intention ou finalité qui fait de l'homme un jouet inconscient de ce qui l'anime. Elle s'affirme à travers une multitude de phénomènes, dans une lutte aveugle pour la vie sans ordre préétabli puisqu'il n'existe aucun plan divin (Dieu n'existe pas). La Volonté n'en est pas moins une : c'est la même volonté qui se manifeste partout et, du reste, la multiplicité, la diversité, l'individualité ne concernent que les phénomènes. Le principe d'individuation est une illusion. Le libre arbitre n'existe pas. Nous sommes en fait les esclaves du vouloir-vivre. Pour le dire autrement, l'homme est esclave du désir et oscille entre la souffrance (quand le désir est encore insatisfait) et l'ennui (après la satisfaction). Notre existence est toujours insatisfaite puisque la volonté ne veut rien d'autre que sa propre affirmation. Elle ne veut en somme que vouloir. La philosophie de Schopenhauer est un pessimisme. La souffrance est notre condition. L'amour lui-même n'est qu'une manifestation du vouloir-vivre. Certes le monde n'est pas dénué de sens (s'il est sans cause et sans fin puisque Dieu n'existe pas, néanmoins la volonté le rend intelligible), mais il est de tous les mondes possibles le plus mauvais.
La morale de Schopenhauer va être une morale du renoncement. Il faut en premier lieu renoncer à transmettre la vie car c'est transmettre la tromperie du bonheur. Le seul sentiment moral acceptable est la pitié qui reconnaît l'universalité de la souffrance. Elle suppose de renoncer à l'égoïsme (qui vient de l'illusion de notre individualité) et de comprendre l'identité du vouloir-vivre en tout homme. La seule délivrance est la négation du vouloir-vivre, non pas par le suicide mais simplement par l'acte de la non-volonté : "ce qui jusqu'ici a voulu ne veut plus". Nous ne sommes pas ici très éloignés du bouddhisme. Il faut renoncer au désir, mal radical. Continuer à vouloir, c'est se faire souffrir, lutter pour des biens imaginaires, être toujours insatisfait.
Mais comment renoncer au vouloir-vivre, comment faire en sorte de ne vouloir plus ? Une première solution réside dans la contemplation et, en particulier la contemplation esthétique, seule accessible à tous, ne serait-ce que dans le spectacle de la beauté de la nature. Schopenhauer reprend à Kant l'idée que la contemplation esthétique est désintéressée et que, donc, elle nous délivre de nos désirs. Mais, contre Kant, il considère que la contemplation esthétique est une connaissance métaphysique. Si les sciences ne peuvent atteindre que les phénomènes, l'art permet d'accéder aux Idées (Schopenhauer affirme qu'il faut prendre le mot "Idée" au sens platonicien). Ainsi, par exemple, l'architecture permet de saisir les idées de pesanteur et de résistance. L'art nous fait pénétrer l'intimité des choses. Il existe d'ailleurs un art capable d'atteindre directement la Volonté elle-même et c'est la musique, art métaphysique par excellence. La musique est l'"expérience directe de la volonté elle-même". Néanmoins cette supériorité est en un autre sens un défaut car elle ne peut nous procurer la même sérénité que les autres arts.
Le vrai remède au vouloir-vivre, le remède radical reste l'ascétisme qui est bien une non-volonté, le refus des biens de ce monde, la fusion dans le néant. Seul l'ascète accède à la liberté car seul il a vaincu l'égoïsme. Il rompt avec la Volonté grâce à une connaissance parfaite de l'essence du monde. L'homme clairvoyant annihile la Volonté dans le renoncement. Il renonce aux désirs. Il choisit la mortification pour vaincre le vouloir-vivre.
Il n'en reste pas moins vrai que la Volonté est impérissable et immuable. Le passé, l'avenir, la naissance, la mort, les individus (qui ne sont avons-nous dit que des phénomènes) ne la concernent pas. Les individualités disparaissent mais jamais la Volonté elle-même. Notre mort même ne supprime donc rien.
Schopenhauer influencera Nietzsche, Freud. Il remet en cause toute une tradition philosophique humaniste : la raison, la liberté, l'âme laissent la place à l'irrationnel, à la nécessité et au corps.

Les principales œuvres.

  • De la quadruple racine du principe de raison suffisante (1814)
  • De la vision et des couleurs (1816)
  • Le monde comme volonté et comme représentation (1818)
  • De la volonté dans la nature (1836)
  • Les deux problèmes fondamentaux de l'éthique (1841)
  • Parerga et Paralipomena (1851)

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