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Contre l'utilitarisme classique issu de Bentham, Rawls propose une solution originale pour concilier la justice sociale et le libéralisme. Théoricien du contrat, il est considéré aujourd'hui aux Etats-Unis comme un classique de la philosophie politique. |
Sommaire
Les sources de sa pensée.
La vie de Rawls
Apport conceptuel.
Principales uvres.
Les sources de sa pensée.
Il a lu Aristote et les classiques de la philosophie politique anglaise. Son contractualisme est partiellement inspiré de Rousseau mais sans une théorie de l'état de nature. Sa conception morale trouve son origine chez Kant. Il critique l'utilitarisme hérité de Bentham et Mill
La vie de Rawls
John Rawls est né en 1921 dans une famille riche de Baltimore. Il entre en 1939 à l'Université de Princeton qu'il doit quitter pour servir l'armée américaine lors des opérations américaines dans le Pacifique au cours de la seconde guerre mondiale. Il reprend ses études à Princeton en 1946 jusqu'en 1949 où il termine son doctorat de philosophie. La même année il épouse Margaret Fox, une artiste peintre et commence la rédaction de la Théorie de la Justice.
Il enseigne à l'Université Cornell et au Massachusetts Institute of Technology. En 1959, il est nommé professeur à Harvard où il va faire tout le reste de sa carrière.
Il publie en 1971 sa Théorie de la justice qui va susciter de nombreuses critiques : les ultra-libéraux le trouvant trop à gauche et les socialistes trop à droite. De 1971 à nos jours, Rawls a publié de nombreux articles pour expliquer et défendre sa théorie. Il publie en 1993 le Libéralisme politique et en 1996 Le droit des Gens. Résidant toujours à Harvard, Rawls est aujourd'hui considéré comme un classique de la philosophie politique.
Apport conceptuel.
1) La critique de l'utilitarisme - Le voile d'ignorance
L'utilitarisme de Bentham considère que l'humanité a pour finalité le bonheur, que chacun cherche à se procurer ce qui lui est utile et à éviter ce qui lui est nuisible. De la même manière, le but de l'État est de chercher le bien être collectif, considéré comme la somme de l'utilité des individus. Il s'agit d'obtenir le maximum de satisfaction pour le plus grand nombre.
Or cette thèse pose problème. Considérons pour le comprendre la situation suivante : il faut organiser une lutte collective contre une maladie mortelle très contagieuse. Or, pour fabriquer le sérum nécessaire à la protection générale il faut sacrifier deux victimes choisies au hasard. Selon le critère utilitariste nous sommes confrontés au choix suivant : soit tous meurent, soit deux seulement meurent et les autres survivent. Il faut donc préférer la seconde solution. L'utilitarisme va même plus loin : ceux qu'on sacrifiera seront les deux personnes les moins utiles à la société. Or, ici, c'est la conscience morale qui est choquée et, en particulier, les principes kantiens. Chez Kant, en effet, deux raisons au moins doivent nous interdire un tel choix :
- Tout individu est une personne et, en tant que telle, il n'y a pas d'individu ayant plus ou moins de valeur qu'un autre. La discrimination est contraire à la morale. Nous devons tous avoir les mêmes droits.
- L'une des formulations de l'impératif catégorique nous dit de ne jamais prendre l'humanité (dans ma personne comme dans celle d'autrui) seulement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin. Or il est clair que les deux individus sacrifiés sont bien pris uniquement comme moyens et non en même temps comme fins.
Faut-il alors néanmoins sacrifier toute la population parce que la morale interdit le sacrifice de deux d'entre nous ? C'est là qu'intervient la théorie de Rawls qui envisage une situation originelle totalement hypothétique où les individus réagissent sous un voile d'ignorance. Cette situation hypothétique n'est pas sans faire penser au Contrat Social de Rousseau ou de Locke. Il s'agit bien, en effet, de faire dériver les principes de l'autorité politique d'une convention première par laquelle des partenaires isolés s'associent pour former une communauté de droit. Mais Rawls pense qu'en manière de politique nous sommes toujours tentés de juger les théories en fonction des avantages personnels que leur application nous procurerait. Il faut donc une position où les partenaires sont situés derrière un voile d'ignorance de telle sorte qu'ils ignorent tout de ce qui sera leur place dans la société (patron ou ouvrier, actif ou inactif), leurs aptitudes naturelles (fort ou faible, valide ou handicapé etc.) et sans conception préalable du Bien (donc non sous l'emprise d'une quelconque religion). Le contractant ignore même quelles seront les "circonstances particulières de sa propre société" c'est-à-dire quelle sera sa puissance économique, son régime politique, son niveau culturel. C'est dans ce cadre que les individus s'accorderont sur ce que doivent être les principes de la justice.
Dans notre exemple précédent, l'important n'est plus alors le résultat (sauver mille personnes au détriment de deux ou les sacrifier toutes) car la fin ne justifie pas les moyens. Chaque personne décidera selon sa propre conception du Bien. Imaginons un autre exemple : soit cinquante personnes vivant dans un marais où sévit le paludisme. Pour sauver la population, il faut assécher le marais. Le travail pénible fera sans doute des victimes (disons deux personnes) et ne profitera pas à trois des individus qui sont déjà immunisés. Faut-il ou non assécher le marais ? Sous le voile d'ignorance on ne sait, ni si on fait partie de ceux qui sont immunisés, ni si on fait partie de ceux qui mourront dans les travaux. Tout ce que l'on sait c'est que si on n'assèche pas on a trois chances sur cinquante de survivre (parce qu'on fera partie des immunisés) alors que si on assèche la probabilité monte à quarante-huit sur cinquante. Nul doute que, sous le voile d'ignorance, on votera unanimement l'assèchement.2) La justice comme équité
En supposant donc des sujets placés derrière le voile d'ignorance, tous raisonnablement égoïstes (ils se préoccupent de leur avenir) et doués de raison, sur quels principes généraux de répartition des biens peuvent-ils s'accorder ?
Selon Rawls tous les citoyens dans cette situation vont s'accorder sur deux principes :
- Selon le premier principe (principe d'égale liberté), "chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de liberté de base égale pour tous, compatible avec un même système pour tous". Cela signifie que chacun aura les mêmes droits et devoirs de base. Chacun souhaite les mêmes droits fondamentaux : liberté de circulation, d'expression, de réunion, de propriété etc. "Les libertés de base ne peuvent être limitées qu'au nom de la liberté". La liberté est inaliénable et, ici, Rawls se révèle libéral et proche de la philosophie des Lumières.
- Le deuxième principe (principe d'inégalité) énonce que les inégalités de fait (économiques et sociales) ne sont justifiées que si elles sont :
- attachées à des fonctions, des emplois accessibles à tous, dans des conditions impartiales d'égalité des chances (principe d'égalité des chances). Cela suppose que la société doit atténuer au maximum les éventuelles différences naturelles.
- pour le plus grand profit des plus désavantagés (principe de différence) car la société doit être une entreprise de coopération et non de compétition
Ces principes sont hiérarchisés : le principe d'égale liberté est prioritaire sur les deux autres et le principe d'égalité des chances est prioritaire sur le principe de différence.
Une société juste n'est donc pas égalitaire mais c'est une société équitable où les positions donnant le plus d'avantages sont accessibles à tous et où les avantages obtenus par certains profitent aussi aux laissés pour compte. Par exemple si certains sont assez riches pour acquérir des uvres d'art ils les placeront néanmoins dans des musées où les plus pauvres pourront les admirer. Les inégalités ne profitant pas à tous sont injustes.
L'idéal rawlsien est un idéal démocratique. Rawls pense qu'il est possible d'étendre à la société des nations les hypothèses élaborées. Les régimes dictatoriaux ne peuvent donc être acceptés comme membres de droit dans une société raisonnable des peuples.
Les principales uvres.
- Théorie de la justice (1971)
- Libéralisme politique (1993)
- Le droit des gens (1996)
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