Les présocratiques

pythagore

Comme leur nom l'indique, ils précèdent Socrate dans la chronologie philosophique et sont donc les vrais premiers philosophes. S'ils relèvent d'une sorte de préhistoire de la philosophie, c'est surtout parce que de leurs œuvres ne nous restent souvent que très peu de choses : quelques mots, une phrase, un fragment de texte, souvent des citations que leur empruntèrent les philosophes postérieurs qui, eux, possédaient leurs écrits. Ce que nous savons de leur pensée et de leur vie est donc souvent information de seconde main à prendre avec quelques précautions. On trouvera ici ce qui est le plus souvent admis.

Pythagore

Sommaire

Les sept sages.

L'école de Milet.

Pythagore et les pythagoriciens.

Héraclite d'Éphèse.

Parménide et l'école d'Élée.

Empédocle d'Agrigente.

Anaxagore.

Démocrite.

Les sophistes.

Les sept sages

Leur nombre est évidemment symbolique. L'ennui est que les sept sages sont en réalité… vingt-trois. Les traditions ne s'entendent que sur quatre d'entre eux : Thalès, Pittacos, Bias et Solon. Les trois autres sont choisis au choix, selon le commentateur, dans la liste suivante : Aristodème, Pamphile, Chilon, Cléobule, Anacharsis, Périandre, Acousilaos, Caba ou Scala, Myson, Epiménide, Phérécyde, Léophante, Pythagore, Épicharme, Orphée, Pisistrate, Hermionée, Lasos et Anaxagore.
Des sept sages ne nous restent que quelques maximes ou prescriptions qui leur sont attribués, sans du reste que l'authenticité de ces préceptes soit établie. En fait de philosophie, il s'agit plutôt de sortes de proverbes. Ce sont des conseils de prudence, de morale qui ne dépassent pas la sagesse pratique. En voici quelques morceaux choisis : "Ne mens pas, dit la vérité", "Respecte tes amis" (Solon), " Rends ce qu'on t'a confié ", "Ce que tu projettes de faire, ne le dis pas, car si tu ne réussis pas, on rira de toi " (Pittacos), " N'embellis pas ton extérieur ; c'est par ton genre de vie qu'il faut t'embellir ", " Cache ton bonheur pour éviter de provoquer la jalousie" (Thalès), "Réfléchis à ce que tu fais ", " Adolescent, applique-toi à l'action, vieillard, à la sagesse " (Bias)
On le voit, on ne trouve ici nul raisonnement, démonstration ou discussion mais des préceptes présentés comme évidents.
Une anecdote raconte qu'un jour les sept sages se seraient rendus à Delphes au temple d'Apollon où se tenait le célèbre oracle. Le prêtre le plus âgé leur demanda de graver chacun une maxime sur les murs du temple :

  • Chilon écrivit sur le fronton le fameux " Connais-toi toi-même " dont on sait quelle importance il eut pour Socrate lors de sa propre visite à Delphes.
  • Cléobule et Périandre, de chaque côté du portail, gravèrent " Excellente est la mesure " et " La tranquillité est la plus belle chose du monde "
  • Solon choisit un coin obscur et écrivit " Quand tu auras appris à obéir, tu sauras commander "
  • Thalès, sur les murs extérieurs du temple, grava " Souviens-toi de tes amis "
  • Pittacos, sur le sol devant le trépied de la Pythie inscrivit un énigmatique " Restitue la caution "
  • Bias, le dernier, ne savait quoi écrire. Comme ses amis insistaient, il finit par consentir à écrire:" La majorité des hommes est méchante ". Comment faut-il comprendre cette phrase ? Signifie-t-elle que l'homme est naturellement méchant ou faut-il plutôt penser que la majorité des hommes n'est méchante qu'en tant que majorité c'est à dire qu'isolé, l'individu peut être honnête mais, qu'en groupe, les hommes deviennent des bêtes féroces ?

L'école de Milet

Au VII° et VI° siècle av. J. C., Milet, cette ville de la côte d'Asie Mineure, est la plus importante de l'Ionie. Ville où le commerce est intense, elle accueille les navires chargés de biens précieux. Comme souvent lorsque les affaires sont prospères, on s'éloigne de la religion pour s'intéresser à des activités plus pratiques et plus rationnelles.
Les philosophes de Milet ont pour point commun la recherche du principe dont sortent toutes choses. Ce sont donc avant tout des physiciens (c'est à dire qu'ils veulent comprendre la nature) à la recherche de l'élément primordial (l'archè) dont serait issue toute réalité.

1) Thalès de Milet.

a) Éléments biographiques.
Il naît dans la seconde moitié du VII° siècle av. J.C. Ses parents sont phéniciens. Il voyagera très tôt entre l'Égypte et le Moyen-Orient. Il apprend, par l'intermédiaire des prêtres égyptiens et chaldéens tout ce qu'on sait à l'époque en matière d'astronomie, de mathématique, de science de la navigation. Une anecdote raconte que quand sa mère lui demandait pourquoi il ne se mariait pas, il répondait "Il n'est pas encore temps", jusqu'au jour où il changea ainsi sa réponse : "Il n'est plus temps".
La tradition présente Thalès comme un homme étrange, la tête dans les nuages, dénué de sens pratique. On raconte qu'un jour, occupé à regarder les étoiles, il ne regarda pas où il mettait les pieds et tomba dans un puits, ce qui fit beaucoup rire. Pourtant Aristote dément cette absence de sens pratique. Thalès, grâce à la connaissance des astres, sut prévoir une abondante récolte d'olives. Il loua à bas prix tous les pressoirs disponibles qu'il sous-loua ensuite à un prix plus élevé, montrant ainsi qu'un philosophe, s'il le veut, peut s'enrichir et que s'il restait pauvre ce n'était pas par maladresse mais par volonté.
On raconte aussi que Thalès sut prévoir l'éclipse de 585 av. J. C. mais, en réalité, il s'agit sans doute d'un hasard. Sa science sur ce point ne dépassait pas celle des chaldéens qui prévoyaient que les éclipses solaires se présentent à peu près tous les 90 ans (la prévision astronomique des éclipses est, en réalité, plus complexe). En revanche, il est probable qu'il sut calculer la hauteur des pyramides en établissant une proportion entre l'ombre projetée par une pyramide et celle d'un autre objet dont la hauteur lui était connue. Par la géométrie aussi, il sut mesurer d'un point de la côte la distance d'un vaisseau en mer. À vrai dire, tout ceci est sujet à caution puisqu'il ne nous laissa aucun ouvrage. Il mourut de chaleur dans un stade, alors qu'il était très âgé, lors d'une compétition d'athlétisme.
b) La philosophie de Thalès.
Il remplace l'explication mythique de l'univers par une explication physique et est, en mathématiques, un des précurseurs de la science grecque. Thalès explique l'univers par un principe unique : l'eau. C'est l'eau qui engendre les autres éléments que sont la terre, l'air et le feu. Tout ce qui est vivant est humide. L'eau est l'âme des choses, l'élément primordial, l'archè. L'air et le feu ne sont que des exhalaisons de l'eau et la terre en est un dépôt résiduel.
La terre est un radeau flottant sur une énorme étendue d'eau dont les tangages peuvent provoquer des tremblements de terre. Les astres flottent sur les eaux d'en haut.
Ainsi Thalès pose un principe unique d'explication de la nature. Même si celui-ci peut nous sembler naïf, le simple fait de ne plus voir l'explication du monde dans les dieux constitue un premier pas important qui conduit à la naissance de la philosophie.

2) Anaximandre.

a) Éléments biographiques.
Il naît vraisemblablement en 610 av. J. C. et semble avoir été l'élève de Thalès. Il est connu pour avoir dessiné le premier une carte de géographie. On dit aussi qu'il aurait inventé le gnomon (c'est à dire le cadran solaire) et qu'il aurait prévu un tremblement de terre dans la région de Sparte. En réalité nous ne savons rien de précis sur sa vie et nous ne possédons pas ses œuvres, à l'exception d'un fragment reproduit par Aristote. Nous savons qu'il avait composé un traité intitulé De la Nature alors qu'il avait 64 ans.
b) La philosophie d'Anaximandre.
Comme Thalès il cherche l'élément primitif expliquant toute chose. Mais pour lui il ne s'agit plus de l'eau mais de l'infini ou l'illimité, l'apeiron, terme grec difficile à traduire et qui signifie aussi l'indéterminé. Toute réalité en serait issue et toute réalité s'achèverait en lui. Il ne s'agit pas d'une vue métaphysique et nous sommes ici encore proches des mythes. Selon Anaximandre, il n'est pas possible qu'un des quatre éléments (eau, air, terre, feu) soit l'essence primordiale de l'univers car alors la suprématie de cet élément aurait entraîné la disparition des autres. Eau, air, terre et feu sont des entités limitées gouvernées par l'apeiron et chaque fois qu'un des quatre éléments l'emporte, l'apeiron le repousse. En somme, les éléments assaillent leur contraire mais la nécessité les domine et impose des proportions inaltérées.
Quant à son système du monde, Anaximandre pense qu'au commencement était l'apeiron. Puis le chaud et le froid se séparèrent, le premier se plaçant à l'extérieur (une sphère de feu s'étendit autour de l'air qui enveloppait la terre), le second s'installant au centre du monde. La terre est un disque plat dont la hauteur est le tiers du diamètre et qui est suspendu dans l'air au centre de l'univers. Elle n'a pas besoin de support parce que, parfaitement au centre, elle n'a aucune raison d'aller dans un sens ou un autre.
Autour de la terre, tournent des roues sur le bord intérieur desquelles se trouvent des trous à travers lesquels nous voyons le feu extérieur. C'est ce qui expliquerait notre vision des astres. Quand les ouvertures se bouchent, il se produit des éclipses et les phases de la lune ont la même cause.
Le mérite d'Anaximandre est de proposer une première ébauche de cosmologie, si naïve nous semble-t-elle.

3) Anaximène.
Philosophe moins important que les deux précédents, nous ne savons rien de sa vie et ses œuvres sont perdues. Comme tous les philosophes ioniens, il cherche le principe de toutes choses. Il le trouve dans l'air qui a la caractéristique d'être invisible et à qui il attribue l'adjectif apeiron d'Anaximandre. En se transformant, l'air produit le feu (par raréfaction) et les nuages, l'eau, la boue, la terre, les pierres (par condensation). "L'air est Dieu" et apparaît comme ayant les vertus de la vie.
Anaximène distingue les planètes des étoiles fixes. Les étoiles fixes sont rejetées aux confins du monde, fixées sur la voûte céleste. En dessous se situent les cinq planètes, puis le soleil, la lune et enfin la terre au centre. L'air, en se comprimant aux limites du monde et sous l'influence du feu qui solidifie en desséchant constitue une voûte gelée et transparente (la voûte céleste).
La terre est une assiette, un plateau, une sorte de bouclier de forme concave, soutenu par l'air et qui constitue une sorte de couvercle de la voûte céleste. Entre le ciel et la terre, existe un échange perpétuel de matière comme la pluie, la grêle etc. Le soleil est aussi une table ronde mais son mouvement rapide rend ses couches externes incandescentes. Si le soleil disparaît la nuit, c'est parce que des montagnes de glace nous en soustraient la vue. La lune prend sa lumière du soleil et c'est pourquoi Anaximène ne croit pas que le soleil passe sous la terre (où n'existe que de l'air) car sinon la lune en disparaîtrait.

Pythagore et les pythagoriciens.

Il semble que Pythagore était d'origine ionienne mais le pythagorisme se développe ailleurs, d'abord à Crotone. Le pythagorisme est d'abord une école mystique et le personnage de Pythagore s'auréole de légende. Ce que nous dirons de sa vie est plus que sujet à caution.
1) La vie de Pythagore.
Selon la légende, le dieu Hermès donna à son fils Aétalide la mémoire éternelle. Pythagore prétendait être la réincarnation d'Aétalide et prétendait se souvenir de ses quatre réincarnations. Fils de joaillier, il naquit en 570 av. J. C. dans l'île de Samos. Il aurait reçu un enseignement mathématique des prêtres égyptiens et aurait ensuite voyagé à travers le monde. Revenu chez lui, il est précepteur du fils de Polycrate, le tyran de Samos. Détestant la vie de débauche de la cour, il part vers l'âge de quarante ans à Crotone, sur la côte italienne où il fonde une école. Les initiés y vivaient tous ensemble selon le régime de la communauté des biens. On raconte que toutes les nuits le maître parlait, dissimulé derrière un rideau et c'était gloire que de parvenir à l'apercevoir. Les élèves eux-mêmes n'avaient ce privilège qu'après cinq années d'étude.
Pythagore divisait l'humanité en deux catégories : les mathématiciens qui ont le droit d'accéder à la connaissance (mathémata) et les acousmaticiens qui ne peuvent qu'écouter.
L'école pythagoricienne avait tout d'une secte : le secret, le rite d'initiation, la figure du grand maître, les symboles. Certains commentateurs pensent que le pythagorisme subit l'influence des confréries orphiques et des fameux "Mystères".
On attribua à Pythagore de nombreux évènements extraordinaires dans les détails desquels nous n'entreront pas. Même sa mort est sujette à de nombreux récits contradictoires. On raconte qu'un jour le tyran de Phlionte, Léon, demanda à Pythagore : "Qui es-tu ?" et que celui-ci lui répondit : "Je suis un philosophe ". Pythagore passe donc pour avoir inventé le mot "philosophie" qui signifie, rappelons-le, amour de la sagesse.
2) La philosophie pythagoricienne.
Pythagore croit en la métempsycose : l'âme se réincarne après la mort et peut transmigrer dans un autre corps d'homme, ou d'animal, ou même de plante.
Le pythagorisme soutient surtout que l'élément primordial de l'univers, l'archè est le nombre. Tout est nombre. Les nombres ont une réalité concrète et ont une épaisseur. Ils ont une réalité spatiale. Par exemple un est un point, deux une droite, trois un plan et quatre un solide. Toute chose ayant une forme est donc décomposable en points, lignes etc. On comprend mieux l'affirmation pythagoricienne que tout est nombre. Tous les phénomènes naturels, constate Pythagore, sont mesurables : les figures, les mouvements des astres et aussi les sons. Ainsi, on peut établir un rapport constant entre la longueur des cordes d'une lyre et les accords fondamentaux de la musique (1/2 pour l'octave, 3/2 pour la quinte etc.). L'harmonie des nombres gouverne la nature. De fait tout devient un problème d'harmonie. La santé elle-même est harmonie entre les parties du corps et entre le corps et le cosmos, la justice sociale est une harmonie entre les hommes où chacun est récompensé selon ses mérites (au plan politique, Pythagore préconise le gouvernement des savants). Les nombres ont une valeur morale. Par exemple, le 4 et le 9 représentent la justice parce que ce sont des carrés et ils représentent donc l'équilibre. Le 1 représente l'intelligence, le 2 l'opinion etc.
Les pythagoriciens réfléchissent sur l'impair (l'indivisible) et le pair (divisible indéfiniment). Ils découvrent la notion d'illimité en arithmétique mais aussi en géométrie : on sait que Pythagore donna son nom à un célèbre théorème. Or, celui-ci montre que la mesure de la diagonale du carré est un nombre irrationnel : V¯2. Nous verrons que cette idée d'illimité opposera le pythagorisme et Zénon d'Élée.
En ce qui concerne la cosmologie, les pythagoriciens pensent qu'au centre de l'univers se situe un feu autour duquel tournent la terre, la lune, le soleil, les 5 planètes connues à l'époque, les étoiles fixes et un dixième corps céleste (qu'implique le caractère symbolique du nombre 10), l'antiterre, une planète semblable à la notre mais située diamétralement à l'opposé du feu central et donc invisible. Les dix astres parcourent des orbites circulaires et émettent une musique, l'harmonie des sphères, inaudible à nos oreilles car cette musique est constante et notre oreille ne perçoit que des différences. Au-delà des dix orbites se situe l'espace infini.
Parmi les pythagoriciens, il faut citer Archytas de Tarente qui vécut à la fin du V° siècle et au début du IV° siècle av. J. C. Il sauva la vie de Platon, lorsque celui-ci fut menacé par le tyran de Syracuse, Denys. Archytas exerça une influence sur la philosophie platonicienne, philosophie qui trouve donc une de ses deux sources dans le pythagorisme (l'autre source est Socrate). On retrouvera chez Platon La théorie de la métempsycose, le gouvernement de la cité par les sages, l'importance accordée aux mathématiques et à l'astronomie. Dans le Ménon est posé le problème de la duplication du carré dont la solution est une application du théorème de Pythagore.

Héraclite d'Éphèse

Héraclite d'Éphèse naît au commencement du V° siècle, sans que la date exacte puisse être déterminée. Nous ne connaissons pas grand chose de sa vie. Il semble assuré qu'il était issu d'une famille sacerdotale (il serait le descendant de Codros, le tyran d'Athènes) et était, en tant qu'aîné, destiné à devenir un notable d'Éphèse. Il renonça à ses droits en faveur de son frère. Parmi les privilèges auquel il renonça figure la présidence aux cérémonies de Déméter Eleusinienne, ce qui expliquerait sa connaissance des mystères et son goût pour les formules sibyllines qui lui valurent le surnom d'obscur.
Héraclite critique ouvertement la religion de son temps : "Le monde n'a été fait par aucun des dieux." Il fait du feu le principe primordial parce qu'il possède les attributs de la matière la plus subtile et la moins corporelle. Mais il est surtout le philosophe du devenir, de la lutte des contraires. La réalité est un flux, un changement incessant des choses. Même ce qui nous semble le plus immuable, le plus immobile, présente à la longue des altérations : les vivants vieillissent, le roc est soumis à l'érosion etc. C'est le sens de la célèbre formule " Nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve. ". Le monde est une sorte de champ de bataille où s'affrontent des forces opposées. L'opposition des contraires est condition du devenir des choses mais aussi principe et loi. La lutte des contraires n'est pas une exception mais la norme de la vie. L'état de stabilité, de paix, est la confusion des choses dans l'embrasement général. Il existe cependant une loi de compensation universelle puisque la quantité de matière d'échange (le feu) demeure immuable. Mais sans lutte des contraires rien n'évolue ni n'existe. " La guerre est le père de toutes choses " (en grec, guerre se traduit par un nom masculin). Le conflit recèle du reste une rationalité qu'Héraclite appelle logos et qu'il conçoit vraisemblablement comme une simple loi naturelle régissant la lutte entre les éléments.
La pensée d'Héraclite sera reprise par les penseurs modernes, même si les fragments qui nous restent de son œuvre restent souvent énigmatiques.

Parménide et l'école d'Élée.

Élée se situe sur la côte ouest de l'Italie. Cette ville fut fondée en 540 av. J. C. par les colonisateurs phocéens. On peut discuter de l'appartenance de Xénophane à l'école éléate. En revanche, la liaison entre Parménide, Zénon et Mélissos est évidente. Zénon se contenta de développer la dialectique sans changer la doctrine parménidienne. Mélissos, lui, donna à l'être, l'attribut de l'infinité que Parménide lui refusait.

1) Xénophane.
On discute, nous l'avons dit, pour savoir s'il appartient vraiment à l'école d'Élée et il est vrai qu'il fait un peu figure d'isolé. Il naquit à Colophon (au nord de Milet). La tradition le présente comme rhapsode, poète, chanteur, compositeur. Il quitta sa ville natale sans doute parce que le gouvernement des Perses s'était durci. Capturé et vendu comme esclave, il aurait été racheté par des pythagoriciens. C'est à leur contact qu'il aurait écrit la plupart de ses œuvres, œuvres dont nous ne connaissons quasiment rien. Il finit à Élée où il aurait jeté les premiers fondements de l'école éléate.
Xénophane s'oppose à la vision des dieux qu'on trouve chez Homère et Hésiode qui ont " attribué aux dieux tout ce qui pour les hommes est objet de honte et de blâme". Dieu, entité supérieure, est unique et est tout. Xénophane a donc une vision panthéiste du monde c'est à dire que chaque chose est dieu et l'ensemble des choses forme un tout unique ayant un caractère divin. Malheureusement les ignorants se représentent les dieux à leur image : " Les Éthiopiens les voient camus et noirs, les Thraces avec les yeux bleus et les cheveux rouges " et " si les bœufs, les chevaux et les lions avaient des mains, ils peindraient leurs dieux comme des bœufs, des chevaux et des lions."
Dieu ne peut pas être né (car le parfait ne peut naître de l'imparfait). Il est donc sa propre cause. Il est un car s'il y avait plusieurs dieux certains l'emporteraient sur d'autres et l'idée d'un dieu inférieur est contradictoire. Dieu est suprême et l'idée de plusieurs dieux égaux n'est donc pas davantage concevable.
Xénophane prétend que la terre est infinie et qu'il y a donc une infinité de soleils pour l'éclairer en toutes ses parties. Les astres que nous voyons ne sont jamais les mêmes : ils s'éteignent dans la mer et les déserts et d'autres naissent formés par les exhalaisons humides qui se condensent et s'enflamment. Comment en effet expliquer autrement le mouvement apparent des astres si la terre est infinie ?
Ayant reconnu des empreintes fossiles de poissons, de plantes, de coquillages, dans la région de Syracuse, il en conclut que l'eau et la terre ont dû être autrefois mélangés, l'eau s'étant en partie évaporée.

2) Parménide.

a) Éléments biographiques.
Il naquit à la fin du VI° siècle av. J. Il aurait eu pour maître Xénophane et le pythagoricien Aminias. Né riche, de bonne famille, il aurait joué dans sa ville natale un rôle de législateur. Il aurait fait un voyage à Athènes, en 450 av. J. C., accompagné de Zénon et aurait rencontré Socrate, rencontre rapportée par Platon dans le dialogue intitulé Parménide. Il faut cependant mettre en doute la réalité historique de cette rencontre : Platon ne se soucie guère de la vérité historique des dialogues qu'il raconte et invente pour les besoins de son exposé.
b) La pensée de Parménide.
De l'œuvre ne nous reste qu'un poème intitulé De la nature qui ne nous est parvenu qu'en partie (300 vers environ). La forme en est poétique et allégorique, ce qui rend difficile l'interprétation. Parménide évoque un attelage devant lequel s'ouvrent deux routes : l'une est ouverte et est la route de la vérité et de l'être, l'autre est une impasse et est la route de la pensée empirique et du non-être. La voie de l'être nous dit que l'être est et de façon nécessaire alors que l'autre voie affirme que l'être n'est pas et que le non-être est. Autant dire que cette seconde voie (l'opinion) se contredit et que Parménide affirme l'exigence de la non-contradiction c'est à dire l'exigence logique.
L'être est un, homogène, immobile. Il est fini, continu, sphérique et ne connaît ni le passé ni le futur. Il est inengendré et donc éternel. Parce qu'il n'existe pas de passage de l'être au non-être ou du non-être à l'être, il faut donc penser le devenir comme impossible. Certes les apparences me montrent du mouvement mais ce n'est justement qu'apparence, qu'illusion puisque l'être est et ne peut pas ne pas être.

3) Zénon d'Élée.

Il naquit vraisemblablement au commencement du V° siècle (vers 490 av. J. C.). Parménide, reconnaissant ses talents, en aurait fait son fils adoptif. Zénon étudia la physique, les mathématiques et l'astronomie. Excellent polémiste, il passe pour être l'inventeur de la dialectique selon Aristote. Il eut de nombreux élèves comme Mélissos et Empédocle. Il paya de sa vie sa passion pour la politique : Zénon aurait en effet ourdi une conspiration contre le dictateur Néarque. Démasqué, il fut enchaîné et torturé. Refusant de parler, il se serait coupé la langue en la mordant. Alors Néarque ordonna qu'on le pile dans un mortier pour le réduire en petits morceaux.
Zénon est surtout connu pour ses paradoxes qui visent à montrer l'impossibilité du mouvement. Ils reposent en grande partie sur l'idée que les notions de divisibilité et de grandeurs indivisibles sont inadmissibles parce que contradictoires. Le nombre n'est ni indivisible, ni divisible à l'infini. Cette thèse permettra de mettre fin à la notion archaïque de nombre comme doué d'épaisseur et conçu comme un point (contre Pythagore), ce qui donnera une base plus saine aux mathématiques.
Les quatre célèbres paradoxes de Zénon suivent le même processus logique : il s'agit, en partant de certitudes, de suivre un itinéraire logique pour conduire à des conclusions impossibles :

  • Premier paradoxe : supposons un coureur qui désire aller d'un point A à un point B. Il ne pourra atteindre le point B sans passer d'abord par un point C, milieu de AB. Pour atteindre ce point C, il doit d'abord passer par un point D, milieu de AC et ainsi de suite. Comme un segment de droite peut être divisé à l'infini, pour arriver en B notre homme devra passer par un nombre infini de points, ce qui lui prendra un temps infini. Il n'arrivera donc jamais à destination.
  • Second paradoxe : on suppose une course entre Achille qu'Homère surnomma "au pied léger" en vertu de sa rapidité à la course, et une tortue. Comme dans la fable, la tortue part la première et atteint un point que nous appellerons A. Achille décide alors de la rattraper. Le temps qu'il arrive en A, la tortue aura avancé et se trouvera en un point B. Quand Achille atteint ce point B, la tortue a encore avancé (un peu moins bien sûr) et se trouve au point C et ainsi à l'infini. Achille ne rattrapera donc jamais la tortue.
  • Troisième paradoxe : un archer décoche une flèche. Certes la flèche semble voler. Cependant à chaque instant elle est immobile. Or le mouvement ne peut résulter d'une somme d'immobilités.
  • Quatrième paradoxe : imaginons deux bateaux qui démarrent à vitesse égale de chaque extrémité d'un bassin, l'un dans un sens, l'autre en sens contraire. Un observateur se situe sur le bord, à l'exact milieu du bassin. Les deux bateaux se croisent. À cet instant, celui qui est à l'intérieur d'un des bateaux a l'impression que l'autre bateau se déplace deux fois plus vite que ne le pense l'observateur situé au bord. Zénon en conclut que si le mouvement dépend de celui qui l'observe, il n'existe pas.

Le dernier de ces paradoxes sera réfuté par Galilée qui montrera que le mouvement n'a justement de sens que si on précise par rapport à quoi on le décrit. Ainsi dire que la terre est en mouvement par rapport au soleil n'est pas plus vrai que de dire que le soleil est en mouvement par rapport à la terre : tout dépend de ce qu'on prend comme repère du mouvement (ici soit le soleil, soit la terre).
Les trois premiers paradoxes se résolvent mathématiquement par l'introduction du calcul infinitésimal (inventé par Leibnitz).
Or aussi bien la théorie de Galilée que le calcul mathématique fondé sur la notion d'infini ne remontent qu'au XVII° siècle. À l'époque où Zénon énonce ses paradoxes, ils sont bien irréfutables.

4) Mélissos.
Né à Samos entre 490 et 480 av. J. C., il a participé à la vie politique et commandait la flotte samienne lorsqu'elle remporta la victoire sur les Athéniens en 442 av. J. C. Comme chez Parménide, l'être de Mélissos est doué d'éternité mais il est aussi infini. Quand Platon considère que Mélissos est un grand philosophe, Aristote pense différemment car Mélissos confère à la nature un caractère d'infinité que, lui, réservait au domaine de l'immatériel. Il est vrai que l'être de Mélissos est plus proche de l'apeiron d'Anaximandre que de l'Être parménidien. L'être de Mélissos est une chose positive.

Empédocle d'Agrigente.

1) Eléments biographiques.
Agrigente se situe en Sicile. Au V° siècle av. J.C., la ville est riche et prospère et le commerce y est développé. Empédocle y naquit vers 492 av. J. C. d'une famille noble et aisée. Ce serait après avoir écouté Xénophane qu'Empédocle décida de se consacrer à l'étude de la nature. Après une période courte d'activité politique (il était du parti des démocrates), il partit pour Élée. Parménide le déçut par son intellectualisme abstrait. De retour en Sicile, il fit partie de l'école pythagoricienne mais son caractère expansif lui valut d'être rétrogradé au rang de ceux qui écoutent sans avoir le droit de parler. Il se serait ensuite rendu en Orient, intéressé par les arts mystiques. C'est qu'Empédocle a une personnalité ambiguë. Il passe à la fois pour un philosophe et pour un charlatan, pour un physicien et pour un gourou. N'oublions pas qu'à l'époque la magie est considérée comme sérieuse car elle met l'homme en relation avec les dieux. Empédocle fut aussi médecin, expert en anatomie humaine. De retour à Agrigente, il voulut y réformer les mœurs.
La tradition le représente, avançant d'un pas majestueux, dans les rues d'Agrigente, escorté d'admirateurs, vêtu de pourpre avec une ceinture d'or, une couronne delphique et portant des souliers de bronze.
Lors d'une épidémie de peste, il devina que les eaux stagnantes en étaient la cause et fit creuser des canaux de dérivation à ses frais pour y mêler deux autres cours d'eau voisins. Inventeur de la rhétorique selon Aristote, il eut pour élèves Gorgias et Pausanias. Il écrivit deux poèmes, La Nature et Purification dont il nous reste 400 vers.
Les récits de sa mort sont contradictoires. Le plus célèbre prétend qu'il se serait jeté dans le cratère de l'Etna et que le volcan rejeta ses fameuses sandales de bronze. D'autres prétendent qu'il se serait suicidé par pendaison.
2) La philosophie d'Empédocle.
En physique, il aurait découvert l'existence de l'air comme étant un élément matériel. Au plan de la cosmologie, il affirme quatre éléments primordiaux dans la nature : le feu, l'air, la terre et l'eau et deux principes qui mélangent entre eux ces éléments : l'amour et la haine. À l'origine règne l'amour mais la discorde s'introduit dans cette perfection pour donner naissance à une deuxième phase : la haine désintègre le monde jusqu'à ce qu'à nouveau l'amour réinstalle l'harmonie et ainsi de suite. Notre époque actuelle serait celle que domine la discorde.
Selon Empédocle, à l'origine de la vie se situent des particules qui se combinèrent d'abord sans ordre, les premiers êtres vivants naissant au hasard : des trompes sans cou, des bras sans épaule, des êtres avec deux visages et deux torses etc., bref des formes hallucinantes. Ces monstres périrent et ne restèrent en vie que les plus harmonieux.
Du monde dans lequel les éléments séparés ont été réunis par l'amour, s'est dégagé l'air qui a enveloppé le tout selon une sphère. Le feu a occupé ensuite un hémisphère céleste tandis que l'air a occupé l'autre. Comme la sphère céleste tourne, on peut alors expliquer l'alternance du jour et de la nuit. Autrefois cette alternance était de dix mois mais la discorde accélère le mouvement de révolution ce qui a fixé la terre au centre du monde, un peu comme l'eau dans un récipient en rotation rapide reste à l'intérieur. Empédocle affirme que la lune emprunte sa lumière au soleil. Il affirme aussi l'inexistence du vide.
En matière de religion, il est un disciple du pythagorisme et croit en la métempsycose.
Philosophe poète, il hantera l'imagination d'un Hölderlin, d'un Nietzsche. Dans l'antiquité, il influencera le Platon du Timée mais surtout Lucrèce, cet autre philosophe poète.

Anaxagore.

1) Eléments biographiques.
Athènes devient au V° siècle, le centre culturel de la Grèce antique. C'est le siècle de Périclès. Avec Anaxagore, la philosophie s'implante à Athènes. Il naît à Clazomènes, petite ville ionienne des environs de Smyrne entre 500 et 497 av. J. C. Son maître fut Diogène d'Apolloniate, le successeur d'Anaximandre. Anaxagore se désintéresse de la politique, lui préférant la contemplation des astres. Ses connaissances astronomiques le rendirent célèbre. On lui attribue des prévisions : une éclipse solaire, un tremblement de terre et même la chute d'une météorite. Il s'installe à 20 ans à Athènes où il fonde une école. Ami de Périclès, la disgrâce de celui-ci lui vaut d'être arrêté et condamné à mort. Périclès parvient à le faire fuir et il doit s'exiler à Lampsaque où il meurt vers 428.
2) La philosophie d'Anaxagore.
Anaxagore fut surnommé le Noús c'est à dire la raison, l'esprit. Il caractérise l'effervescence rationaliste qui caractérise la société athénienne du V° siècle.
Selon Anaxagore, les éléments primordiaux, les substances premières, sont en nombre infini. Il les appelle homeoméries. Il ne s'agit donc plus de l'archè unique des philosophes de Milet, ni des quatre éléments d'Empédocle mais de particules en nombre infini, différant entre elles par la forme, la couleur et le goût. Il ne s'agit pas d'atomes puisque l'atome est par définition indivisible et puisque Anaxagore refuse le vide, indispensable à la théorie atomiste. Chaque chose contient en elle toutes les espèces de substance quoique l'une d'elles prédomine.
A l'origine, les homéoméries étaient entassés en vrac dans un chaos. Une force organisatrice, le noús (l'intelligence) communique un mouvement giratoire, concentrique et continu à la matière. Le semblable se joint au semblable, organisant le monde selon des forces mécaniques, ce qui signifie que le noús n'est pas une providence. Après le premier mouvement, tout s'explique mécaniquement. Le noús est intelligence, en tant qu'il n'est pas hasard, mais n'a rien à voir avec Dieu.
Chaque chose possède en plus de ses caractéristiques principales leurs contraires. Par exemple, si la neige est blanche, elle contient néanmoins en elle quelque chose de la noirceur. Le semblable recherche aussi son contraire.
 " Tous les êtres qui ont une âme sont mus par l'intelligence ". Cette intelligence existe en quantité plus ou moins grande selon les êtres. Les plantes elles-mêmes en possèdent une puisqu'elles ont vie et même sensibilité. La sensation est produite par le contraste : on perçoit le froid par contraste avec le chaud, par exemple. Les astres sont des masses incandescentes de nature identique à celle des corps terrestres (Rappelons qu'à l'époque l'opinion croyait que les astres étaient des dieux, d'où l'accusation d'athéisme que subit Anaxagore).
Les hommes naquirent de l'humide pour naître ensuite les uns des autres. Parce qu'ils possédaient des mains, ils devinrent les êtres les plus intelligents de l'univers.

Démocrite.

1) Eléments biographiques.

Démocrite naît à Abdère entre 500 et 457 av. J. C. Il bénéficie d'un héritage important qui lui permet de voyager à travers le monde. Il étudie l'astronomie avec les Chaldéens, la théologie avec les Mages, la géométrie avec les Egyptiens. Il aurait été jusqu'en Inde. Il arrive à Athènes où il aurait rencontré Socrate.
Quand Démocrite rentre dans sa patrie, il est ruiné et doit vivre de l'aumône de ses frères. La tradition raconte que la dilapidation des biens paternels lui valut d'être condamné par le gouvernement à ne pas être enterré dans sa patrie. Il aurait alors lu en public son livre Le grand système du monde et on lui assura des funérailles aux frais de l'État assortis d'une somme de cent talents. Une légende raconte que, devenu vieux, il se serait rendu aveugle en exposant ses yeux aux rayons du soleil reflétés par un bouclier d'argent.
On lui accorde une vie très longue. Il serait mort entre 404 et 359. Il se serait suicidé à plus de cent ans en diminuant progressivement sa quantité de nourriture.
2) La philosophie de Démocrite.
Selon Démocrite, la réalité est faite d'atomes et de vide. Les atomes sont des corpuscules indivisibles, semblables par leur qualité mais diverses par la forme, la taille et la position. Les atomes tantôt s'assemblent, tantôt se séparent. Ils existent depuis toujours, se déplacent depuis toujours dans un tourbillon qui explique qu'ils peuvent se heurter. C'est donc purement mécaniquement que les atomes se réunissent ou se décrochent. Toutes les réalités sont faites d'atomes, y compris l'âme ou la pensée. L'âme est formée d'atomes plus ronds, plus mobiles et plus lisses que ceux du corps. L'âme produit le mouvement des êtres vivants. La pensée est mouvement. La respiration apporte au corps de nouveaux atomes qui remplacent ceux qui disparaissent.
La sensation s'explique par des variétés du toucher : chaque objet exhale un effluve matériel mais invisible, l'éidolon, qui heurte les atomes de l'air jusqu'à atteindre, de proche en proche, les atomes de la pensée. L'éloignement de la pensée rend la sensation plus ou moins nette et il faut donc se méfier du témoignage des sens. Cela ne fait pas de Démocrite un sceptique car nous disposons d'un autre mode de connaissance, plus certain, la raison.
Démocrite concilie Parménide et Héraclite : il accorde à Parménide l'atome (immuable, indivisible, sans vide à l'intérieur comme l'être parménidien) et à Héraclite le vide (lieu où les atomes se déplacent dans un continuel devenir). Démocrite refuse aussi toute explication finaliste.
La morale de Démocrite reste conservatrice. Il faut se réjouir le plus possible mais l'art d'être heureux est dans la limitation des désirs, dans la maîtrise de soi. En politique, il faut obéir aux lois, chercher la concorde.
Epicure adopta la doctrine de Démocrite mais en y ajoutant la pesanteur et la déclinaison des atomes.

Les sophistes.

Sophistes et rhéteurs (les deux professions se confondent souvent) connurent un énorme succès en leur temps.
La rhétorique sicilienne naît à la suite des révolutions qui conduisent les orateurs à réfléchir sur les principes de leur art. Les sophistes s'annexèrent la rhétorique en lui donnant une base sceptique.
Le rhéteur est une sorte d'avocat de l'époque. Il faut se souvenir qu'à Athènes les procès étaient nombreux mais qu'il n'était pas permis de se faire défendre par un avocat. Chacun devait se débrouiller seul et tant pis s'il ne savait pas parler en public. Les rhéteurs proposèrent alors leurs services et, contre espèce sonnante et trébuchante, proposèrent d'écrire des plaidoiries que leurs clients apprenaient par cœur.
Les sophistes, eux, sont, à une époque où Athènes est très ouverte au commerce, des maîtres qui ont voyagé et se sont rendus compte de la variabilité des mœurs et des coutumes. Ils en vinrent à conclure que la vérité aussi est variable, relative et professèrent leur scepticisme mais sans fonder d'école, en indépendant et en faisant souvent payer très cher leurs cours. Experts en art oratoire, ils rivalisent d'éloquence et se vantent de pouvoir traiter tout sujet, de défendre la thèse et l'antithèse. Ils s'attribuent une compétence universelle, de plus en plus indifférents au contenu des idées. Ils tendent tous vers l'empirisme sceptique, l'utilité pratique. L'apport positif des sophistes fut surtout d'approfondir l'étude de la parole, de la grammaire. Mais ils contribuèrent aussi progressivement à l'appauvrissement de la pensée grecque. On sait combien Platon s'opposera aux sophistes.

1) Protagoras.
Il naquit à Abdère, ville de Thrace sur la mer Égée, vers 480 av. J.C. De famille pauvre, il commença par gagner sa vie en transportant des marchandises pour les commerçants locaux. Démocrite, l'ayant remarqué, lui proposa de s'inscrire à son école. Il devint maître d'éloquence. Ses cours étaient très chers et il devint très riche. Il exerça sa profession pendant quarante ans. À 70 ans, les Athéniens lui intentèrent un procès pour son impiété. Il avait écrit : " Pour ce qui est des dieux, je n'ai aucune possibilité de savoir s'ils existent, ni s'ils n'existent pas ". Contraint de fuir, il mourut dans un naufrage au large de la Sicile. On brûla ses livres. Protagoras est le seul sophiste pour lequel Platon semble avoir ressenti une certaine admiration.
La philosophie de Protagoras se résume dans cette phrase : " L'homme est la mesure de toutes choses ". Cela signifie que chaque individu (chaque homme) conçoit la vérité à sa propre mesure. Le relativisme de Protagoras est un sensualisme. L'homme connaît grâce à la sensation mais la sensation est relative. Ainsi le miel semble sucré à l'homme bien portant mais amer à l'homme malade et il est clair que, si chacun dit ici le contraire de l'autre, néanmoins tous deux disent vrais. Ainsi la vérité varie d'un individu à l'autre et même, pour un individu, d'un moment à l'autre.
À partir du moment où des affirmations contradictoires peuvent être toutes vraies, on peut alors démontrer n'importe quoi. Protagoras a d'ailleurs des prétentions morales : puisqu'on peut démontrer n'importe quoi, on peut aussi démontrer au malade qu'il doit prendre sa potion. Certes, on pourrait rétorquer qu'il est aussi possible de démontrer le contraire. Néanmoins, si Protagoras considère que ces deux positions contradictoires se valent au plan de la vérité, elles ne sont pas équivalentes au plan pratique et l'une vaut mieux (c'est à dire est plus utile) que l'autre.
Platon attribue à Protagoras (dans le dialogue du même nom) le mythe de Prométhée et d'Épiméthée qui apparaît comme une défense de la démocratie puisque, selon ce mythe, l'art politique est distribué par Zeus à tous les hommes et non à quelques spécialistes. L'intelligence y est aussi présentée non pas comme une fin, mais comme un instrument, un moyen utilitaire suppléant à notre absence d'instinct. Ceci fait de Protagoras plus un intellectuel qu'un authentique philosophe.

2) Gorgias de Léontion.
Né entre 480 et 475 av. J. C. à Léontion près de Syracuse, il aurait été l'élève d'Empédocle. Les léontins l'envoyèrent en ambassade à Athènes en 427 afin d'obtenir une aide militaire face à la menace de Syracuse. Ce fut un événement car Gorgias fit découvrir aux Athéniens la nouvelle éloquence sicilienne. Devenu célèbre, on se disputa ses leçons. Gorgias revint souvent à Athènes. Il aurait vécu jusqu'à l'âge de 108 ans.
Gorgias, dans ses discours, privilégie la forme sur le contenu. Pour Gorgias, la vérité n'existe pas ou, ce qui revient au même, n'est pas à notre portée. Tout ce qu'on peut faire est d'exercer le pouvoir grâce à la parole.


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