Ockham

Guillaume d'Ockham est surtout connu pour ses prises de position dans ce qu'on a appelé, après coup, la querelle des universaux. Il s'inscrit dans ce qu'on appelle aujourd'hui le courant nominaliste même s'il n'a jamais employé ce mot.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie d'Ockham

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

Il connaît, comme tous ses contemporains, l'œuvre de Saint Augustin et celle d'Aristote. Il a aussi commenté l'Isagoge de Porphyre et lu Boèce (480-524). On peut aussi noter l'influence de Duns Scott (1265-1308). Il se situe dans la filiation d'Abélard.

La vie d'Ockham

Guillaume d'Ockham naît, comme son nom l'indique, à Ockham dans le Surrey (non loin de Londres) à une date que nous ignorons (vers 1285-1290). Il entre jeune dans l'ordre des franciscains. Sous-diacre en 1306, il commence des études de théologie à Oxford en 1309. Il y commente le Livre des sentences de Pierre Lombard (entre 1317 et 1319). Il est alors "bachelier formé" au terme d'une cérémonie dite inceptio, ce qui fait de lui un inceptor, c'est-à-dire un simple candidat à la maîtrise. Il ne deviendra jamais maître en théologie. En 1324, en effet, ses études sont interrompues sur dénonciation du chancelier de l'Université, John Lutterel. Une liste de propositions tirées de son Commentaire des sentences est en effet jugée hérétique. Il est convoqué à Avignon devant le pape Jean XXII. Il conserve trois ou quatre ans durant sa liberté de mouvement et d'enseignement, résidant au couvent des Franciscains, sans qu'aucune condamnation formelle n'intervienne.
Cependant, au cours de son séjour en Avignon, Ockham se lie à la fraction de son ordre (notamment Michel de Césène) qui défend, contre le pape, la pauvreté intégrale préconisée par Saint François. Or, pour mieux défendre la cause, cette faction devient allié et bientôt agent de Louis de Bavière dont Jean XXII refuse la désignation comme empereur. Louis de Bavière se fait couronner à Rome et fait élire l'antipape franciscain, Nicolas V.
En 1328, Guillaume d'Ockham s'enfuit d'Avignon avec Michel de Césène et trois autres franciscains. Il se rend d'abord à Pise, puis à Munich. Son sort est désormais lié à celui de l'empereur. Il mène une féroce polémique contre Jean XII.
Quand Jean XXII meurt, son successeur Benoît XII devient à son tour la cible d'Ockham. Ockham meurt à Munich le 10 avril 1347.

Apport conceptuel.

Ockham est célèbre pour ses prises de position dans ce qu'on a appelé la querelle des universaux.
La querelle des universaux oppose les réalistes aux nominalistes. La question qui est alors posée est la suivante : y a-t-il des réalités universelles correspondant aux mots généraux ("homme", "table", "justice" etc.) dont nous nous servons. Les universaux sont des concepts, des idées générales et la question est donc de savoir s'ils ont une existence réelle.

  • Aux yeux des réalistes, les idées, les concepts ont une existence réelle, substancielle. Les idées générales ont une existence séparée. Le mot "justice" renvoie à quelque chose, "la justice en-soi" ou "l'essence de la justice". Cette thèse, héritée de Platon, affirme donc que les idées existent hors de l'esprit qui les conçoit.
  • Pour les nominalistes, en revanche, il n'y a rien d'universel dans le monde en dehors des "dénominations" c'est-à-dire des mots, des signes. Les choses sont toutes individuelles et singulières et les noms ne sont que des étiquettes permettant de classer les objets. Les idées ne sont que des abstractions.

Guillaume d'Ockham ne se revendique pas comme nominaliste mais il critique effectivement le réalisme. Les universaux ne sont pour lui que des concepts sans contenu extérieur au sujet qui les pense. Ils correspondent à un acte de l'esprit qui les conçoit. Par exemple, existe tel ou tel arbre mais l'idée d'arbre n'existe pas indépendamment de l'existence des arbres matériels. L'essence n'existe pas indépendamment de l'existence.
La logique d'Ockham repose sur la théorie du signe, objet premier de la logique. Il définit le signe comme " tout ce qui, étant appréhendé, fait connaître quelque chose d'autre". Que le signe soit un renvoi à une autre réalité relève de l'évidence, sans quoi il ne serait pas signe. Mais on trouve ici en plus l'idée que le signe "fait connaître", qu'il engendre une connaissance. Quand Saint Augustin pensait que le point de départ est toujours sensible (une enseigne, un son etc.), pour Ockham ce n'est pas nécessaire car ce peut être aussi un concept. Le concept est signe autant que le mot. C'est un signe mental qui correspond à une modification de notre âme qui réagit au contact des choses singulières. Il faut donc traiter la pensée comme un langage mental. Le signe mental est un signe naturel car tous les hommes ont la même structure intellectuelle. Il faut distinguer le signe conceptuel du mot parlé qui, lui, est conventionnel. Les mots parlés signifient de façon conventionnelle ce que les concepts signifient de façon naturelle. Le langage mental est le modèle unique qui permet de penser les langages parlés qui, eux, sont pluriels.
Il faut bien voir que, pour Ockham, c'est bien la chose qui est signifié par le signe mental (ce qui le place aux antipodes de la linguistique moderne issue de Saussure). Le concept est signe et c'est la chose qui est signifié. Le signe (mental ou vocal) tient lieu d'une chose selon un rapport immédiat. Ainsi "homme" se réfère immédiatement à la collection d'hommes selon un processus de monstration et non de démonstration. Ceci reste vrai même en ce qui concerne les choses absentes. Ainsi, j'ai le droit de dire "Socrate était un homme" si, à un moment donné, il a été possible de dire "Socrate est un homme".
Pour Ockham tout ce qui existe est singulier. Il n'y a d'être que singulier et se poser la question de l'être de l'universel n'a pas de sens. L'universel est la réalité utilisée comme signe et n'est donc qu'une question de signification parmi d'autres. Le langage se réfère au monde puisque le concept est généré à partir du contact avec la chose singulière.
Si l'homme en général n'existe pas comme réalité, le mot "homme" ne renvoie pas non plus à la liste de tous les individus humains puisque cette liste est indéfinie. Il est impossible de se référer à tous les individus humains existant, ayant existé, pouvant exister. Cependant il y a des ressemblances entre les choses et c'est ce qui permet un concept commun, ce que Ockham appelle supposition confuse, "confuse" signifiant qu'on peut l'appliquer à une pluralité et "supposition" ce qui "tient lieu de". J'ai vu Pierre. J'en tire un concept qui reste en moi puisque je puis reconnaître Pierre. Mais je peux avoir un concept plus confus qui ne me donne pas tous les détails et peut aussi s'appliquer à Paul. C'est le concept d'homme. Les ressemblances ne sont pas des fictions et permettent l'universel. Cela signifie aussi que le monde n'est pas un chaos, une masse informe où on pourrait découper comme on le veut. Le monde est réel et connaissable.
Au plan moral, Ockham pense que le libre arbitre est une évidence empirique. La morale dépend des libres décisions divines. Ainsi les commandements divins (y compris ceux du Décalogue) relèvent de la volonté divine. Dieu aurait pu, sans contradiction, prescrire le vol et l'adultère ainsi que la haine du Créateur. Cela ne signifie néanmoins pas qu'il faudrait contester les valeurs. Ockham oppose au droit divin, le pouvoir qu'ont les individus de juger librement tout ce qui n'est pas prescrit précisément dans l'Écriture Sainte. Ockham laisse donc la place aux contrats et aux pactes qu'ils soient d'ailleurs d'association ou de soumission. Ce sont les individus qui existent réellement et non le groupe social. Chacun a donc le droit de disposer de sa vie comme il l'entend, en toute indépendance. L'autorité politique doit procéder du consentement des hommes.
La puissance divine est absolue et n'a d'autre limite que la non-contradiction. Le monde aurait donc pu être tout autre qu'il n'est. Il est contingent. On ne peut connaître les desseins divins, seule la révélation nous donnant la certitude. Toute médiation (notamment celle du pape) entre Dieu et nous est superflue.
Le fameux "rasoir d'Ockham" est un principe d'économie selon lequel "il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité". Ainsi, pour expliquer un phénomène qui se manifeste à notre expérience, on doit s'efforcer d'en trouver la ou les causes dans d'autres phénomènes que nous connaissons déjà et on n'aura recours à des principes échappant à notre expérience (les essences mais aussi la volonté divine ou le miracle) que si toute autre explication fait défaut. Ockham juge économique d'admettre que, dans la nature, Dieu laisse agir les causes secondes (c'est-à-dire les causes de la nature elle-même, les causes physiques) sans sans cesse intervenir lui-même. Par exemple c'est bien le feu (et non Dieu) qui brûle. On peut donc utiliser l'induction et la déduction pour connaître. Ce n'est, bien sûr, pas encore la méthode expérimentale mais c'est dans la lignée d'Ockham que ses successeurs comme Buridan et Oresme traiteront comme des quantités les qualités de la physique d'Aristote et considéreront comme concevable le mouvement de la terre.

Les principales œuvres.

  • Commentaire des sentences (1317-1319)
  • Petite somme de philosophie naturelle (1319-1321)
  • Exposition sur les livres de l'art logique (1321-1323)
  • Traité sur la prédestination et la prescience divine concernant les futurs contingents (1321-1323)
  • Exposition sur les réfutations sophistiques (1321-1323)
  • Courte somme des livres de physique (1322-1323)
  • Somme de logique (1323)
  • Exposition sur la physique d'Aristote (1322-1324)
  • Questions sur la physique (1323-1324)
  • Quodlibets (1324-1325)
  • Brévilogue sur la puissance du pape (1334-1343)

Index des auteurs