Vivons-nous pour être heureux ?


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Les mots du sujet

Le sens du problème

Le « pour » renvoie à la notion de finalité. Si l'on vit pour être heureux, c'est alors que le but, la finalité de la vie est le bonheur. La question qui est posée est donc celle du pourquoi. Pourquoi vivons-nous ? Quelle est la raison de notre existence. Une possibilité nous est proposée : le bonheur. Pourquoi celle-là ? Parce qu'elle correspond à l'opinion commune, qu'elle est aussi largement répandue en philosophie et notamment dans la philosophie antique. Elle semble donc aller de soi. Il s'agit d'interroger un préjugé commun, voir s'il est fondé ou non.
On remarquera qu'il ne va pas de soi du tout qu'il y ait une fnalité à l'existence. Il y a donc trois réponses possibles :

Présupposé de la question

Nous vivons ou plutôt nous existons et donc nous nous interrogeons sur le sens de notre existence. Nous sommes même la seule espèce à le faire.

Réponse spontanée

Elle est affirmative.

Plan rédigé

Introduction

Tout dans notre société semble nous inciter au bonheur et de l'homme malheureux, dépressif, on a tendance à penser qu'il est malade et mérite d'être soigné. Pourtant le bonheur semble échapper à notre maîtrise et si, étymologiquement, le bonheur est la « bonne chance » alors il faudrait penser que l'homme a à réaliser ce qu'il ne peut réussir. En même temps, dire que nous devons vivre pour quelque chose c'est penser qu'il y a un but à l'existence, ce qui ne va pas de soi. Y-a-t-il un sens prédéterminé à notre existence et, dans l'affirmative, cette finalité est-elle le bonheur ou autre chose ? La question est importante car c'est la question de la condition humaine qui est au centre du problème et son éventuelle absurdité. De prime abord il semble tout de même bien que le bonheur soit la finalité que tout le monde se donne. Néanmoins, parce qu'il a une raison, l'homme n'est-il pas destiné à une finalité plus haute ? Enfin penser que l'existence a une fin, n'est-ce pas supposer que quelqu'un de supérieur, Dieu, a déterminé cette fin, et qu'en est-il alors si Dieu n'existe pas ?

I .Nous vivons pour être heureux

1) La position antique
La philosophie antique a posé comme une évidence que tout homme cherche à être heureux et la sagesse consiste alors à savoir comment faire pour y parvenir.
La pensée antique ne le discute pas : l'homme cherche le bonheur. C'est, par exemple, le sens du « Nul n'est méchant volontairement » attribué à Socrate. Le méchant agit involontairement parce qu'il croit que le mal le rendra heureux. Il se trompe sur ce qu'est le bonheur. La connaissance lui apprend que le bien heureux et donc le sage est vertueux. Ce raisonnement repose sur le principe (non interrogé) que tout homme cherche le bonheur, axiome répété par Platon. La philosophie antique va, par conséquent, chercher comment faire pour être heureux. On pourrait se dire que cela rejoint le sens commun. Nous vivons dans une société où les injonctions à être heureux sont constantes aussi bien dans le discours publicitaires (consommer, acheter pour être heureux), politique etc.

2) Bonheur et plaisir . On aurait néanmoins tort de confondre la position philosophique et celle de l'opinion. Le sens commun confond bonheur et plaisir, pensant qu'être heureux c'est avoir. Or le bonheur n'est pas le plaisir. Le plaisir est éphémère, ponctuel alors que le bonheur est un état de satisfaction durable. En tant que nous avons une nature animale et une vie biologique nous cherchons en effet le plaisir. Le bébé hurle quand il a mal et est apaisé dans le plaisir. La sélection naturelle a lié le plaisir à la satisfaction des besoins vitaux. Si manger était douloureux le bébé se laisserait mourir de faim. Il s'agit d'une question de survie. Mais l'homme n'est pas qu'un animal. Il a une conscience de soi. Il pense et il peut alors comprendre que le plaisir est décevant. Platon, dans le Gorgias, montre que la recherche du plaisir nous piège dans un cercle. Le plaisir achevé, je le regrette et le recherche à nouveau sans parvenir à la plénitude. L'homme du plaisir est pareil au mauvais tonneau, au tonneau percé qui ne garde rien de ce qu'on y met. Epicure nous conseille de classer nos désirs car si « le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse », encore faut-il éviter les plaisirs qui ont pour conséquences des douleurs. Ainsi si je peux sans problème satisfaire les désirs naturels et nécessaires qui sont simples et toujours accessibles (manger, boire, dormir, me protéger du froid mais aussi penser et philosopher) je ne dois satisfaire qu'avec modération les désirs naturels et non nécessaires. Manger des mets raffinés apaise certes la faim mais à trop en abuser le plaisir s'émousse et surtout nous risquons d'en devenir dépendants et d'être malheureux si des revers de fortune nous interdisent de le faire. Quant aux désirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires, il faut les fuir comme la peste. Jamais satisfaits (le riche veut toujours être plus riche, le conquérant n'en a jamais assez etc.), ces désirs mettent l'âme sans cesse en mouvement. L'esprit n'est jamais en paix alors même que le véritable bonheur se situe dans l'ataraxie (absence de trouble de l'âme) et l'aponie (absence de trouble du corps). Ainsi l'homme sera « comme un dieu » nous dit Epicure et aura donc atteint une forme de perfection

3) Vertu et bonheur
Il faut néanmoins préciser qu'en faisant du bonheur le but de notre existence, la philosophie antique fait aussi de la vertu la finalité de l'homme. Le bon et le bien se confondent en effet dans la langue grecque. La vertu c'est l'arété en grec, c'est-à-dire l'excellence. Aristote, par exemple, nous dit que le bonheur est le souverain bien (c'est-à-dire la fin suprême de l'homme) mais être heureux c'est obtenir ce qui nous « caractérise spécialement ». Or qu'est-ce qui caractérise spécialement l'homme ? Ce n'est pas se nourrir ou grandir car les plantes aussi se nourrissent et grandissent, ce n'est pas non plus « avoir des sensations » ce qui caractérise tous les animaux. Le propre de l'homme est l'activité de l'âme. Le bonheur ne peut donc se trouver dans les plaisirs du corps aux yeux d' Aristote. Le bonheur réside donc dans la vertu (arété) c'est-à-dire l'usage parfait de sa raison dans la conduite de sa vie. Or, dans La politique, Aristote précise que « l'homme est un animal politique » c'est-à-dire un être destiné à vivre dans une communauté administrée par des lois. C'est même ce qui nous distingue des dieux (qui vivent en autarcie) et des bêtes qui, soit vivent seuls, soit vivent dans des sociétés régies par l'instinct sans loi ni gouvernement. Aristote précise que la preuve que nous sommes destinés à vivre en société est le langage. Si être heureux c'est obtenir « ce qui nous caractérise spécialement », il semble bien que cela ne puisse se faire hors de la société.
Du reste, peut-on être heureux si les autres ne le sont pas ? Mais n'est-ce pas dire que peut-être nous ne vivons pas, ou tout au moins pas seulement, pour notre bonheur personnel ? N'y-a-t-il pas d'autres finalités à notre existence ?

II Bonheur et morale

1) La dualité humaine
L'homme est corps et esprit, existence biologique et raison. N'y-a-t-il pas alors non pas une mais deux finalités à notre existence ?
En tant que nous avons un corps nous cherchons bien le bonheur, bonheur que Kant définit comme étant « la satisfaction de toutes nos inclinations ». Mais ce n'est pas là la finalité propre de l'homme. Les bêtes aussi cherchent à satisfaire leurs inclinations. Mais si nous nous étions contentés de cela aurions-nous une histoire ? Pourrions-nous progresser ? Dans Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, Kant explique que si la nature avait voulu notre bonheur elle nous aurait donné des instincts plutôt que l'intelligence. L'instinct indique en effet à l'animal ce qui lui convient sans erreur possible. Si tel avait été le cas, nous serions alors comme les bergers d'Arcadie dont le bonheur champêtre et simple ne dépasse guère celui de leurs moutons. Mais nous n'avons pas d'instinct mais une raison qui nous indique que nous sommes destinés à autre chose. À quoi ? Kant répond que nous sommes destinés à la morale.

2) La morale est notre vraie finalité et elle nous rend « digne d'être heureux »
La morale doit être universelle sinon elle n'existe pas. Il n'y a pas de sens à reprocher à quelqu'un ce qui lui serait permis ailleurs. Or seule la raison permettra de penser des règles universelles. La morale doit être désintéressée. Celui qui agit moralement par intérêt, n'hésitera pas à commettre le pire s'il est à son avantage. On voit alors que l'homme moral n'agit pas pour être heureux. Il agit « par devoir » c'est-à-dire dans la seule finalité morale. La recherche de notre seul bonheur pousse à l'égoïsme. Il n'y a de véritablement morale, nous dit Kant, qu'une volonté bonne c'est-à-dire une volonté qui n'a pas d'autre fin que le bien. La morale apparaît alors comme la finalité proprement humaine car en effet seul l'homme peut penser ce qu'est le bien et le mal et seul il peut librement choisir le bien. L'animal n'est pas libre. « La nature commande et la bête obéit » dit Rousseau. L'homme lui est capable de résister à sa nature. En tant qu'humain nous devons donc tout faire pour être vertueux y compris, si cela est nécessaire, sacrifier notre bonheur à cette quête.
Nous deviendrons alors, nous dit Kant, « digne d'être heureux ». L'injuste n'est pas digne d'être heureux. Si l'homme vertueux n'est pas nécessairement heureux, il aura au moins la certitude de mériter le bonheur.

3) Le Souverain Bien
La finalité morale est bien indépendante du bonheur chez Kant mais ne peut-il être possible de réconcilier les deux ? Kant reconnaît qu'il n'est guère facile pour l'homme de sacrifier sa finalité animale qu'est le bonheur au profit du devoir. C'est du reste ce qui le conduit à postuler l'existence de Dieu. Un homme qui cherche à être moral sans croire en Dieu va être sans cesse ébranlé dans sa conviction morale : « Le mensonge, la violence, la jalousie ne cesseront de l'accompagner bien qu'il soit lui-même honnête, pacifique et bienveillant ; et les personnes honnêtes qu'il rencontre, en dépit de leur dignité à être heureux, seront cependant soumises, tout de même que les autres animaux sur cette terre, par la nature qui n'y prête point attention, à tous les maux de la misère, des maladies et d'une mort prématurée et le demeureront toujours, jusqu'à ce que la vaste tombe les engloutisse tous (honnêtes ou malhonnêtes peu importe) et les rejette, eux qui pourraient croire être le but de la création, dans l'abîme du chaos sans fin de la nature dont ils ont été tirés » (Critique de la raison pure). Ainsi, si on ne postule pas l'existence de Dieu, l'homme honnête est toujours roulé puisque, l'expérience le montre, ce sont souvent les plus injustes qui sont les plus heureux. En revanche, si on admet que Dieu existe, alors notre finalité morale est confortée. En effet Dieu est censé avoir créé le monde et l'homme et c'est donc lui qui nous a à la fois destinés au bonheur et à la morale. Dieu ne se contredit pas. Il m'assure que bonheur et morale sont compatibles, liés. Il m'assure qu'en suivant la morale j'agis aussi pour le bonheur car le vrai bonheur advient lorsque tous les hommes agissent moralement. Dieu a créé l'homme pour ces deux fins qui se réunissent bien sûr dans la vie éternelle après la mort.
Remarquons qu'il ne s'agit pas d'être moral pour mériter le bonheur dans l'au-delà. Ce serait en effet alors une action intéressée, conforme au devoir mais non faite « par devoir ». De ce point de vue le chrétien qui prétend qu'il faut sacrifier son bonheur sur terre pour mériter le bonheur au paradis fait bien du bonheur sa finalité et en ce sens Kant n'est pas vraiment chrétien. Néanmoins postuler l'existence de Dieu c'est admettre que bonheur et morale ne sont pas incompatibles. Du reste faire du bonheur le but de l'existence c'est plus chercher « comment vivre ? » que « pourquoi vivre ? » Il s'agit moins de préciser le sens de l'existence qu'un mode d'emploi du vivre. C'est donc bien la morale qui donne sens et non le bonheur.
Pourtant postuler l'existence de Dieu, n'est-ce pas penser que, pour qu'il y ait un sens, une finalité à l'existence, il faut recourir à l'existence de quelqu'un qui donne ce sens ? Mais alors que penser si Dieu n'existe pas car après tout, et Kant nous l'a montré, l'existence de Dieu est indémontrable ?

III Y-a-t-il un sens à l'existence humaine ?

1) L'homme est-il prédestiné ?
Dire que l'homme vit « pour » être heureux ou « pour » être moral c'est sous-entendre qu'il y a un sens prédéterminé à notre existence, c'est supposer que quelqu'un nous a prédestiné pour effectuer cette finalité, bref c'est postuler l'existence de Dieu. Un sens suppose toujours une conscience, une volonté qui justement se donne des fins.
Si Dieu a créé l'homme, il l'a créé dans un but précis, pour quelque chose. Comme le dit Sartre, on peut dire alors que « l'essence précède l'existence ». L'homme est voué à faire ce que Dieu a prévu pour lui. Il vit « pour » ce qu'il a décidé : travailler à sa gloire, « gagner son pain à la sueur de son front », respecter les commandements etc. Mais alors aussi il n'est pas libre. Mais ceci n'est vrai que si Dieu existe. Or rien ne prouve cette existence. Il s'agit d'une affaire de foi.
Qu'en est-il si Dieu n'existe pas ? Alors, dit Sartre, il n'y a plus d'essence préétablie de l'homme puisque personne pour la penser. L'homme existe d'abord et se définit ensuite, en termes philosophiques « L'existence précède l'essence ». Nous ne sommes pas destinés à quelque chose. Nous sommes et c'est tout, tout comme est cette pierre, tout comme sont les lois de la physique sans qu'il y ait à chercher quelque dessein ayant créé tout cela dans un but précis.

2) L'existence n'a pas de sens
Schopenhauer déjà affirmait que tout dans l'univers est animé par une puissance aveugle de vie sans fondement et sans finalité. L'homme est le jouet inconscient de ce qui l'anime. Il n'existe aucun plan divin et nous sommes esclaves de notre vouloir vivre dont l'expression consciente constitue le désir. Esclave de ce désir, l'homme oscille sans cesse entre la souffrance (quand le désir est insatisfait) et l'ennui (lorsqu'il a obtenu satisfaction). La souffrance est notre condition. La morale de Schopenhauer va alors être une morale du renoncement. Il faut d'abord renoncer à transmettre la vie car c'est transmettre la tromperie du bonheur. Le seul sentiment acceptable est la pitié qui reconnaît l'universalité de la souffrance. La seule délivrance est la négation du vouloir-vivre non dans le suicide qui ne résout rien mais dans l'acte de non-volonté (peu éloigné du bouddhisme). Désirer le moins possible (ascétisme), tout au plus rechercher le plaisir esthétique (dont Schopenhauer reconnaît le caractère désintéressé) voilà tout ce qu'il reste à l'homme.
Ainsi si l'existence n'a pas de fin, pas de sens, il semble que nous soyons condamnés au scepticisme : ça sert à quoi ? À quoi bon !

3) Sens transcendant et sens immanent
Mais si rien ne donne sens à l'existence de l'homme de façon transcendante, n'est-ce pas à nous de donner une finalité à notre existence ? C'est la solution de Sartre qui retrouve le sens dans la liberté. Si Dieu ne nous dit pas pourquoi vivre, alors à nous de nous donner des fins, à nous de voir pourquoi nous voulons vivre. Et si tel est le cas alors ce qui donne sens à notre existence n'est autre que la liberté. L'homme existe d'abord et se définit ensuite. Il est donc ce qu'il se fait. Il est, nous dit Sartre, « condamné à être libre » c'est-à-dire contraint (pas moyen d'y échapper) d'inventer sa propre vie.
Il faut bien voir que si chacun décide ce qu'il a à être, il n'y a aucune universalité du sens. Certes mes choix se présente comme exemplaire et invite l'autre à faire de même. Si je me marie par exemple c'est que je pense que le mariage a une valeur et j'invite autrui à faire de même. En ce sens, mes choix m'engagent. Néanmoins l'autre aussi est libre et peut contredire mes choix par des choix autres, le sens que je donne à ma vie par un autre sens. C'est la conscience et c'est la liberté qui font advenir du sens au monde.
Ainsi on ne peut pas tout à fait dire que nous vivons pour rien mais la finalité est toujours à inventer.

Conclusion

Le problème que nous avons tenté de résoudre a des enjeux métaphysiques. Selon nos croyances la réponse n'est pas la même et l'enjeu est en réalité religieux. Si Dieu existe il a dû prescrire un sens à notre existence mais en ce cas cette finalité est probablement une finalité morale. Si Dieu n'existe pas alors l'existence n'a pas de sens prédéterminé mais c'est à nous à en définir un. Rien n'empêche du reste de se donner à soi-même pour finalité le bonheur. En même temps si Dieu n'existe pas il n'est d'autre formes d'universalité que l'empreinte que nous pouvons éventuellement inscrire dans l'histoire, pour les générations à venir : une œuvre, simplement une vie d'honnête homme ou autre. L'homme n'est-il pas toujours plus ou moins à la recherche d'une forme d'immortalité ?