Suis-je ce que j'ai conscience d'être ?


Sommaire

Index des sujets

Analyse du sujet

Les mots du sujet

Le sens du problème

Le problème est de savoir si mon être correspond à la saisie que j'en ai. Autrement dit, est-ce que je suis transparent à moi-même (n'y a-t-il pas des illusions que je forme sur moi-même ?) et ai-je une conscience complète de moi-même (et non une conscience parcellaire, incomplète) ? Le problème posé est celui de la vérité de l'introspection. Constitue-t-elle une réelle connaissance de soi ?

Présupposé de la question

Il est admis par le sujet que j'ai conscience d'être quelque chose. Tout le problème est de savoir si ce que je suis "réellement" correspond à cette image que j'ai de moi. Cette image est-elle vraie et complète ou incomplète voire fausse ?

Réponse spontanée

Elle est affirmative. Nous avons spontanément l'impression de nous connaître.

Plan rédigé

I Conscience spontanée de soi et conscience philosophique de soi.

Il est possible d'opposer ce qui est en nous conscience spontanée et ce que nous sommes vraiment. C'est ce que fait Descartes. Cherchant méthodiquement à découvrir une vérité "entièrement indubitable", il décide de se débarrasser de tous les préjugés reçus depuis l'enfance. C'est alors qu'il est conduit à opposer ce qu'il a conscience d'être spontanément, avant sa méditation philosophique, et ce qu'il est vraiment, être dont il ne prend conscience qu'au terme de sa méditation.

1) La conscience spontanée de soi.
Avant la réflexion philosophique, "lorsque je m'appliquais à la considération de mon être, je me considérais premièrement comme ayant un visage, des mains, des bras et toute cette machine composée d'os et de chair telle qu'elle paraît en un cadavre, laquelle je désignais par le nom de corps" (Méditations, I). Cette première dimension de la conscience spontanée de moi-même comme corps, corps qui est mien, que je peux sentir, paraît plus claire que la conscience spontanée de l'âme, à laquelle je rapporte mes actions et que j'imagine, poursuit Descartes comme "quelque chose d'extrêmement rare et subtile" De ces deux formes de conscience de soi se contente celui qui n'a pas encore entrepris de dépasser l'opinion que donne l'expérience générale de la vie et de ses incertitudes.

2) Ce qu'est vraiment la conscience de soi.
Le travail par lequel Descartes se débarrasse de toute idée reçue, sa méthode philosophique, consiste en un doute volontaire, systématique et radical. Ce doute porte sur tout ce dont il est possible de douter, y compris ce dont, d'ordinaire, "on ne peut pas raisonnablement douter", par exemple que nous avons un corps. Rappelons que pour mettre en doute l'existence du corps, Descartes recourt à l'argument du rêve. Quand je rêve, je m'imagine éveillé, marchant, habillé alors que pourtant je suis allongé nu dans mon lit. Qui m'assure que je ne suis pas maintenant en train de rêver ce corps que je crois avoir ? Rien, puisque justement aucun indice au moment du rêve ne me révèle que je ne suis pas éveillé ! Il me faut donc douter de la réalité de mon corps.
Au doute cartésien rien ne résistera à une exception près : l'existence du doute lui-même c'est à dire à la fois l'existence de la pensée et l'existence d'un sujet qui pense (moi). Il n'y a pas de doute que je suis et que je suis ce pouvoir de douter de toute réalité extérieure, même de mon corps. Je prends conscience que je suis (j'ai conscience de moi comme existant) et, de plus, que je suis une intériorité, une substance pensante (consciente) purifiée de toutes les obscurités qui étaient attachées jusqu'ici à cette notion. Je suis certain d'être, à ce moment de la démarche, un moi qui doute, autrement dit qui pense. Je me connais comme res cogitans c'est à dire substance pensante.
Ainsi :

Pourtant cette conscience philosophique de soi n'est-elle pas, en réalité, source de nouvelles illusions sur soi ?

II Les illusions de la conscience de soi.

1) Conscience et illusion.
Ce dont j'ai conscience, dit Spinoza, c'est ce que je veux, désire et fais mais non les causes qui expliquent ce que je veux, désire et fais. Les hommes sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés. Par conséquent, ils s'imaginent qu'ils sont libres c'est à dire qu'ils attribuent à la conscience le pouvoir d'être cause première de leurs actions parce que les causes réelles de celles-ci leur échappent. Ainsi, explique Spinoza, une pierre consciente roulant le long d'une pente pourrait croire que c'est elle qui décide d'avancer alors qu'en réalité elle est soumise aux lois de la pesanteur. L'homme est pareil à cette pierre consciente : "Les hommes quand ils disent que telle ou telle action du corps vient de l'âme qui a un empire sur le corps ne savent pas ce qu'ils disent et ne font rien d'autre qu'avouer en un langage spécieux leur ignorance de la vraie cause d'une action qui n'excite pas en eux d'étonnement." (Ethique, III, 2, scolie). Mais les décrets de l'âme ne sont rien d'autre que les appétits (les désirs) eux-mêmes et varient, en conséquence, selon les dispositions variables du corps. Aussi ceux qui "croient qu'ils parlent ou se taisent ou font quelque action que ce soit, par un libre décret de l'âme, rêvent les yeux ouverts" Il faut ici rappeler que selon Spinoza existe un déterminisme universel. La Nature agit en nous qui n'en sommes que des modes.
Ainsi, je ne suis pas réellement ce que j'ai conscience d'être. Ma conscience est ainsi faite qu'elle prend conscience d'elle-même comme d'une conscience libre mais c'est une illusion. C'est concevoir l'homme dans la Nature comme un "empire dans un empire", une sorte d'exception, un être capable de se gouverner par soi-même, alors qu'en vérité, "nous agissons par le seul geste de Dieu". Rappelons que, pour Spinoza, Dieu n'est autre que la Nature elle-même, la totalité rationnelle et nécessaire de ce qui est et dont nous participons.
Cependant, Spinoza nomme Sage celui qui a "par une certaine nécessité éternelle, conscience de lui-même, de Dieu et des choses", qui comprend la parfaite nécessité du Tout, qui, en ce sens, a conscience de ce qu'il est sans être prisonnier de l'illusion dont est porteuse la conscience ordinaire. Il est donc possible d'avoir conscience de ce que l'on est et c'est la définition de la sagesse.

2) Conscience et idéologie.
Selon la philosophie marxiste, l'idéologie se définit comme une pensée qui a des racines socio-économiques inconscientes. L'idéologie traduit la position et les intérêts de classe de son auteur. Autrement dit, le penseur, alors même qu'il croit développer librement sa pensée, est en réalité tributaire de son époque et de sa classe sociale. C'est, ici encore, l'idée que notre conscience s'illusionne. Nous croyons être un sujet libre, tout en n'étant en réalité que le reflet de notre situation sociale.
Il est néanmoins exact qu'existe la possibilité de prendre conscience de l'idéologie et donc de s'en libérer.
La conception marxiste nous met en présence d'un inconscient social. Mais alors la conscience de soi n'est peut-être pas seulement méconnaissance de soi mais aussi conscience incomplète. L'inconscient n'est-il pas justement cette part de moi-même qui m'échappe toujours ? Si mon inconscient constitue le plus profond de mon être, je ne peux être ce que j'ai conscience d'être.

III La conscience, méconnaissance de soi ?

1) "Je", une fiction grammaticale.
Nietzsche rejoint Spinoza dans la critique qu'il développe du cogito cartésien. Cependant l'intention en est bien différente. Il s'agit d'exclure le libre arbitre du psychisme humain, non pour rendre la pensée humaine dépendante de la pensée divine, mais pour subordonner la conscience au dynamisme des instincts, pour subordonner le moi au Soi.
Dans la pensée nietzschéenne la conscience psychologique telle que l'a élaborée la philosophie de Descartes doit être mise en question. "Autrefois on croyait à l'âme comme on croyait à la grammaire et au sujet grammatical. On disait "je" déterminant, "pense" prédicat déterminé ; penser est une activité à laquelle il est indispensable de supposer un sujet comme cause"(Par delà le bien et le mal, § 54). Aujourd'hui il faut apprendre à "se méfier de l'observation de soi" qui conduirait à une "folle surestimation du conscient", "sauf les gouvernants qui croient encore à la grammaire, comme à une veritas aeterna et par conséquent au sujet, à l'attribut, au complément, il n'est plus personne d'assez innocent pour poser avec Descartes le sujet "je" comme condition du verbe "pense"(Volonté de puissance)
Certes, j'ai conscience d'être un "je", un être qui pense, mais cette évidence d'une sorte de monde intérieur est trompeuse. "Derrière tes pensées et tes sentiments mon frère, se tient un maître plus puissant, un sage inconnu, qui a nom "soi". Il habite ton corps, il est ton corps. Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta meilleure sagesse (…) Ton soi vient de ton moi et de ses bonds prétentieux. "Que sont ces élans et ces essors de la pensée ? dit-il. Un détour vers mon but. Je suis la lisière du moi et le souffleur de ses idées."(Ainsi parlait Zarathoustra) et Nietzsche ajoute "Tu dis "moi" et tu es fier de ce mot. Mais ce qui est plus grand, c'est ce à quoi tu ne veux pas croire - ton corps et sa grande raison : il ne dit pas moi, mais il est moi en agissant."(Zarathoustra)
Si la pensée consciente est le jouet d'une sorte de pensée organique dont je n'ai nulle conscience immédiate, d'une grande raison, d'une sagesse corporelle, il convient d'en déduire, selon Nietzsche, que je ne suis pas cette âme, pure pensée capable de diriger le corps dont Descartes croyait prendre conscience au terme du doute.
Mais, en un autre sens, Nietzsche ne prend-il pas conscience de ce qu'il est, corps créateur dont il sait qu'il a "créé pour lui-même l'esprit comme une main de sa volonté." ?(Zarathoustra)

2) Un moi inconscient.
Reconnaître l'existence d'un inconscient psychique conduit Freud à poser deux thèses:
a) Je ne suis pas ce que j'ai conscience d'être.
Il existe des lacunes dans la conscience. Ce qui en moi est inconscient ne peut être accessible au moi conscient. Un désir refoulé, s'il était présenté au sujet qui l'a refoulé, lui paraîtrait étranger. Il ne reconnaîtrait pas ce qui est son désir. Bien plus, le sujet conscient remplace le désir réel inconscient qui détermine ses actes et ses pensées par des motivations conscientes qui renforcent l'illusion qu'il est maître de ses choix. Le processus de rationalisation en témoigne : le sujet cherche à donner une explication cohérente du point de vue logique ou acceptable du point de vue moral à des attitudes, actions, sentiments etc. dont les motifs véritables ne sont pas aperçus. Ce que je perçois de moi est l'idéal du moi ou un décalage par rapport à cet idéal dans le processus de culpabilisation mais non ma véritable réalité qu'est l'inconscient.
b) Mais je peux prendre conscience de cette méconnaissance.
Toute l'entreprise de Freud en témoigne. Dès lors je ne suis pas uniquement dans l'illusion sur moi-même. La conscience de soi est au moins conscience possible de l'illusion sur soi et donc la conscience d'une certaine vérité sur soi. Ce que je suis, je peux partiellement en prendre conscience. Du moins, puis-je prendre conscience que le Moi n'est pas même le maître dans sa propre maison.

Conclusion

Je ne suis pas nécessairement ce que j'ai conscience d'être. Mais le reconnaître conduit à substituer à une conscience productrice d'illusions sur soi, une conscience qui, se sachant telle, s'efforce de s'en libérer. Reste le problème de savoir quelles sont les limites de cette libération.