Les chefs historiques

Page réalisée en collaboration avec Xavier Dubois pour la partie historique


Dali - six apparitions de Lénine sur un piano

Ils ont essayé de mettre en pratique dans leur pays respectif les thèses de Marx. Ils ont été conduits à modifier ces thèses en fonction de cette pratique. Hommes politiques leur importance est historique. Ils sont devenus des "chefs de file" des différents courants politiques se réclamant du communisme.

Sommaire

Lénine

Rosa Luxemburg

Trotski

Mao Tsé-Toung

Vladimir Illich Oulianov dit Lénine

1) Les sources de sa pensée
La doctrine de Lénine s'est formée à partir de la lecture de Hegel, de Marx et Engels, de sa pratique révolutionnaire, mais aussi des polémiques contre les populistes, les révisionnistes, Rosa Luxemburg et les mencheviks.

2) La vie de Lénine
Vladimir Illich Oulianov est né le 22 avril 1870 à Simbirsk (Oulianovsk à l'époque soviétique), Lénine grandit dans une Russie en proie à des transformations intenses, mais dont le régime reste autocratique. Il est issu de la bourgeoisie intellectuelle : son père est inspecteur de l'enseignement, anobli en 1876. En 1887, son frère est exécuté pour tentative d'assassinat du tsar Alexandre III. Le jeune Lénine est profondément marqué. Il s'inscrit la même année en droit, mais de premières activités révolutionnaires à Kazan lui valent un premier exil chez son grand-père, ayant été expulsé de l'université. C'est alors qu'il se familiarise avec la pensée révolutionnaire, notamment avec Le Capital de Marx. Après un an, il réintègre l'université et s'inscrit, reçu brillamment aux examens, au barreau de Saint-Pétersbourg comme avocat en 1891. Après avoir écrit quelques textes qui seront publiés après sa mort, Lénine commence par critiquer les populistes russes, (les populistes, en l'absence d'une classe ouvrière forte cherchent une autre base sociale à la révolution socialiste et croient la découvrir dans la paysannerie), dans Ce que sont les « Amis du peuple » et comment ils luttent contre les sociaux-démocrates (1894), où il leur oppose l'union des ouvriers et des paysans dans la lutte révolutionnaire. La même année, il rencontre sa future femme, Nadejda Kroupskaïa. Il rejoint le cercle marxiste et fait la rencontre de Plekhanov en Suisse en 1895, et de Paul Lafargue, le gendre de Marx, en France (à Paris), ainsi que de Karl Liebknecht (à Berlin)
En 1895, il fonde l'Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière. Il est relégué en Sibérie et mis en résidence surveillée (1897-1900). Jouissant d'une relative liberté de circulation, il y épouse Nadejda Kroupskaïa, qui restera sa principale collaboratrice. Il se consacre à l'étude du marxisme, et écrit le Développement du capitalisme en Russie (1899).
Le Parti Ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) se fonde en 1898 sans lui qui est en Sibérie. A son retour, en janvier 1900, il émigre en Suisse, rejoignant d'autres marxistes, et fonde le premier journal marxiste russe, Iskra (L'Etincelle), organe du Parti, dont le premier numéro paraît clandestinement le 24 décembre 1900. C'est à cette époque qu'Oulianov prend le pseudonyme de Lénine, du nom de Lena, bagne sibérien où une révolte avait été durement réprimée. Il formule la première théorie d'un parti marxiste, de son rôle d'avant-garde, de son organisation dans Que faire ?, contre les populistes, contre Rosa Luxemburg, et bientôt contre les « mencheviks ». Après une violente polémique avec Martov sur la question de l'organisation, ses positions conduisent le Parti ouvrier social-démocrate à se diviser en 1903 en tendances. Les « bolcheviks » (« majorité ») obtiennent une courte majorité sur les « mencheviks » (« minorité »), plus modérés. Le rapport entre les deux tendances sera cependant fluctuant. Par exemple, Lénine refusera de collaborer avec les mencheviks majoritaires au sein du comité de rédaction de l'Etincelle. Il relatera cela dans Un pas en avant, deux pas en arrière (1904).
Lénine était encore en Suisse lors du Dimanche Rouge de la révolution ratée de 1905. Après celle-ci, Lénine retourne en Russie. Il considère cette première révolution comme une « répétition générale » de la Révolution socialiste. Il souligne aussi l'importance de la participation au jeu parlementaire. La dissolution de la Douma en 1906, suivie de la répression le forcent à s'exiler à nouveau, en Finlande cette fois, où il fonde Proletary.
Il est obligé de fuir en Suède en 1907 puis à Genève et à Paris où il vit des années difficiles économiquement et politiquement. Il critique à nouveau l'idéalisme et rédige Matérialisme et empiriocriticisme (1909). En 1912, la scission est consommée avec les mencheviks à Prague, et il fonde un parti bolchevique indépendant, avec un journal, la Pravda (« la Vérité »), fondé dès 1906 à Cracovie. C'est Lénine en personne qui fera entrer Staline (dirigeant la diffusion du journal en Russie avec Molotov, il sera déporté de 1913 à 1917) au Comité Central en 1912. Le Parti connaît une discipline de fer. Lénine met aussi l'accent sur la formation politique, qu'il organise en personne.
Il s'oppose à la première guerre mondiale, car, selon lui, elle n'a pour but que la satisfaction des intérêts de la bourgeoisie. Il préconise le défaitisme révolutionnaire, qui doit favoriser la révolution en affaiblissant le gouvernement. Il est arrêté dès le 7 août 1914 pour espionnage. Libéré, il s'exile en Suisse. C'est à cette époque qu'il cesse de se dire social-démocrate pour se nommer communiste. Il systématise les idées marxistes sur cette guerre dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), où il avance l'idée que seule la révolution peut créer une paix durale. Jusque là esseulé, Lénine voit le rapprochement de Trotski, de Luxemburg et Liebknecht. Il signe le manifeste de Zimmerwald, même s'il le juge très insuffisant.
Quand la Révolution russe éclate le 27 février 1917, Lénine est surpris, mais il traverse l'Europe dans un wagon blindé, jouissant du statut d'extra territorialité, prêté par l'armée allemande qui espérait que les révolutionnaires disloqueraient l'armée russe, pour rejoindre son pays. Son arrivée est spectaculaire. Les bolcheviks de Petrograd, dont Staline, avaient soutenu la déférence du soviet envers le gouvernement provisoire. Lénine condamne cette attitude, et publie ses Thèses d'avril, auxquelles se rallient Trotski: remplacement de la police et de l'armée par le peuple en armes (« tout le pouvoir aux soviets »), nationalisation des terres, fin immédiate de la guerre, et opposition radicale au gouvernement provisoire. Le Parti bolchevique accepte son programme. Zinoviev et Kamenev sont réticents.
Après l'échec du soulèvement de juillet, il passe en Finlande deux mois. Il y écrit L'Etat et la Révolution, où il formule sa vision de l'Etat socialiste, sans doute sa contribution la plus importante à la théorie marxiste. Il met au point un programme de lutte et le concept de la dictature du prolétariat. Il demande qu'un soulèvement armé soit organisé. Son plan est accepté et programmé en octobre. A cette date, les bolcheviks sont près de 400 000. Les bolcheviks prennent le pouvoir.
Quelques jours après la Révolution d'octobre, Lénine devient président du Conseil des commissaires du peuple, c'est-à-dire chef du gouvernement. Il est la cible d'attentats des tsaristes (le 14 janvier 1918), mais aussi des « socialistes révolutionnaires » (le 30 août). Il organise la nationalisation des grands conglomérats et des banques, et organise l'Etat. Il met au point un partage des terres. Il inclut dans son gouvernement le Parti Révolutionnaire des Socialistes de Gauche, pour ne pas être accusé d'instaurer le parti unique. Il accepte les exigences sévères de l'Allemagne au Traité de Brest-Litovsk en mars1918, qui cède de vastes territoires à celle-ci. Mais le régime doit se durcir pour mener la guerre civile, avec Trotski comme organisateur de l'Armée rouge. La dictature est de fer, il réprime les « blancs » et repousse les expéditions européennes. On appelle cette période le « communisme de guerre » : la propriété privée des moyens de production est supprimée, le contrôle ouvrier des usines imposé, les hommes et les ressources mobilisés au maximum. Lénine finit par supprimer l'opposition politique et dissout l'Assemblée constituante, mesures qu'il présente comme provisoires. Il crée la Tcheka, police politique du régime. En même temps, il modernise, électrifie et industrialise le nouvel Etat.
Lénine accorde une grande importance à l'internationalisme, et pose les fameuses 21 conditions d'adhésions aux partis socialistes à la IIIe Internationale, le Komintern, fondée en mars 1919. Face aux défaites du mouvement révolutionnaire en Occident, elle est contrainte à renoncer à la révolution mondiale immédiate, pour entamer un lent siège des économies capitalistes. Il écrit à cette époque Le Gauchisme, maladie infantile du communisme (1920)où il critique ceux qui veulent "aller trop vite".
Après la guerre civile qui a ruiné le pays, il préconise l'adoption de la NEP (Nouvelle Politique Economique) en 1921, rétablissant partiellement l'économie de marché et un semblant de société pluraliste, même s'il maintient le principe du parti unique. C'est en réalité la répression des marins de Cronstadt en mars 1921 qui marque ce tournant. Les réquisitions sont supprimées dans le monde rural. Les petites entreprises industrielles ou commerciales privées sont créées, et la Russie ruinée par la guerre fait appel aux techniciens et capitaux étrangers. Malade, Lénine entrevoit les dangers de la bureaucratie. Il analyse les caractères des principaux leaders, Staline, Trotski, et Boukharine, avec une méfiance particulière envers le premier, qu'il critique notamment sur la question nationale, même s'il ne manque pas de critiquer aussi Trotski, trop impulsif à son goût.
Il est immobilisé par une attaque cérébrale en mai 1922, année de la fondation de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Il se rétablit mais ne récupère plus son rôle politique. En mai 1923, il est privé de la parole suite à une seconde attaque et se retire. Il meurt à Gorki, le 21 janvier 1924. Son corps repose dans un mausolée sur la Place Rouge. Une lettre à lui attribuée aurait demandé au Congrès du Parti d'écarter Staline du pouvoir.

3) Apport conceptuel
a) L'économiste
Il n'est pas (mais Marx ne l'était pas non plus) un économiste au sens universitaire du terme puisque sa formation fut juridique. Il reprend les thèses de Marx et les applique à l'économie de la Russie. L'erreur est de croire que la production a pour but la consommation. Seule une fraction limitée de la plus-value alimente les fonds de consommation de la société. La majeure partie sert à la reproduction et à l'accroissement de la formation du capital. « Le capitalisme ne peut exister et se développer sans étendre constamment la sphère de sa domination, sans coloniser de nouveaux pays et entraîner les vieux pays non capitalistes dans le tourbillon de l'économie mondiale. Le processus de formation d'un marché pour le capitalisme comporte deux aspects : le développement en profondeur du capitalisme, c'est-à-dire le développement cumulatif de l'agriculture capitaliste et de l'industrie capitaliste sur un territoire précis, bien délimité et clos, et son développement en étendue, c'est-à-dire l'extension de la sphère de domination du capitalisme sur de nouveaux territoires. » (L'impérialisme, stade suprême du capitalisme) Ce qui caractérise l'impérialisme est le fait que les monopoles capitalistes font tout pour s'assurer des « profits supplémentaires gigantesques » Les États sont divisés en deux groupes, « les riches et les puissants qui pillent le monde » et les autres, la majorité, pratiquement passés sous la dépendance non avouée des premiers. Le régime capitaliste passe alors du stade du capitalisme stricto sensu à une « structure économique supérieure » Un tel régime, qui vise à la domination économique et politique d'aires géographiques attardées, mais riches en ressources naturelles et en main d'œuvre grâce à l'extension des réseaux de communication, ne peut qu'être source de conflits violents, en particulier de guerres internationales pour s'assurer matières premières et débouchés.
L'existence de l'impérialisme annonce l'approche de la révolution mondiale, point sur lequel Lénine était particulièrement ferme.

b) le philosophe
Le marxisme pose comme postulat le matérialisme. L'autre, rejeté, est l'idéalisme. Ils sont contradictoires. Ils ne peuvent être ni démontrés, ni réfutés. Il est impossible de trouver une « troisième voie » qui permettrait de n'être ni idéaliste, ni matérialiste, et de dépasser l'un et l'autre par un point de vue plus scientifique et plus moderne.
Lénine distingue nettement la définition que donne la philosophie de la matière de celle que proposent les sciences exactes. Sans subordonner la philosophie aux sciences exactes il estime qu'elle est à l'école de ces dernières.
Lénine insiste sur la méthode dialectique : « Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique - par opposition à la méthode métaphysique - n'est ni plus ni moins que la méthode en sociologie, qui considère la société comme un organisme vivant, en perpétuel développement, et non comme quelque chose de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux »
On trouve chez Lénine une véritable théorie de la démocratie qu'il importe (vu les événements qui ont suivi la révolution russe) de préciser.
Quelle est d'abord la position léninienne pendant la préparation de la révolution ? Le mot « démocratie » est toujours qualifié par une classe sociale. Il ne faut pas parler de démocratie mais de démocratie bourgeoise ou de démocratie prolétarienne.
La question de l'Etat est au centre de la deuxième Internationale dès 1899, date des thèses de Bernstein (Edouard Bernstein, Les présupposés du socialisme) Selon Bernstein, Marx est dépassé par le développement même du capitalisme, qui sous l'influence du prolétariat a été obligé d'accorder des droits fondamentaux aux travailleurs. La révolution n'est donc plus nécessaire et l'action quotidienne des travailleurs, des élections parlementaires, vont améliorer la situation graduellement à la fois matériellement (amélioration de la condition ouvrière) et politiquement (instauration de la démocratie).
En 1912, en Russie, les enjeux sont centrés autour du caractère de la révolution à venir. Sera-t-elle bourgeoise (parlementaire) ou socialiste ? Lénine dans Le développement du capitalisme en Russie montre que la Russie est un pays où domine le capitalisme. Elle compte (en additionnant les ouvriers de la grande industrie et les salariés agricoles) 50 millions de prolétaires et semi prolétaires sur environ 128 millions d'habitants. La pénétration du capitalisme en Russie est irréversible comme le montre le triomphe des lois du marché dans l'agriculture. Il n'y a donc pas de spécificité russe. Cependant la bourgeoisie russe et internationale trouvent leur intérêt dans le système aristocratique féodal qui les protège du prolétariat. La bourgeoisie russe et l'aristocratie libérale veulent participer au pouvoir politique, ce que refuse le tsar. En somme c'est le régime politique (autocrate) qui freine le développement capitaliste. La révolution bourgeoise est bien à l'ordre du jour mais la bourgeoisie ne veut pas la faire par crainte des masses populaires et cherchera un accord avec l'aristocratie. La révolution bourgeoise est donc impossible au sens littéral du terme (sous la direction de la bourgeoisie) et c'est à la classe sociale dont la vocation est de renverser la bourgeoisie que revient la charge de conduire la révolution bourgeoise. Mais pour atteindre les objectifs de cette dernière (suffrage universel, république, liberté de la presse et de réunion, laïcité, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes) le prolétariat doit s'allier à la paysannerie contre les propriétaires fonciers et doit s'attaquer à la bourgeoisie. La révolution démocratique bourgeoise doit se transformer en révolution prolétarienne. Lénine revient toute sa vie sur le fait que ne pas avoir d'illusions sur la démocratie bourgeoise, dénoncer son caractère tronqué et limité ne signifie pas que le prolétariat doive ne pas s'en soucier, s'en détourner. Elle est le meilleur cadre pour mener la lutte révolutionnaire.
Pendant la guerre, le débat rebondit autour de Boukharine. Lénine engage la polémique en avançant que les objectifs démocratiques sont inséparables des objectifs socialistes. La question du droit de peuples à disposer d'eux-mêmes n'est pas une revendication socialiste (le socialisme vise même à lui tourner le dos dans sa vocation internationaliste) mais pourtant la réalisation de ce mot d'ordre est incontournable comme pour les autres mots d'ordre démocratiques (liberté, république etc.) si l'on veut que les masses se mettent en marche pour le socialisme.
Dès la révolution de février et la mise en place de la dualité des pouvoirs (soviets et gouvernement provisoire) se pose la question : que mettre à la place du tsarisme ? Selon Lénine il y a un double pouvoir d'Etat : celui de la classe ouvrière, alliée à la paysannerie, les soviets, et celui de la bourgeoisie, le gouvernement provisoire. En acceptant le gouvernement provisoire, les soviets se mettent à la remorque de la bourgeoisie, mais le gouvernement bourgeois est incapable de gouverner sans l'accord des soviets qui ont la force armée c'est-à-dire la garde rouge et les soldats. Paradoxe : la Russie est à la fois l'Etat le plus démocratique mais les objectifs démocratiques ne sont pas atteints. Ces objectifs démocratiques sont la paix, la réforme agraire, la réunion d'une assemblée constituante, la ratification des revendications des travailleurs et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le gouvernement provisoire s'y oppose parce que la bourgeoisie ne veut ni la paix, ni la réforme agraire, ni satisfaire les revendications, ni abandonner son système colonial. Les soviets doivent pour Lénine prendre tout le pouvoir. La révolution démocratique bourgeoise n'est pas conduite par la bourgeoisie mais contre elle. Il faut instaurer la « dictature démocratique de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre », transition vers la « dictature du prolétariat ».
L'essentiel de la pensée de Lénine sur l'Etat se trouve dans L'Etat et la révolution et La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky.
L'Etat est l'expression de la dictature d'une classe. Tout Etat, quelle que soit sa forme, est dictature car tout Etat est appareil militaire, policier et bureaucratique destiné à mettre en œuvre la domination de la classe dominante. Il n'a pas toujours existé et n'existera pas toujours puisque dans le communisme il n'y a plus d'Etat. Toute démocratie opprime les classes dominées (la dictature du prolétariat elle-même opprime les anciennes classes dirigeantes) La démocratie est donc une des formes de la dictature de classe. Elle n'existe à l'état pur dans aucune formation historique. Il y a une démocratie esclavagiste à Athènes, la démocratie bourgeoise qui assure la domination de la bourgeoisie et la démocratie prolétarienne qui assure la domination de la classe ouvrière et permet aux pauvres de connaître la démocratie c'est-à-dire de participer à la vie politique pour y promouvoir leurs intérêts. Dans le socialisme il n'y a pas d'autre possibilité que la démocratie. La démocratie bourgeoise concerne le seul domaine politique et se démasque donc comme dictature économique et sociale du capital. Du reste l'impérialisme, l'oligarchie financière engendrent la remise en cause de la démocratie bourgeoise par la démocratie monopoliste. Le parlementarisme se vide, les décisions sont prises ailleurs : dans les cabinets, les conseils d'administration.
La démocratie bourgeoise est aussi un enjeu pour la lutte révolutionnaire. Elle crée des conditions à la fois meilleures et plus difficiles : meilleures pour la propagande, l'agitation mais plus difficiles car elle engendre des illusions sur la nature de l'Etat, sur ses possibilités de l'utiliser et non le détruire. Les conditions meilleures cependant l'emportent. La défense de la démocratie bourgeoise contre la réaction est une position de principe. Elle est condition pour passer au socialisme : république, séparation de l'église et de l'Etat, résolution de la question nationale, libertés démocratiques fondamentales, cela ne dépasse pas le caractère démocratique bourgeois mais à l'époque de l'impérialisme ce ne peut être défendu et établi que contre la bourgeoisie par la classe ouvrière.
Qu'est-ce qui oppose la démocratie bourgeoise au socialisme ou démocratie prolétarienne ?
Dans la démocratie bourgeoise, il n'existe pas de démocratie économique. La démocratie prolétarienne met en cause la propriété privée des moyens de production et d'échanges. Le pouvoir politique s'étend à tous les domaines. Il n'y a donc de démocratie « jusqu'au bout » que dans la dictature du prolétariat, le socialisme. Cette démocratie conserve et élargit les libertés démocratiques bourgeoises : liberté de réunion mais en mettant des locaux à la disposition des travailleurs, liberté d'expression mais avec une aide à la presse etc. Il s'agit de détruire les privilèges des bourgeois en matière d'éducation, de culture et de communication. C'est une démocratie à la base (les soviets) où les décisions sont prises sur place et sans « médiateur ». Les travailleurs élisent des députés aux soviets qui sont rappelables à tout moment et qui doivent rendre des comptes à leurs mandants. Ce sont les soviets qui désignent leurs représentants aux niveaux supérieurs du pouvoir. Ceux-ci doivent rendre compte et sont rappelées dans les mêmes conditions par ceux qui les ont élus. L'armée et la police sont constitués du peuple en arme et il n'y a plus de fonctionnaires non élus. Le parlementarisme est remplacé par un corps agissant, législatif et exécutif à la fois.
Confronté à l'édification du nouveau régime et au reflux révolutionnaire dans le reste du monde, il va lui apparaître très vite que les choses sont plus complexes qu'il les avait envisagées d'autant que la Russie et un pays « marqué par la barbarie asiatique » Il y a 80 % d'analphabètes, la guerre civile, l'agression étrangère, le sabotage etc. Lénine mènera un combat contre la bureaucratie renaissante qui profite de la faiblesse culturelle des masses. Il préconise l'élargissement des pratiques démocratiques. Tout en prenant en compte que la dictature du prolétariat ne pouvait provisoirement évoluer vers un dépérissement rapide de l'Etat, Lénine s'inquiétait du risque que l'ancienne bureaucratie ne reprenne le pouvoir et ne voyait de remède que dans la mobilisation des travailleurs prenant en main leur destinée.

c) L'action politique Trois thèmes principaux doivent être soulignés :

  • L'importance accordée à l'idéologie entendue d'une manière positive et non plus affectée du coefficient péjoratif.
  • La dictature du prolétariat qu'il fait inscrire dans le programme du Parti adopté en 1903 comme « condition nécessaire » à la révolution ; et la formation d'un noyau solide, agissant effectivement, constitué d'hommes peu nombreux, les « révolutionnaires professionnels » qui doivent être sur la brèche aujourd'hui comme demain lors de la prise du pouvoir par la voie révolutionnaire.
  • La prise de conscience par des masses de plus en plus nombreuses, faute de quoi la révolution n'aura pas de lendemain.

Ces thèmes occupent la brochure Que faire ?
Lénine s'y élève contre l'opportunisme qui « déclare inconsistante la conception même du « but final » et repousse catégoriquement l'idée de la dictature du prolétariat », dont Karl Marx avait pourtant dit qu'elle constituait sa contribution essentielle à la théorie socialiste.
La conscience de classe née de la lutte sur le terrain économique ou social ne peut aboutir à une conscience politique vraiment révolutionnaire. Tout développement spontané du mouvement ouvrier le soumet à l'idéologie bourgeoise. « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. » C'est une idée nouvelle par rapport à Marx . Il faut une formation « fondée sur l'expérience de la vie politique » Dans cette éducation politique active, la presse jouera un rôle important ainsi que les « révolutionnaires professionnels » qui auront une fonction permanente d'agitation politique clandestine. Ainsi, contre Rosa Luxemburg qui croit à la spontanéité des masses et à leurs propres moyens de lutte (grève de masse), Lénine affirme la nécessité d'un parti composé de "révolutionnaires professionnels" qui jouent un rôle dirigeant. Le parti guide le prolétariat et lui donne la vérité. Cette idée du "parti d'avant garde" ne se trouve pas chez Marx
Dès le début la tâche consiste à convaincre la majorité du peuple de la justesse du programme et de la tactique du Parti. Une véritable « révolution culturelle » doit accompagner le développement du pouvoir soviétique : l'école, les soviets locaux seront les lieux privilégiés de cette mutation des mentalités.
Dans L'État et la révolution, Lénine esquisse ce que sera la dictature du prolétariat dès la prise du pouvoir. Il s'agit du passage de la liberté formelle des démocraties bourgeoises (liberté des possesseurs de marchandises) à la liberté réelle qui exige l'abolition des classes au cours d'une lutte portée à son paroxysme. La dictature du prolétariat sera coercitive. L'État prolétarien est un demi-État qui dépérit avec la consolidation de la victoire sur les classes bourgeoises. C'est une dictature politique au sens où « la politique ne peut manquer d'avoir la primauté sur l'économie »

4) Les principales oeuvres

  • Le développement du capitalisme en Russie, 1899
  • Que faire ?, 1902
  • Un pas en avant, deux pas en arrière, 1904
  • Matérialisme et empiriocriticisme, 1909
  • Cahiers philosophiques, 1914-1916
  • L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
  • Thèses d'avril, 1917
  • L'Etat et la révolution, 1917
  • La maladie infantile du communisme, le gauchisme, 1920

Rosa Luxemburg

1) Les sources de sa pensée
Marx et Engels, bien sûr, mais aussi Lénine (de façon critique) constituent les principales sources de sa pensée.

2) La vie de Rosa Luxemburg
Rosa Luxemburg est née en Pologne russe le 5 mars 1871, non loin de Lublin, à Zamosc. Elle est issue d'une famille de commerçants juifs relativement progressistes. Elle sera, enfant, mal soignée d'un handicap de la hanche, et boitera lourdement pendant toute sa vie. Dès le lycée, où elle mène de brillantes études, elle éprouve une sympathie pour le socialisme révolutionnaire. Elle milite au sein d'un parti socialiste révolutionnaire polonais dès 16 ans : « Prolétariat ». Bien qu'elle ait entamé des études à Varsovie, son activité politique la contraint à fuir en Suisse en 1889, comme de nombreux autres révolutionnaires. Elle n'a pas 18 ans. A Zurich, elle reprend ses études qu'elle conclut par une thèse d'économie politique intitulée "Le Développement économique de la Pologne", qui sera publiée en 1898. Elle y cofonde un parti social-démocrate, le SPDIL (Parti Socialiste de Pologne et de Lituanie) avec Léo Jogiches et milite pour l'unité d'action entre travailleurs russes et polonais. Elle sera aussi déléguée de la Pologne au IIIe Congrès de l'Internationale en 1896, où elle s'opposera aux idées de Engels sur la question de l'indépendance polonaise, celui-ci la soutenant, comme Marx, de son vivant.
Par un mariage blanc avec un médecin allemand, elle acquiert la nationalité allemande et s'installe, en 1898, à Berlin où elle milite au sein du Parti Social Démocrate (SPD) et de la Deuxième Internationale. Elle y rencontre Bebel, Kautsky, mais surtout Clara Zetkin, qui restera sa camarade et amie pendant toute sa vie. Elle anime l'aile gauche de l'Internationale avec Karl Liebknecht et Lénine, se faisant héritière idéologique de Karl Marx. Elle affirme ses qualités de théoricienne du socialisme en polémiquant contre les réformistes menés par Eduard Bernstein en Allemagne ou Alexandre Millerand en France. Elle s'oppose cependant aussi à Kautsky. Elle dirige également la revue « Sachsische Arbeiterzeitung » (le Journal du Travailleur Saxon) et collabore à « Die Neue Zeit ». En 1899, elle participe au Congrès Socialiste International de Paris. Elle écrit dans diverses revues socialistes allemandes avant de co-diriger entre 1901 et 1902 le "Leipziger Volkszeitung". Puis en 1903, elle demande au Congrès de Dresde du SPD la condamnation du révisionnisme de Berstein. Son dicours lui vaut une condamnation par les autorités allemandes à 3 mois de prison en janvier 1904. Au printemps, elle publie "Questions d'Organisation de la Social-Démocratie Russe" où elle s'oppose à Lénine sur l'organisation du Parti. En septembre elle est emprisonnée pour purger sa peine. En 1905, quand la Révolution éclate en Russie, Rosa Luxemburg regagne Varsovie (annexée alors par la Russie) et y participe. Arrêtée, elle est démasquée et envoyée en prison entre mars et juillet 1906 à Varsovie. Elle frôle l'exécution. Quelque temps plus tard elle est libérée et assignée à résidence en Finlande, à Kuokkala, où elle rédige « Grèves de masses, parti et syndicats ». Elle rentre en Allemagne en septembre, où elle participe au Congrès de Mannheim du SPD. Pour son discours, elle est de nouveau condamnée à deux mois de prison par les autorités allemandes. Dans les années qui suivent elle se retrouve marginalisée et censurée au sein de son parti qui opte de plus en plus pour l'intégration de la classe ouvrière au sein de la société capitaliste. De 1907 à 1914, elle donne des cours à l'Ecole de la sociale-démocratie à Berlin. Ses cours seront publiés sous le nom de « Introduction à l'économie politique ». Elle y défend l'idée de la grève de masse comme principal moyen d'action révolutionnaire. Elle purge sa peine de juin à août 1907. Elle écrit également "l'Accumulation du capital" (1913), un ouvrage dans lequel elle tente de montrer que l'évolution de l'impérialisme capitaliste conduira à un renforcement de la lutte des classes et donc, l'action révolutionnaire. En septembre de la même année, à Francfort, elle donne un discours où elle prône la fraternisation des travailleurs contre la guerre qui la fait condamner à un an de prison. En juillet 1914, elle participe à sa dernière réunion du Bureau Socialiste International à Bruxelles.
L'évolution du SPD aboutit au vote des crédits de guerre en 1914 par celui-ci. Rosa Luxemburg, aux côtés de Karl Liebknecht, s'oppose à cette dérive guerrière, et réunit des opposants à la guerre autour d'elle. En septembre, avec Liebknecht, Zetkin et Franz Mehring, elle fait une déclaration contre les positions du SPD, avec la formation d'un courant révolutionnaire au sein du SPD en décembre. Elle est arrêtée en février 1915. Elle en profite pour écrire «La crise de la social-démocratie » sous le pseudonyme de Junius. Le 15 avril 1915 paraît le 1er numéro de "Die lnternationale" dont elle est avec Karl Liebknecht la co-fondatrice. Ce journal est rapidement interdit. Le 1er janvier 1916 a lieu la Conférence Nationale du groupe "Internationale" qui devient plus tard la "Ligue Spartacus". Libérée au printemps 1916, elle exhorte le peuple avec K. Liebknecht, lors de la manifestation du 1er mai 1916 à lutter contre la guerre. Elle est de nouveau arrêtée par mesure de protection le 19 juillet et reste en prison jusqu'au 8 novembre 1918. Elle publie malgré tout des articles dans "Lettres de Spartacus" entre le N°1 du 20 septembre 1916 et le N°12 d'octobre 1918. Elle écrit également en prison un livre intitulé "La Révolution Russe". Pendant cette période, elle est exclue du SPD et organise de façon clandestine le mouvement révolutionnaire spartakiste, ancêtre du Parti Communiste Allemand (KPD). Le Parti connaît cependant bien des vicissitudes, avec des fusions avec l'USPD (le Parti Social Démocrate Indépendant), l'IKD (scission du SPD basée à Brême). Fin octobre 1918, Liebknecht est libéré, et les marins de Kiel se mutinent. Le 4 novembre, un conseil des travailleurs et des marins y prend le pouvoir. Le 8, c'est la grève générale, le Kaiser quitte le pays, et le SPD prend le pouvoir, tentant néanmoins d'abord de maintenir la monarchie. Luxemburg est libérée de la forteresse de Breslau et tient immédiatement un meeting sur la place de la ville. Elle rédige le programme et précise la tactique de ce Parti, fondé en novembre 1918, avec Liebknecht et Clara Zetkin. Elle écrit de nombreux textes où elle admire passionnément mais de manière critique la Révolution bolchevique. Etrangement, elle s'opposera par contre à la Paix de Brest-Litovsk. Le 16 novembre 1918 est publié le 1er numéro du journal "Die Rote Fahne" dans lequel elle écrit à partir du 17 novembre. Le 14 décembre paraît le programme de la Ligue Spartacus. Le 30 décembre 1918 et le 1er janvier 1919 a lieu le Congrès constitutif du KPD. Elle y prononce son célèbre "Discours sur le Programme". Elle participe par solidarité avec les travailleurs à "La Commune de Berlin". Le KPD, peu avant la révolution, réunit 250 000 personnes à Berlin.
Lorsque l'insurrection spartakiste se déclenche le 6 janvier 1919, Rosa Luxemburg dirige le journal de sa formation politique, « Die Rote Fahne », bien qu'elle soit initialement opposée à la révolution. Le gouvernement social démocrate fait appel à la droite pour créer une milice, le « Freikorps ». Un comité révolutionnaire est créé pour renverser le gouvernement, mais il est peu actif. On compte 500 000 personnes dans les rues de Berlin. Le KPD est incapable de gérer la crise par insuffisance d'effectifs et de moyens. Le gouvernement contre-attaque, des affiches appellent au meurtre des dirigeants du KPD. Des pamphlets antisémites insultent Luxemburg et Trotski dans la presse. Le 14 janvier 1919 paraît son dernier article dans le journal "Rote Fahne" "L'Ordre Règne à Berlin". Elle est arrêtée avec Karl Liebknecht et assassinée le 15 janvier 1919 sur ordre probable de Gustav Noske « commissaire du peuple » social-démocrate chargé de la répression de l'insurrection. Le crâne défoncé par un officier avec une crosse, elle est achevée d'une balle dans la tête dans une voiture. Le corps de Luxemburg est jeté dans un canal du parc de Tiergarten.

3) Apport conceptuel
Dans Réforme sociale ou révolution, Rosa Luxemburg s'oppose au réformisme défendu par Bernstein. Ce dernier, en raison de l'enrichissement de la classe ouvrière, pense pouvoir enterrer le programme d'action révolutionnaire du parti communiste allemand. Rosa Luxemburg refuse d'abandonner l'idée de la fin nécessaire du système capitaliste qui doit périr de ses propres contradictions, sans quoi le socialisme n'est plus une nécessité historique. Parce que le développement du crédit ou la constitution de cartels économique accentuent les contradictions, la thèse de Bernstein est fausse. Rosa Luxemburg ne pense pas non plus que la classe ouvrière prend le pouvoir sous prétexte que les revendications syndicales progressent : les syndicats sont limités à la lutte pour le maintien des salaires et n'ont aucun pouvoir sur la réalité de l'emploi ou le marché du travail. L'Etat ne se socialise que dans la mesure où les intérêts de la classe dominante, la classe bourgeoise, correspondent à ceux de la classe ouvrière. Pour toutes ces raisons, les réformes sociales ne sont pas une fin en soi et ne peuvent remplacer l'objectif de la prise du pouvoir par le prolétariat. Le communisme doit nécessairement succéder au capitalisme et toute tentative de s'adapter à ce système de production sont fautives : Rosa Luxemburg critique le système des coopérations ouvrières. Les espoirs nourris au sujet de la politique parlementaire ne peuvent qu'être déçus : les parlements ne défendront que les intérêts de la classe bourgeoise et le système capitaliste peut adopter d'autres systèmes politiques que la démocratie. La réforme se distingue radicalement de la révolution puisque la révolution signifie le passage d'un mode de production à un autre alors que la réforme s'inscrit dans le même cadre de production capitaliste : "Quiconque se prononce pour la voie des réformes par la loi au lieu de et par opposition à la conquête du pouvoir politique et à la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus tranquille, plus sûre et plus lente qui conduirait au même but, mais il choisit un but différent : au lieu de l'instauration d'un nouvel ordre social, il choisit d'apporter à l'ordre ancien uniquement des retouches" (Réforme sociale ou révolution ?")
Dans Grève de masse, parti et syndicat Rosa Luxemburg défend l'idée que la grève de masse s'inscrit dans le champ de la lutte sociale. Protéiforme, elle se trouve au fondement de la création d'institutions sociales neuves (cf. apparition des syndicats russes après les grèves de 1896, 1987, 1902, 1903) La grève de masse s'inscrit dans la durée (jusqu'à des dizaines d'années) et n'est, ni cet évènement unique qu'attendent les anarchistes, ni ce phénomène politique que voudrait décréter et maîtriser le parti. Phénomène mouvant, elle ne se laisse pas prévoir. En elle, l'élément spontané est déterminant. Les mouvements révolutionnaires ne s'apprennent pas à l'école. Contre l'attentisme des syndicats de la social-démocratie allemande, mais aussi contre les théories du parti communiste qui privilégie la grève de démonstration et pense diriger le mouvement par le haut, Rosa Luxemburg insiste sur le fait que c'est dans et par l'action que le prolétariat devrait former sa conscience plutôt que dans des discussions stériles.
Rosa Luxemburg défend un internationalisme radical. Le principe du droit des nations à l'autodétermination lui semble un principe abstrait qui masque les intérêts de classe de la bourgeoisie. Ce principe doit être subordonné à l'action internationale du prolétariat. "Dans le domaine des rapports économiques, les classes bourgeoises défendent pied à pied les intérêts de l'exploitation, le prolétariat ceux du travail. (…) Dans une société ainsi constituée, il ne saurait être question d'une volonté collective et unitaire de l'autodétermination de la "nation". Les mouvements "nationaux" et les luttes pour des "intérêts nationaux" qu'on rencontre dans l'histoire des sociétés modernes sont en général des mouvements de classe de la couche bourgeoise dirigeante qui, le cas échéant, et jusqu'à un certain point, peut aussi représenter les intérêts d'autres couches populaires." (La question nationale et l'autonomie) L'Etat-nation est une catégorie historique liée au développement du capitalisme créé pour constituer un marché intérieur homogène et un marché extérieur par l'intermédiaire du militarisme colonial. Le prolétariat pour réaliser le socialisme ne s'appuiera par conséquent pas tant sur l'idée de l'Etat-nation que sur les exigences de la démocratie (suffrage universel) et sur ses exigences culturelles (éducation de masse)
L'accumulation du capital pose la question de savoir comment le système de production capitaliste se reproduit. Dans le livre II du Capital, Marx expose mathématiquement la possibilité d'un développement exponentiel du capitalisme, d'une reproduction indéfinie du cycle de production et de consommation. Comment concilier ceci avec une philosophie de l'histoire qui affirme que le système doit périr de ses propres contradictions ? Rosa Luxemburg met en évidence le fait que le capital a besoin d'exploiter des ressources appartenant à des pays ou des systèmes non capitalistes, source du militarisme colonial. Cette logique le conduit à multiplier les crises, les risques de guerre et le mène vers le moment où il n'y aura plus aucune zone à exploiter.
Dans La révolution russe, Rosa Luxemburg fait l'éloge de Lénine qui a prouvé que la révolution en Russie ne devait pas passer nécessairement par une phase bourgeoise. Elle reproche cependant plusieurs choses aux bolcheviks : d'abord ils n'ont pas collectivisé l'agriculture. Ensuite Lénine a accordé un droit des nations à l'autodétermination tout en refusant tout exercice de la démocratie sociale à l'intérieur du pays (dissolution de l'assemblée constituante, mépris de la liberté de la presse et de réunion, mépris du suffrage universel etc.) La dissolution de l'assemblée constituante fait disparaître le lien entre les masses et leurs représentants. L'analyse qui conduit Lénine et Trotski à affirmer que les structures démocratiques sont bourgeoises est fausse : on imagine mal que la domination des vastes intérêts des couches populaires puisse se faire sans liberté de réunion ou d'association. Rosa Luxemburg critique la conception de la gestion du pouvoir en terme de Terreur : la Terreur est contre productive. La révolution, la vie intellectuelle, l'activité et l'auto-responsabilité des masses peuvent permettre de surmonter les épreuves rencontrées durant la lutte : "Lénine et Trotski ont mis les Soviets, en tant que seule vraie représentation des masses laborieuses, à la place des organismes représentatifs issus des élections générales. Mais si l'on étouffe la vie politique dans tout le pays, il est forcé que, dans les Soviets aussi, la vie soit de plus en plus paralysée. Sans élections générales, sans liberté de la presse et de réunions sans entraves (…) le seul élément actif qui subsiste est la bureaucratie.(…) Il s'agit bien d'une dictature mais ce n'est pas la dictature du prolétariat mais celle d'une poignée d'hommes politiques, c'est-à-dire une dictature au sens purement bourgeois" L'alternative n'est donc pas dictature ou démocratie mais démocratie bourgeoise ou démocratie sociale. "C'est la tâche historique du prolétariat, quand il accède au pouvoir que d'instaurer la démocratie socialiste en la substituant à la démocratie bourgeoise, et non pas de supprimer toute démocratie" Rosa Luxemburg ne pensait pas que le vote du peuple puisse introduire le socialisme "les classes dominantes sauraient les empêcher". Mais en revanche elle fait une énorme confiance aux masses populaires révolutionnaires. Quand elle affirme "La liberté c'est toujours la liberté de ceux qui ne pensent pas comme vous" il ne s'agit pas d'une invitation à accorder une liberté à tous indistinctement mais celle accordée aux masses dans leur rôle d'artisans de la révolution. Contre les ennemis de la révolution, la répression la plus rigoureuse est nécessaire et la liberté de presse n'est pas concevable. La démocratie doit permettre l'homme nouveau socialiste c'est-à-dire un changement complet de la mentalité des masses que des siècles de domination ont pervertie, l'apprentissage de l'autonomie.

4) Les principales oeuvres

  • Le développement économique de la Pologne, 1898
  • Réforme sociale ou révolution ?, 1898
  • Questions d'Organisation de la Social-Démocratie Russe, 1904
  • Grève de masse, parti et syndicats, 1906
  • La Question nationale et l'autonomie, 1909
  • L'Accumulation du capital, 1913
  • La crise de la social-démocratie, 1915
  • La Révolution russe, posthume 1922

Trotski

1) Les sources de sa pensée
Marx, Labriola, Lénine l'ont beaucoup influencé. Son opposition à Staline lui coûtera la vie.

2) La vie de Trotski
Lev Davidovitch Bronstein est né à Elisabethgrad (Ianovska), village perdu dans les steppes du sud de l'Empire de Russie, le 26 octobre 1879. Il est issu d'une famille de paysans moyennement aisés, de confession juive. A neuf ans, on l'envoie étudier à Odessa. A 17 ans, il commence des études de mathématiques puis de droit à Nicolaïev. Il grandit alors que s'achève l'époque du « terrorisme révolutionnaire individuel » en Russie. Rappelons que le 26 août 1879, le groupe « la Voix du peuple » condamnait à mort le tsar, qui sera assassiné le 1er mars 1891. Ces actions spectaculaires n'engendrèrent jamais de soutien de masse, qui subissent au contraire de plein fouet ce terrorisme individuel.
C'est dans un groupe populiste que Trotski, comme Lénine, démarra sa vie politique. Mais il se rallie au marxisme. Il est précocement très actif dans le mouvement socialiste. En 1896, alors qu'il est encore étudiant, il adhère aux idéaux sociaux-démocrates. Cette année là, de grandes grèves agitent Saint Pétersbourg. Trotski, en recevant l'écho dans sa province lointaine, participe à la création de l'Union Ouvrière de la Russie Méridionale. Croyant qu'un tel groupe ne peut être dirigé par des « gamins », la police ne réagit pas de suite. Ce n'est qu'en 1898 que Bronstein est arrêté pour ses activités révolutionnaires. Il est transféré à la prison de Nicolaïev, puis de Kherson, et enfin d'Odessa. Il découvre alors Labriola. En 1900, il est déporté en Sibérie, où il s'adonnera notamment à la critique littéraire. Il y découvre l'œuvre de Lénine, notamment Que faire ? Mais il réussit à s'évader en 1902 et émigre à l'étranger, et rejoint à Londres Lénine, Martov, Plekhanov et Véra Zassoulitch, ainsi que ceux qui deviendront les mencheviks. Lénine le fait entrer par cooptation dans le comité de rédaction du journal l'Iskra (L'Etincelle). Il adopte alors le pseudo de « Trotski », utilisé par le hasard d'un faux passeport russe. Il milite avec la tendance "modérée", car il se rallie au Congrès de Londres aux « mencheviks », mais il rompra avec eux dès septembre 1904. Il connaîtra alors 13 ans d'isolement politique. Il est le seul à cette date (Lénine n'a pas clarifié ses positions) à penser une révolution socialiste possible en Russie. Il garde cependant ses distances vis-à-vis de Lénine, lui reprochant ses méthodes de dictateur et son attitude, qu'il qualifie de jacobine. Le 22 janvier 1905, Trotski est en Finlande lorsqu'il apprend la nouvelle de la Révolution. Il rentre alors en Russie, se rendant d'abord à Kiev. En octobre, c'est la grève générale. Après s'être caché à nouveau en Finlande, il revient dans la capitale russe. Il publie notamment « La Gazette russe » (100 000 exemplaires), puis « Le Commencement », et devient vice-président puis président du Soviet de Saint Péterbourg pendant la première révolution russe. Le 3 décembre 1905, il est encore une fois arrêté avec le Soviet tout entier. Un an plus tard, un procès d'un mois le condamne à la déportation perpétuelle. En 1907, il s'évade pendant le voyage vers la Sibérie. Le 2 mars, il est à Pétrograd, puis s'exile en Finlande. C'est à ce moment qu'avec Alexander Helphand (aussi connu sous le pseudonyme de Parvus) il formule la théorie de la révolution permanente. Il fonde à Vienne la Pravda en 1908. Il y défend l'unité de l'ensemble de la social-démocratie, toutes tendances confondues. Il organise une conférence pour l'unification en réponse à la Conférence de Prague, suite à la scission de 1912. Les bolcheviques n'y participent pas. Cela lui vaut de vives tensions avec Lénine. Il travaille alors avec Nache Slovo (Notre Parole), dont il est collaborateur à Paris, en novembre 1914. Il fait partie de ceux qui, au sein du mouvement socialiste, restent internationalistes et s'opposent à la guerre, prônant la grève générale pour bloquer le conflit, à l'inverse de ceux qui pensent que le patriotisme doit l'emporter. Cela le rapproche de Lénine, ou de Luxemburg. Il est expulsé de France en septembre 1916, et conduit à Irun en Espagne. La police l'arrête, et l'embarque de force avec sa famille pour les Etats-Unis. A New York, il contribue au journal Novyj Mir (Nouveau Monde). Il y fait la rencontre de Boukharine. Il rédige également le manifeste de la conférence de Zimmerwald. Le groupe de révolutionnaires animé par Trotsky, les internationalistes unifiés, fusionne avec le Parti Bolchevik.
Retenu un mois dans un camp de concentration canadien, où il gagne à Liebknecht les prisonniers de guerre allemands, il revient en Russie en mai 1917, notamment parce qu'il est en accord avec les thèses d'avril de Lénine. Il les considère comme un ralliement à sa théorie de « révolution permanente ». Il rejoint en août les Bolcheviks et a un rôle important durant la Révolution russe d'octobre 1917. Il s'opposera au début à Staline, qui adopte une posture plus modérée face à la révolution. Trotski, comme Lénine, veut « tout le pouvoir aux soviets ». Lors du Congrès de réunification, en août, il est de nouveau arrêté et emprisonné en juillet 1917. Il est libre en septembre. Il devient Président du soviet de Petrograd et est élu au Comité Central. Il crée avec Lénine le conseil des Commissaires du Peuple. En octobre, il est président du comité révolutionnaire militaire. Le 25, c'est lui qui dirige et organise l'insurrection. Les deux noms de Lénine et de Trotski sont liés par l'histoire comme ceux des deux artisans de la révolution d'Octobre. Trotski est nommé Commissaire du Peuple pour les Affaires Etrangères et, il représente les soviets aux pourparlers qui aboutissent à la paix de Brest-Litovsk. Après ceux-ci, il démissionne. Numéro deux du régime, il ne connaîtra la paix que trois mois, puisque la guerre civile commence peu après. Commissaire du Peuple chargé de la guerre en 1918, il fonde l'Armé Rouge qui vainc les troupes blanches. Il la dirige jusqu'en 1925. Il fait également partie du Bureau Politique du Parti de 1919 à 1927. En mars 1921, c'est lui qui organise la répression des marins de Cronstadt, dont l'interprétation est encore objet de débat.
Au bout de 4 ans de guerre civile, l'Etat soviétique est en ruine. Il faut relever l'économie. La révolution ne s'est pas étendue à l'Europe, et l'armée rouge a été défaite en Pologne. Dès 1923, Trotski entre en conflit avec la « troïka » Zinoniev-Kamenev-Staline dans son livre « Le Cours nouveau », où il analyse l'évolution du parti bolchevique, proposant des méthodes pour en enrayer la bureaucratisation. Il s'oppose aussi à l'idée du socialisme « dans un seul pays ». Lénine meurt en 1924. Trotski est destitué de ses responsabilités en janvier 1925 par le triumvirat assurant la direction. Il se rapproche néanmoins de Zinoviev et Kamenev en 1926 pour fonder un courant opposé à Staline. Il est exclu du Comité Exécutif du Komintern en 1927, ainsi que du Parti. Il continuera cependant à coordonner l'opposition de gauche à l'intérieur de l'Internationale. Il est envoyé en résidence surveillée dans le Kazakhstan, à Alma Ata. Il est expulsé d'URSS en 1929 et s'enfuit en Turquie, à Pinkipo. Dès juillet 29, il publie un bulletin mensuel d'opposition en langue russe. En avril 1930, il organise une conférence internationale mettant en place le secrétariat provisoire de l'Opposition Communiste. De juillet 1933 à juin 1935, il vit en France. Il part alors pour la Norvège. En août 1936 commencent les grandes purges de Moscou, où, principal accusé, il est évidemment absent. Rappelons qu'entre 1936 et 1939, tous les membres du Comité Central de l'époque de Lénine vivant en URSS sont assassinés. Il part au Mexique en septembre 1936. Il y réorganise le Parti Communiste Révolutionnaire. Il entreprend « le plus important travail de sa vie, plus important que 1917 : munir d'une méthode révolutionaire les nouvelles générations, au dessus de la tête des chefs de la IIe et de la IIIe Internationale. » (Journal d'exil) Le 3 septembre 1938, il fonde la " 4ème Internationale", avec 25 délégués, représentant 11 pays. Il milite beaucoup avec son fils, Lev (Léon) Sedov. Il est blessé à mort d'un coup de piolet dans sa maison par un jeune homme (Jacques Mornard ou Franck Jackson, Ramon Mercader de son vrai nom), qu'il avait hébergé le 20 août 1940 à Coyoacan, et de manière quasi certaine sur ordre de Staline. Il avait auparavant vécu l'assassinat de 1'un de ses fils, 1a disparition d'un autre, le suicide de sa fille, le meurtre d'un de ses secrétaires, l'extermination de ses amis et de ses collaborateurs en URSS et à l'étranger, ainsi que la destruction des conquêtes politiques de la Révolution d'Octobre.

3) Apport conceptuel
Avant 1917, les marxistes russes étaient tous d'accord pour penser que la future révolution aurait nécessairement un caractère démocratique bourgeois : abolition du tsarisme, établissement d'une République, suppression des vestiges féodaux dans les campagnes, distribution de terres aux paysans. Les disputes portaient sur le rôle du prolétariat et sur ses alliances : avec la bourgeoisie libérale (mencheviks) ou la paysannerie (bolcheviks). Trotski est le premier à mettre en question le dogme de la démocratie bourgeoise, le seul à envisager la possibilité d'une transcroissance de la révolution démocratique en révolution socialiste. Il est le seul à suggérer, dès 1905, la possibilité d'une révolution accomplissant des tâches non seulement démocratiques mais aussi socialistes. C'est la théorie de la révolution permanente, assez différente de l'orthodoxie marxiste et qui porte la marque de l'influence de Labriola.
Trotski critique la séparation rigide pratiquée par les bolcheviks entre le pouvoir socialiste du prolétariat et la dictature démocratique des ouvriers et des paysans. Il critique l'économie de Plekhanov :  « Imaginer que la dictature du prolétariat dépende en quelque sorte automatiquement du développement et des ressources techniques d'un pays, c'est tirer une conclusion fausse d'un matérialisme économique simplifié jusqu'à l'absurde » La conception de l'histoire de Trotski n'est pas fataliste : la tâche du marxisme et de découvrir en analysant le mécanisme interne de la révolution, les possibilités qu'elle présente dans son développement.
Seul le mouvement ouvrier, soutenu par la paysannerie, peut accomplir la révolution démocratique en Russie en renversant l'aristocratie et le pouvoir des propriétaires fonciers. La révolution russe peut dépasser les limites d'une transformation démocratique et commencer à prendre des mesures anti-capitalistes. Trotski refuse le concept léninien de « dictature démocratique du prolétariat » parce que cela signifierait que le prolétariat renonce à dépasser les limites du programme démocratique. La révolution est permanente au sens où elle ne s'arrête pas au stade démocratique, où elle se transforme en révolution socialiste. La révolution ne peut d'ailleurs être achevée dans les limites nationales. Elle « commence sur le terrain national, se développe sur l'arène internationale et s'achève sur l'arène mondiale (…) dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète » La révolution continue au-delà même de l'instauration du pouvoir ouvrier.
Trotski s'inquiète des dangers qui menacent de l'intérieur la démocratie dans le mouvement ouvrier. Dans Nos tâches politiques (1904), il critique Lénine pour sa conception centraliste et autoritaire. Le social démocrate révolutionnaire n'est qu'un « jacobin lié indissolublement à l'organisation du prolétariat ». Selon Trotski, il faut choisir entre le jacobinisme et le marxisme : « deux mondes, deux doctrines, deux tactiques et deux mentalités, séparés par un abîme » Selon Trotski, si l'on suit Lénine, « L'organisation du parti – un petit comité – commence par se substituer à l'ensemble du parti ; puis le comité central se substitue à l'organisation et finalement un « dictateur » se substitue au comité central. ». La dictature du prolétariat risque de devenir dictature sur le prolétariat. Trotski insiste donc sur la nécessité d'une démocratie pluraliste dans l'exercice du pouvoir révolutionnaire.
Les premières années du pouvoir soviétique (1917-1923) se caractérisent par des restrictions croissantes des libertés démocratiques. Léon Trotski partage avec Lénine la responsabilité de cette orientation et va tenter lui-même de mettre en pratique certaines des thèses dont il avait dénoncé le danger en 1904.
Le grand tournant a lieu en 1923 quand il prend conscience de la montée progressive du pouvoir de la bureaucratie au sein du Parti et de l'Etat soviétique. Il va dénoncer dans Cours nouveau la tendance de l'appareil à « opposer les cadres dirigeants au reste de la masse » Il deviendra le principal adversaire de la bureaucratie stalinienne et l'on retrouvera dans La révolution trahie les plaidoyers pour la démocratie socialiste et le pluralisme de Nos tâches politiques. Il présente les mesures anti-démocratiques de la période 1917-1924 comme ayant une vocation provisoire dictée par la nécessité de la guerre civile.

4) Les principales œuvres 

  • Nos tâches politiques, 1904
  • Terrorisme et communisme, 1920
  • De la révolution :
    • Cours nouveau, 1923
    • La révolution défigurée, 1927 - 1929
    • La révolution permanente, 1928 - 1931
    • La révolution trahie, 1936
  • Littérature et révolution, 1924
  • Ma vie, 1929
  • Histoire de la révolution russe, 1931 - 1933

Mao Zedong (ou Tsé-Toung, ou Tsö-tong)

1) Les sources de sa pensée

Les sources essentielles sont évidemment Marx et Lénine mais on notera aussi une influence de la tradition chinoise (Confucius, Lao-Tseu, Soun Tseu) invoquée dans le Petit livre rouge

2) La vie de Mao
Mao est né le 26 décembre 1893 à Shaoshan, dans une famille de riches paysans de la région du Hunan. Tout en suivant les cours de l'école primaire, il travaille dès 1901, à l'âge de 8 ans. En 1903, révolté par la dureté de son père et les mauvais traitements de son maître, qui l'avait battu pour avoir négligé l'apprentissage d'un classique confucéen, il fait une fugue. En 1906, à 13 ans, il suspend ses études pour ne plus se consacrer qu'aux travaux de la ferme. L'année d'après, il est contraint de se marier mais sa femme meurt au bout d'un an. En 1909, il peut reprendre des études à l' « école moderne », où il étudie les sciences naturelles, l'histoire, la géographie, mais aussi l'anglais. Deux ans après, il est admis à l'école moyenne. A 18 ans, en 1911, suite à une insurrection républicaine, il s'engage dans l'armée nationaliste du Guomindang. Il n'y reste qu'un an, au bout duquel il étudie en autodidacte à la bibliothèque de Changsha, alors que la République a balayé la dynastie mandchoue. En 1913, il entre à l'Ecole Normale du Hunan, où il reste jusqu'en 1918. Il y organise des cours du soir pour alphabétiser les travailleurs. En 1916, il participe à la campagne contre Yan Shikai, et les 21 demandes du Japon. En effet, le Japon avait envoyé à la Chine un ultimatum, et Yan Shikai, chef d'Etat chinois, avait commencé à se soumettre, ce qui avait provoqué des actions de masse. En 1917, tout en travaillant à la bibliothèque de Pékin comme aide bibliothécaire, Mao publie Etudes sur la culture physique. Le puritanisme révolutionnaire et le culte de la force athlétique feront partie de l'idéal maoïste. Il dénonce également la morale confucéenne, et refuse son mariage arrangé. Très tôt, il se révolte également contre la condition de la femme chinoise, ce qui se ressentira dans ses mesures prises une fois arrivé au pouvoir. Il découvre le marxisme. La même année, il est élu Président de la Société des Etudiants. En 1918, il rencontre à Pékin Yang Kaihui, sa future femme. Il fonde alors la Société des nouveaux citoyens. En 1919, après un passage à Shangaï, il devient instituteur à Chagsha. Le 4 mai, il participe aux émeutes qui protestent contre l'attribution au Japon des possessions allemandes en Chine suite à la signature du Traité de Versailles. Mao fonde alors des journaux. En 1920, de retour à Shangaï, il travaille dans une blanchisserie. Il fréquente Li Dazhao et Che Duxiu, alors qu'il est à nouveau nommé dans une école de Changsha, cette fois comme directeur. Il commence à organiser, dans sa région, des groupes marxistes, dont une organisation de jeunesse.
Sous l'impulsion du Kominterm, le PCC est fondé en 1921, et Mao est présent à ce premier Congrès pour représenter les groupes du Hunan. Mao en est membre, secrétaire du Comité Provincial du Parti, convaincu définitivement par le marxisme par la lecture du Manifeste, de La Lutte des classes de Kautsky et de l'Histoire du Socialisme, par Kirkupp. Li Dazhao l'influence également de manière durable, développant l'idée que la révolution chinoise viendrait de la paysannerie. La même année, il se marie avec Yang Kaihui. En 1923, il entre au Comité Central du Parti et au Bureau Politique du Guomindang, alors allié du PCC et soutenu par l'URSS. En effet, la première tactique du Parti est celle d'un front unitaire avec les anarchistes et les républicains. Mais l'insurrection de 1925, ouvrière et citadine, se solde par un massacre des communistes, qui deviennent quasi-inexistants durant quelques temps. En 1926, Mao rédige Analyse des classes de la société chinoise, où il explique que le prolétariat est la force motrice de la révolution, et que la paysannerie et la petite bourgeoisie sont ses plus proches alliés. Il anime notamment une grève de mineurs, suite à la multiplication des syndicats ouvriers dans le sillage du PCC. Il rédige en mars 1927 un rapport sur la situation du mouvement paysan dans le Hunan, où il magnifie les troubles ruraux. Il est alors à la tête d'un centre d'entraînement de paysans contre l'invasion japonaise, organisé suite à l'alliance entre nationalistes et communistes. Le mouvement paysan qu'il dirige est cependant brisé dès avril. Suite à l'expulsion des communistes du gouvernement de Wuhan, il devient un des principaux dirigeants du PCC durant le soulèvement communiste du 1er août 1927. Mao est promu à la direction du Parti par le Kominterm. Ses concurrents sont éliminés plus ou moins directement. Il prend la direction du « soulèvement de la moisson d'automne », croyant percevoir le potentiel révolutionnaire des masses paysannes (rappelons que la Chine comptait 500 millions de paysans pour 2 à 3 millions d'ouvriers seulement, le PCC n'est puissant que dans quelques villes). La révolte est un échec, qui lui vaut l'exclusion du Bureau Politique du PCC. Arrêté, Mao échappe de justesse à la mort en faussant compagnie des gardes qui l'emmenaient au peloton d'exécution. Contre l'avis du Parti, qui préfère à la guérilla les formes plus classiques de la révolution prolétarienne, Mao fonde une armée la même année (2000 hommes dans la montage du Jinggang, pour échapper à la répression menée par Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek), dès septembre. En novembre, il y organise le partage des terres et distribue des armes aux paysans. L'armée est administrée de manière démocratique En décembre 1927, l'insurrection ouvrière de Canton est écrasée, les communistes doivent se retirer dans les montages du Jiangxi. Avec l'aide militaire de Zhu De, futur commandant de l'Armée Populaire de Libération, les bases rouges se multiplient. En 1928, il se marie avec He Zizhen et publie Pourquoi le pouvoir rouge peut-il exister en Chine et La lutte dans les monts Jinggang. En 1929, il fonde avec Zhu une nouvelle base dans la région du Jiangxi et développe la lutte dans Nanchang et Changsa. En 1931 est fondée la République Soviétique Chinoise, et il est élu Président. En 1932, il subit une perte d'audience au sein de l'Armée et du Parti. En 1933, il est même mit en minorité au sein du Comité Central, installé dans le Jiangxi. Suite à la défaite de l'Armée rouge lors de la contre-offensive gouvernementale d'octobre 1934, Mao amène alors ses hommes dans le nord du pays, par une marche de 15 000 km. C'est la fameuse « Longue Marche », formidable équipée de 130 000 personnes, qui ne seront plus que 20 000 à l'arrivée, harcelés par les troupes gouvernementales, mieux armées et plus nombreuses, à travers un relief montagneux hostile. Ces hommes formeront l'élite de l'armée révolutionnaire. Lorsque les Japonais envahissent la Chine, les communistes s'infiltrent dans les régions occupées et mènent la guérilla contre l'occupant, mais aussi contre les nationalistes chinois. En janvier 1935, Mao, renforcé par la Longue Marche, réintègre le Bureau Politique, dont il prend le contrôle effectif, et sa commission militaire. En octobre, lui et ses camarades sont parvenus au nord du Shaanxi. En 1936, il décide d'axer la lutte non plus prioritairement contre le Guomintang, mais contre l'occupant japonais. A Yan'an, où lui et le PCC sont installés, il rédige ses textes fondamentaux : Problème stratégique de la guerre révolutionnaire en 1936, De la contradiction, de la pratique en 1937, De la Démocratie nouvelle en 1940. Il y adapte le marxisme à la réalité chinoise. Il développe notamment l'idée que la guérilla est la méthode révolutionnaire idéale du prolétariat chinois. De 1937 à 1945, la guerre fait rage entre Japon et Chine. A nouveau, le PCC et le Guomintang s'allient, contre un ennemi commun, l'impérialisme japonais. Mais cette fois ci, l'autonomie des deux organisations sur le plan militaire est maintenue. Les troupes du Parti mènent une guerre de guérilla, et renforcent leurs méthodes militaires. Le PCC progresse rapidement en effectifs. Par ailleurs, les communistes imposent une nouvelle administration des territoires qu'ils contrôlent. Mao se sépare durant cette période de Hé Zizhe, qui s'exile en URSS, et épouse Jiang-Quing. En 1942, il publie Causerie sur la littérature et sur l'art. Durant l'année 1943, le PCC connaît un développement considérable pour son importance dans la résistance chinoise, jouant un rôle national et anti-impérialiste. Il lie même des contacts avec les Etats-Unis.
En 1945 a lieu le VIIe Congrès du PCC, peu avant la capitulation japonaise, en août. L'URSS signe alors un traité d'alliance avec la Chine nationaliste de Jiang Jieshi. Lia Biao envoie une partie de l'Armée Rouge Chinoise en Mandchourie. Après une trêve en 1946, commence la guerre civile révolutionnaire en 1947. Malgré l'avancée nationaliste, les communistes entament une lutte sous la forme de la guérilla, et reprennent la Mandchourie. En 1948, l'Armée Populaire de Libération devient supérieure en nombre et avance vers le sud. Elle prend Pékin. En avril 1949, elle franchit le Yangzi. Le 1er octobre, Mao proclame la République Populaire de Chine, dont il est Président du Conseil, puis Président de la République de 1954 à 1959, en plus d'être dirigeant du PCC. Les nationalistes sont contraints d'évacuer le continent, Tchang Kaï-chek se retire à Taïwan. Le 16 décembre, Mao rencontre Staline à Moscou. En février 1950, l'URSS et la RPC signent un traité d'alliance. Le 25 juin 1950, commence la guerre de Corée, qui durera 3 ans. La Chine participe à cette guerre au côté de la Corée socialiste à partir du 15 octobre 1950. Le fils aîné de Mao y meurt au combat. L'Armée Populaire Chinoise s'empare également du Tibet. Mao s'appuie jusqu'alors sur l'URSS.
Mao va alors dominer toute la Chine pendant 27 ans. Après quelques nationalisations et création de coopératives, en 1951 et 1952 sont menées en Chine deux campagnes idéologiques, contre la bureaucratie, la corruption, l'escroquerie, l'opium, puis contre les fléaux que représentaient les mouches, les moustiques, les rats et les moineaux. A l'époque, il ne s'agit que de quelques petites mesures : la réforme agraire ne se fait que par la persuasion, la collectivisation est douce. Sur le plan des mœurs, le gouvernement chinois lutte contre le patriarcat. En 1953, la Chine programme son premier plan quinquennal. En 1955, les collectivisations s'accélèrent. En 1956, Mao fait son discours sur les « Dix grandes relations », où il critique vivement la voie soviétique appliquée à la Chine, et produit un poème intitulé « La Nage ». La même année, il défend alors Staline contre Kroutchev. En novembre 1957, à Moscou, il signe le traité sino-soviétique de coopération nucléaire. Il cherche à l'époque à s'appuyer sur les intellectuels, avec le « mouvement des cent fleurs ». Il pousse ceux-ci à critiquer le Parti. Mais le flot de critiques pousse finalement le pouvoir à lancer une répression. Il rédige aussi De la juste solution des contradictions au sein du peuple, où il prend ses distances avec l'orthodoxie marxiste-léniniste. En 1958, il lance « le grand bond en avant », c'est-à-dire la création de communes populaires fondées sur un mode de vie collectiviste, communautaire, avec un second plan quinquennal. Ces communes regroupent 58% des familles. L'équipement en électricité, la production agricole, sont multipliés par deux. Le programme doit faire rattraper en 15 ans le même niveau en production d'acier que la Grande Bretagne. C'est un échec : l'acier est de mauvaise qualité. De plus, les paysans réquisitionnés ne cultivent plus leur champ. La famine qui suit l'effort exigé aux paysans cause 20 à 30 millions de morts entre 1959 et 1961. L'échec a pour conséquence directe une coupure de l'aide soviétique. La même année, il décide de ne pas se représenter à la Présidence de la RPC. Liu Shaoqi est alors élu Président en 1959. Il reste cependant président du Bureau Politique du PCC. Mao publie la même année son poème Sahaoshan. Il rencontre également Kroutchev. En 1960, le « Grand bond » est définitivement un échec, et Mao est en minorité au Comité de Direction du Parti. Dès 1963, Mao reprend l'offensive, contre ceux qu'ils jugent « réformistes » : Liu Shaoqi et Deng Xiaoping. Une gigantesque offensive de propagande, la Campagne d'éducation socialiste, réaffirme les grands thèmes maoïstes: contrôle du parti par les masses, suppression des hiérarchies entre travail manuel et intellectuel, entre ville et campagne. Lin Biao, commandant de l'Armée rouge, qui a pris le nom, après la défaite du Japon, d'« Armée populaire de libération », contribue à organiser un véritable culte de la personne de Mao. En 1964, les relations diplomatiques entre la France et la Chine populaire sont nouées. En 1966, il reprend définitivement les rennes du pouvoir et lance la « Révolution culturelle », qui est une tentative de mobilisation de la jeunesse contre l'appareil du Parti (avec l'expérience fameuse des intellectuels envoyés au champ ou à l'usine), notamment contre des dirigeants ayant vécu la Longue Marche. Elle est notamment dirigée par Lin Biao, en lutte pour le pouvoir. La Révolution Culturelle projette notamment de se débarrasser des « Quatre Vieilleries » (vieilles idées, cultures, coutumes et habitudes), et de créer un « homme nouveau ». C'est pendant cette période que des portions inestimables du patrimoine chinois furent détruites. Toutes ces mesures apparaissent par ailleurs comme des purges contre une direction dont il craint qu'elle lui manquera de fidélité. Elle ne se termine qu'en 1976. Son programme est contenu dans le Petit Livre Rouge, publié à plus d'un milliard d'exemplaires. Mao estime que la réussite de cette opération ne peut être obtenue que par une « nouvelle révolution », qui commence par la brutalisation des intellectuels et enseignants. Les gardes rouges, étudiants en majorité, prennent le contrôle des villes et détruisent les symboles du passé. Symbole de « l'efficacité maoïste », à 73 ans, il aurait traversé à la nage le Yangzijiang, sur 15 kilomètres. A cette époque, le culte de la personnalité dévoué à Mao est à son comble. Il est presque déifié par la propagande officielle. En 1967, devenant membre de la Garde Rouge, il part en inspection dans plusieurs provinces chinoises. Il casse alors la gauche anarchisante. De 1967 à 1968, avec Lin Piao, il engage une dictature militaire. En 1968, on se souvient des portraits de Mao et des petits livres rouges brandis par des étudiants français. En 1969, Mao finit par mettre au pas les gardes rouges, qui échappaient à son contrôle, et lance un appel au calme, qui est rétabli en 1971, avec Zhou Enlai. Il rencontre en 1972 Nixon et le Japonais Tanaka. A partir de cette date, il laisse peu à peu la direction du pays à Zhou Enlai, le premier ministre. Dès 1973, Deng Ziaoping revient en grâce. On voit que la vie politique de la Chine de l'époque est une longue suite d'intrigues de palais. Le Grand Timonier meurt à Pékin le 9 septembre 1976, atteint de la maladie de Parkinson. Il laisse un pays épuisé par les échecs. Zhou Enlai est mort la même année. Sa veuve, Jiang Qing, partie prenante du durcissement du régime des dernières années, tente, avant même la fin des funérailles, de s'approprier le pouvoir, avec la « bande des quatre », sur laquelle tous les échecs du régime sont rejetés. Mais elle est finalement renversée, jugée, et condamnée par la fraction réformiste du Parti menée par Deng Xiaoping. Dès 1978, la « démaoïsation » commence.
Dans l'Histoire du XXe siècle, notons que la défense du stalinisme par Mao a influencé des régimes comme celui d'Albanie et de Corée du Nord, alliées à la Chine. La théorie de la guérilla a aussi eu son importance pour plusieurs groupes révolutionnaires.

3) Apport conceptuel
Du maoïsme, on conserve aujourd'hui surtout plus les actes que les pensées, et de Mao davantage l'homme politique (sévèrement jugé) que le philosophe marxiste. Tout a été dit sans doute sur les excès historiques du maoïsme et ses crimes. Ajoutons que sa pensée a été souvent réduite aux slogans du Petit livre rouge Sous ce titre ont été rassemblés des extraits des écrits de Mao entre 1926 et 964. Présentés par Lin Piao ces textes se présentent comme un catéchisme maoïste publié à 400 millions d'exemplaires. Tel n'est pas notre angle d'approche. Ce qui nous intéressera ici est uniquement l'apport de Mao à la philosophie marxiste.
Mao a développé le matérialisme dialectique. Toute analyse doit rechercher les contradictions ("1 devient 2") D'une chose apparemment unifiée, on fait une chose possédant une contradiction interne. Chez les contre-révolutionnaires "2 devient 1" c'est-à-dire que la contradiction est niée.
Ceci s'applique à la notion de peuple. Le peuple se définit toujours comme terme d'une contradiction ou au sein d'un système de contradictions. Comme les situations évoluent historiquement, "La notion de peuple prend un sens différent selon les pays et selon les périodes de l'histoire" (De la juste solution des contradictions au sein du peuple)
Le peuple se définit cependant toujours par opposition à un contraire c'est-à-dire à ses ennemis. Peuple et ennemi du peuple sont des concepts à contenu variable mais qui se définissent toujours corrélativement, le peuple étant la force révolutionnaire, les ennemis du peuple la ou les forces contre révolutionnaires. La société est divisée mais tous les conflits ne sont pas à mettre sur le même plan et, selon la période, un conflit va dominer les autres. Par exemple, lors de l'invasion de la Chine par le Japon, le peuple inclut la bourgeoisie car l'ennemi commun est la puissance étrangère. Quand l'envahisseur est vaincu, une grande partie de la bourgeoisie redevient ennemie du peuple car ce qui devient dominant est le conflit de classes.
Le peuple est à la fois actif et dominé. Il fait l'histoire (un parti ne peut l'emporter que par sa rencontre avec lui et c'est le critère de la justesse de l'action) Un mouvement rencontrant l'adhésion populaire ne peut qu'être victorieux. Il y a une puissance créatrice du peuple sur tous les plans qui le rend supérieur aux classes dominantes (invention tactique, supériorité des arts populaires, de la langue du peuple etc.)
Mais le peuple est exploité, dominé et donc privé des moyens d'exercer sa créativité. Le peuple créateur ne peut mettre en œuvre cette puissance. Il faut donc que des individus, des groupes, des partis apportent au peuple le savoir ou les techniques qu'il n'a pas. Il faut éduquer le peuple et il n'y a donc pas de spontanéité de la révolution.
Comme tout être réel, le peuple est traversé lui aussi de contradictions et ce ne sont pas seulement les contradictions de classe. D'où l'idée qu'il faut une révolution complète (et pas seulement brisant le capitalisme). Il faut aussi résoudre les autres contradictions : racisme, sexisme etc. Considérer une contradiction comme centrale, c'est oublier les autres. La lutte ne porte pas que contre la division des classes mais aussi de sexe, de nation etc.
Les contradictions internes au peuple doivent être résolues non pas par la violence mais par le débat. Il faut les traiter avec d'autant plus d'attention qu'elles sont moins visibles : ce qui oppose deux alliés est moins évident que ce qui oppose deux ennemis. Or, non prises en compte, ces contradictions peuvent devenir antagonistes.
La théorie du pouvoir est marxiste : caractère de classe des formes politiques, théorie du dépérissement de l'Etat comme perspective du mouvement de l'histoire. L'originalité se trouve dans le concept de Démocratie nouvelle et de Dictature démocratique populaire
La Chine ne peut passer directement d'un Etat féodal (ou semi-féodal) à un Etat socialiste. Il faut l'étape transitoire de la démocratie bourgeoise. Mais cette démocratie bourgeoise est "nouvelle" car elle doit être placée sous la direction du Parti communiste (qui représente les intérêts du Prolétariat) et doit préparer à la société socialiste.
La démocratie est une forme de gouvernement définie par opposition à la dictature. Dans un même forme politique peuvent coexister démocratie et dictature. Dans la société nouvelle, il y a une dictature exercée par le peuple dirigé par la classe ouvrière contre les couches sociales et intérêts contre révolutionnaires. Mais au sein du peuple s'applique le centralisme démocratique.
La démocratie n'est pas l'anarchie et le peuple y est gouverné. Les dirigeants doivent "servir le peuple", être dévoués, avoir un style de vie "populaire" (ordre éthique) mais il faut aussi, au plan politique, respecter une vraie méthode de gouvernement :

  • Il faut promouvoir les éléments les plus actifs des masses et les substituer aux moins qualifiés ou à ceux qui ont dégénéré
  • La direction doit "partir des masses pour retourner aux masses" La direction doit sans cesse tenir compte de la révolution empirique, faire des "enquêtes" sur les conditions de vie et les idées des masses. Il faut recevoir la critique du peuple (cf. la pratique des dazibaos)

Le rôle dirigeant du Parti n'est jamais remis en cause. Il est l'intermédiaire entre le peuple gouverné et le gouvernement puisque, on l'a vu, le peuple doit être éduqué. Mais il doit aussi travailler à sa propre extinction. Le Parti ne doit donc pas se substituer aux travailleurs et ne doit pas se considérer comme infaillible.
Ainsi la lutte continue après la révolution. La critique idéologique doit continuer et cette critique se fonde sur l'argumentation et non sur la violence. C'est le sens de la Révolution culturelle. La voie révolutionnaire est tortueuse et passe par l'autocritique

4) Les principales oeuvres

  • Analyse des classes de la société chinoise, 1926
  • Rapport sur l'enquête menée dans le Hounan à propos du mouvement paysan, 1927
  • De la pratique, 1937 
  • De la contradiction, 1937 
  • De la nouvelle démocratie, 1940 
  • De la littérature et de l'art (intervention aux causeries sur la littérature et l'art à Yenan) , 1942 
  • De la juste solution des contradictions au sein du peuple, 1957 
  • La guerre révolutionnaire, recueil de 2 textes :
    • Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine, 1936
    • Questions de stratégie dans la guerre de partisans antijaponaise, 1938
  • À la mémoire de Norman Bethune, 1939
  • Servir le Peuple, 1944
  • De la juste solution des contradictions au sein du peuple, 1957

  • Index des auteurs