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Tocqueville se voulait un moraliste. Il étudia la démocratie en Amérique, comprenant à la fois que l'avènement de ce régime politique est inéluctable mais que, en même temps, il ne nous met pas à l'abri du despotisme. Il cherche à réfléchir d'une façon quasi sociologique sur l'égalisation des conditions, retenant l'idée qu'il ne s'agit plus de choisir entre démocratie et aristocratie mais de choisir entre une démocratie désordonnée et même despotique et une démocratie ordonnée et morale. |
Sommaire
Les sources de sa pensée.
La vie de Tocqueville
Apport conceptuel.
Principales uvres.
Les sources de sa pensée.
Un séjour de neuf mois aux Etats-Unis lui fournit les observations nécessaires à sa réflexion sur la démocratie. Il est aussi celui qui réfléchit sur les conséquences de la Révolution Française. Il s'inspire aussi de Montesquieu
La vie de Tocqueville
Alexis de Tocqueville naît en 1805 à Paris dans une famille noble (sa grand-mère paternelle descendait de Saint Louis) et ultra-royaliste qui avait été en partie décimée sous la Terreur. Parce que la famille comptait dans ses rangs Malesherbes, l'avocat de Louis XVI, le père de Tocqueville fut emprisonné sous la Révolution et échappa de peu à la guillotine. Ce père supporta le choc et resta fidèle aux idées des Lumières. Sa mère, en revanche, en garda une nostalgie légitimiste sans nuance. En ce début du XIX° siècle, certains nostalgiques de l'Ancien Régime voient dans l'idée démocratique l'incarnation du mal, quand les libéraux, qui pourtant acceptent la Révolution, s'efforcent d'en contenir les conséquences. Tocqueville ne sera pas un conservateur mais un libéral engagé tout en se méfiant des intentions révolutionnaires.
Sa première instruction est confiée à un ecclésiastique, l'abbé Lesueur, ancien prêtre réfractaire et ancien émigré. Il étudie ensuite la philosophie et la rhétorique au collège de Metz.
Il suit des études de droit à Paris après avoir hésité entre le métier des armes et la magistrature. Il est nommé juge auditeur à Versailles en 1827. Dans cette fonction, il constate à quel point l'Ancien Régime et la Révolution continuent à s'affronter dans la société française.
Lors de l'avènement de la Monarchie de Juillet, alors que sa famille reste fidèle aux Bourbons, Tocqueville accepte de prêter le serment à Louis Philippe exigé des magistrats, comme le fera aussi son ami, Gustave de Beaumont. Cela lui vaut quelques inimitiés, ce qui explique son départ pour les Etats-Unis, avec Gustave de Beaumont, départ dont le but officiel est un voyage d'étude de neuf mois (1831-1832) pour étudier, en juriste qu'il est, le système carcéral américain, considéré alors comme le plus évolué de l'époque. Il veut prendre du champ pendant que se calmeront les passions. Il profite de son séjour pour accumuler les observations sur la vie politique américaine.
A son retour, en 1835, il renonce à la magistrature et rédige le premier tome de son ouvrage De la démocratie en Amérique, livre qui connaît un énorme succès. Il est reçu à l'Académie des sciences morales et politiques en 1838, est élu député du département de la Manche à la Chambre en 1839 et entre à l'Académie Française en 1841 (il n'a que 36 ans). En 1840 paraît le second tome De la démocratie en Amérique. Membre de l'Assemblée Constituante en 1848, il est vice-président de l'Assemblée Nationale puis ministre des Affaires étrangères en 1849. En tant que ministre, il veut faire prévaloir dans les Etats Pontificaux un régime constitutionnel pour réconcilier l'Eglise catholique et les libertés modernes. C'est un échec. En 1851, il s'oppose au coup d'Etat de Louis Napoléon Bonaparte, ce qui l'oblige à se retirer de la vie politique. Il profite de cette retraite forcée pour rédiger le premier livre de L'Ancien Régime et la Révolution qui paraît en 1856. L'ouvrage restera inachevé car Tocqueville meurt en 1859 à Cannes de la tuberculose.
Apport conceptuel.
1) Une réflexion sur l'histoire
Toute la réflexion de Tocqueville tourne autour d'une idée maîtresse : nos sociétés se caractérisent par un " mouvement d'égalisation des conditions ". La société actuelle se " moyennise ", s'opposant ainsi aux sociétés de type aristocratique du passé. Les Etats-Unis offrent un exemple où cette évolution serait aboutie et l'on a considéré Tocqueville comme le prophète des sociétés contemporaines où les différences de classe s'atténueraient et où les couches moyennes seraient de plus en plus nombreuses. Mais il est aussi fort critique envers les tenants de la Révolution Française qui constituent, à ses yeux, une classe moyenne (la petite bourgeoisie mercantile) songeant plus à son seul intérêt qu'à la volonté de construire une société plus égalitaire et d'affranchir les masses.
Le mouvement d'égalisation des conditions relève de l'existence d'une Providence commandant l'histoire. La Providence donne une assise à la notion de progrès. Le progrès est orienté vers une augmentation des droits des individus. Cette idée de Providence, Tocqueville l'étaye par une preuve empirique : l'observation de l'histoire des sociétés occidentales. Selon lui, il n'est pas de grands évènements depuis le XIII° siècle qui n'aie tourné au profit de l'égalité des conditions de vie et des droits. Il s'agit, non pas d'un progrès dans l'égalité des biens mais d'un progrès dans l'égalité face à la loi. Chacun a de plus en plus les mêmes chances, comme le montre tout particulièrement à ses yeux l'exemple des Etats-Unis.2) L'idée de démocratie
Tocqueville ne se contente pas de ce constat sur l'histoire qui montre le caractère inéluctable de l'avènement de la démocratie. Il s'agit aussi de réfléchir sur ce régime politique, d'en dégager à la fois les conséquences et les dangers et il s'agit, pour cela, de l'observer chez le peuple où il a atteint " son développement le plus complet et le plus paisible ", c'est-à-dire aux Etats-Unis.
La démocratie est une société où l'égalité est considérée comme une valeur essentielle, où la participation de tous aux affaires publiques est garantie et où la mobilité sociale interdit la constitution de catégories de privilégiés. Mais la démocratie est aussi individualiste. L'âge démocratique n'a pas pour principe la vertu comme le pensait Montesquieu mais se caractérise, au contraire, par l'avidité des hommes pour les jouissances matérielles. C'est parce qu'ils comprennent leur véritable intérêt que les égoïsmes se mettent au service de la prospérité générale. Ainsi, l'amour du bien être, la rivalité favorisent en réalité un ordre social stable. Ce qui menace la société démocratique n'est pas la révolution mais le conformisme, l'oubli de la liberté au nom de l'égalité.
La démocratie n'est en effet pas sans danger. Si la démocratie sociale est acquise, il n'en est pas de même de la démocratie politique. Le risque de la tyrannie de la majorité, de la dictature de l'opinion, de la centralisation des pouvoirs subsiste. Le danger réside dans la démission de la sphère politique, le renfermement sur soi, bref le triomphe de l'individualisme. Les individus s'en remettent au pouvoir collectif et naît alors une servitude consentie. L'individualisme brise la communauté, le désengagement laisse le terrain libre à l'Etat et ouvre donc la voie au despotisme et à l'absolutisme de l'Etat dont le pouvoir protecteur s'étend d'autant plus qu'il prétend mieux protéger. L'opinion publique n'est alors plus l'instance qui protège de l'arbitraire de l'Etat mais, au contraire, un instrument de conformisme du nombre où l'intelligence de chacun est écrasée par l'esprit de tous. Ainsi s'ouvre la voie à un despotisme prévoyant et doux dont la description qu'en fait Tocqueville n'est pas sans faire penser aux critiques ultérieures de l'Etat-Providence à la fois prévenant et dangereux. Trop d'égalité nuit car elle efface toute diversité de sentiment et toute disposition à l'action. Il y a une opposition entre égalité et liberté qui n'est, certes, pas inéluctable mais qui existe dans les faits. Dès qu'un pouvoir, fût-il issu de la volonté populaire, agit sans contrôle ni obstacle, il y a tyrannie. La toute puissance est en soi dangereuse si elle est sans contrôle ni obstacle même s'il s'agit de celle du peuple et même si elle prétend agir pour le bien du peuple. Dans la démocratie, l'avis majoritaire devient une norme sacralisée, incontestée et donc un subtil despotisme.
Comment prévenir ces dangers ? Comment préserver la liberté politique ? Il faut pour cela la décentralisation, la séparation des pouvoirs, l'existence de contre-pouvoirs (associations, presse) et le respect des croyances religieuses.
La décentralisation a une portée civique puisqu'elle multiplie les occasions des citoyens de s'intéresser aux affaires publiques et les accoutume à la liberté. Les associations habituent les hommes à se passer du pouvoir. La presse doit faire entendre la voix spontanée du peuple en parallèle avec la volonté du peuple que prétendent exprimer les Assemblées. Les croyances religieuses apportent à la démocratie l'assise morale qui lui est nécessaire.
Tout ceci est néanmoins inutile sans le civisme démocratique : c'est à l'individu de vouloir la liberté. Il faut donc faire appel à l'esprit de liberté de chacun.
Malheureusement, les démocraties modernes semblent aller dans l'autre sens et l'individu risque de préférer un confort médiocre mais sûr, affaiblissant ce goût pour la liberté. Le goût pour l'égalité est trop fort, accroissant la convoitise à l'égard des plus favorisés. La démocratie devient alors conservatisme parce que la majorité craint d'avoir plus à perdre qu 'à gagner dans la révolution. Elle est une société à la fois turbulente, à cause des inévitables inégalités de conditions qui entraînent la convoitise, et stable.
Les principales uvres.
- De la démocratie en Amérique (1835-1840)
- L'Ancien Régime et la Révolution (1856)
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