Les théoriciens marxistes

Page réalisée en collaboration avec Xavier Dubois pour la partie historique


Affiche de mai 68

Ils ont été plus des théoriciens que des hommes d'action, des penseurs plus que des figures de l'histoire, ce qui ne les a pas empêchés d'agir et parfois d'en payer le prix. Ils ont prolongé la théorie marxiste.

Sommaire

Plekhanov

Paul Lafargue

Gramsci

Plekhanov

1) Sources
Marx dont il traduisit les oeuvres en russe et dont il fut aussi l'exégète.

2) La vie de Plekhanov
Gheorgi Plekhanov est né le 11 décembre 1856, à Gudalovka, dans l'Empire de Russie, fils d'ouvrier. Il fait ses études à l'Institut des Mines de Saint-Pétersbourg, où il commence à militer dans le groupe populiste « Terre et liberté ». Participant à de grandes manifestations ouvrières dans cette ville, en 1876, il est arrêté, et contraint à un premier exil de huit mois. Le 6 décembre 1876, il déploie le drapeau rouge sur le parvis de la cathédrale de Kazan. Dès 1879, fondant le groupe « Partage de la terre », il rejoint la fraction opposée aux attentats du mouvement populiste (il publiera en 1884 Nos divergences). Contrairement aux populistes qui dominent jusque là sans partage le paysage révolutionnaire russe et qui pensent que la paysannerie est la vraie classe révolutionnaire, il pense que la Révolution ne pourra avoir lieu qu'avec la classe ouvrière.
Il part ensuite en 1880 en exil à Paris, puis à Genève, où il découvre le marxisme. Il comprend alors qu'il faut développer le capitalisme en Russie, et lier le mouvement ouvrier au marxisme. En 1883, il fonde le groupe « Emancipation du travail » avec Véra Zassoulitch, à Genève, premier noyau marxiste russe, puis organise à Lyon l'embryon de ce qui sera le Parti Social-Démocrate. C'est lui qui introduit le marxisme en Russie, passant 40 années de sa vie à l'étranger néanmoins. Il participe également aux réflexions sur la présence de l'art et de la religion dans la société. Il écrit notamment La Conception matérialiste de l'Histoire, où il montre l'évolution de notre conception de l'Histoire depuis la conception théologique jusqu'à celle de Marx. Il rédige sous le pseudonyme de Beltov, les premiers livres marxistes russes (Le Socialisme et la lutte politique, 1884, Essais sur l'Histoire du matérialisme, 1892-1896). Engels le reconnaît comme le représentant le plus éminent du marxisme russe. Par ailleurs, il ne cesse jamais d'organiser la traduction en russe des œuvres de Marx et d'Engels, notamment le Manifeste du Parti Communiste, Travail salarié et Capital, Misère de la Philosophie et Socialisme utopique et socialisme scientifique. Mais il ne se contente pas d'animer le mouvement russe, il collabore aussi à l'Internationale, participant à sa fondation en 1889, et devenant membre de son Bureau. En 1895, il publie Essai sur le Développement de la conception moniste de l'Histoire, que Lénine décrit comme « le livre de chevet du révolutionnaire russe ».
C'est aussi un de ceux qui font rejoindre Lénine, rencontré en mai 1895, au mouvement marxiste, et il cofonde avec lui le Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie, à Minsk, en 1898, puis participe à la fondation, en août 1900, de l'Iskra (L'Etincelle), dont il assure la direction. Si, au Deuxième Congrès du Parti, il appartient à la tendance bolchevik, il rompt ensuite avec Lénine, refusant l'alliance entre paysannerie et classe ouvrière, mais préconisant l'alliance avec la bourgeoisie, base d'une future révolution socialiste. Il devient menchevik. Il soutient d'abord la révolution russe de 1905, mais l'échec le confirme dans ses positions. Il rédige alors Le Matérialisme militant, et Les Questions fondamentales du marxisme. En 1914, Plekhanov est du côté des socialistes patriotes, partisans de la défense nationale. Il est d'ailleurs très critique envers l'action de Lénine et la révolution de 1917. Il applaudit la révolution de février, mais pense qu'il faut en rester là et construire la démocratie. De retour en Russie le 31 mars 1917, il refuse de devenir ministre du Travail. Peu avant la révolution d'Octobre, il quitte d'ailleurs la Russie pour la Finlande. Il condamne Octobre, qu'il qualifie de « blanquiste ».
Il décède le 30 mai 1918, de tuberculose, en Finlande, à Terijokien.

2) Apport conceptuel
Plekhanov a, dans un premier temps, fait partie des "populistes" qui pensaient que la paysannerie était la vraie classe révolutionnaire, le capitalisme n'étant qu'un accident dans le développement de la Russie. Il prône alors la révolution paysanne contre le servage.
Mais il abandonne cette idéologie à partir de 1878, se ralliant progressivement au marxisme qui insiste sur le rôle révolutionnaire du prolétariat. L'apport de Plekhanov est surtout une application des conclusions du marxisme à la Russie. Parce qu'il s'oppose aux populistes, il refuse toute participation de la paysannerie à la révolution et donc toute alliance entre la paysannerie et le prolétariat. Il préconise en revanche une alliance entre le prolétariat et la bourgeoisie libérale, Plekhanov considérant nécessaire une révolution bourgeoise en Russie. D'abord du côté de Lénine et des bolcheviks, il se rangera ensuite, contre Lénine, du côté des mencheviks dans une position souvent équivoque. S'il applaudit la révolution bourgeoise de février, il n'envisage pas une révolution prolétarienne avant une longue période de démocratie bourgeoise qui doit permettre le développement du capitalisme et le renforcement du prolétariat. Il condamnera la Révolution d'Octobre.

3) Principales oeuvres

  • Le Socialisme et la lutte politique, 1883
  • Nos divergences, 1884
  • Essais sur l'Histoire du matérialisme, 1892-1896
  • Anarchisme et Socialisme, 1895
  • Essai sur le Développement de la conception moniste de l'Histoire, 1895
  • La Conception matérialiste de l'Histoire, 1904

Paul Lafargue

1) Sources
Proudhon inspira d'abord sa pensée avant que cette dernière soit conquise par celles de Marx et Engels.

2) La vie de Paul Lafargue
Lafargue est né le 15 janvier 1842 à Santiago de Cuba (Espagne), fils d'une famille de français. Il se vantera de réunir en lui le sang de trois « races » opprimées : caraïbes, juives et mulâtres. Accomplissant d'abord ses études secondaires à Bordeaux, il est étudiant en médecine à Paris en 1865. Il y rencontre Proudhon D'abord proudhonien, il est délégué, lors du Congrès International des Etudiants qui se tient à Liège (Belgique) la même année. Il est exclu de toutes les facultés de France par le pouvoir impérial pour avoir brandi un drapeau noir, qui est pour lui symbole du deuil de la liberté en France. Il part terminer ses études à Londres. Marx et Engels qu'il rencontre pendant son séjour lui font connaître les idées du socialisme scientifique. Il épouse Laura, la seconde fille de Marx le 2 avril 1868. Il adhère à la Iere Internationale où il représente l'Espagne. Il assume bientôt la responsabilité de Membre du Conseil Général de l'Internationale.
Il part à Bordeaux pendant la 1ère quinzaine du mois d'avril 1871 pour suivre les événements de la Commune. Son arrestation est prévue pour le 6 août 1871, mais il part le 4 en Espagne où l'attend sa femme Laura et son fils. Le Gouvernement français renonce à l'extradition de Lafargue. Le 30 août, il est inquiété par les autorités espagnoles. Correspondant avec Marx, il fonde avec Pablo Iglesias en 1871 à Madrid, la Nouvelle Fédération Madrilène, qui est à l'origine du Parti Socialiste Espagnol. Par le Portugal, il regagne Londres ensuite où il rejoint Guesde. Il ne revient en France qu'après l'amnistie de 1880. Il fonde cette même année avec Jules Guesde le Parti ouvrier Français (P.O.F.) qu'il dirige, premier parti marxiste de l'Histoire de France, ainsi que la revue « Le Socialiste ». Toujours en 1880, il rédige le célèbre « Droit à la paresse ». Il est incarcéré en 1883 Il écrira également des « Cours d'économie sociale » en 1884. Puis, il devient député de Lille en 1885, réélu en 1891, alors qu'il était emprisonné suite aux fameuses émeutes du 1er mai à Fourmies. Ce jour là, la troupe tira sur les ouvriers, faisant 9 morts et 60 blessés. Il poursuit la rédaction d'ouvrages de vulgarisation, dont « Le Communisme et l'évolution économique » (1892), « Le Socialisme et la conquête des pouvoirs publics » (1899). Il devient en 1904, membre du Conseil d'Administration de l'Humanité, ce qu'il sera jusqu'à sa mort.
Il se suicide, septuagénaire, avec sa femme à Draveil le 26 novembre. Il est enterré le 3 décembre 1911, face au Mur des Fédérés. Il se justifia dans une courte lettre : «Sain de corps et d'esprit, je me tue avant que l'impitoyable vieillesse qui m'enlève un à un les plaisirs et les joies de l'existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres ».  Lénine dira sur la tombe de Laura et Paul Lafargue qu'il était "un des plus grands propagateurs des idées marxistes".

3) Apport conceptuel

L'objet du Droit à la paresse est énoncé dans son Avant Propos. Il s'agit de  « démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante. » Paul Lafargue constate que là où règne le capitalisme une « étrange folie possède les classes ouvrières », l'amour du travail. Il s'emploie à montrer, souvent avec une délicieuse ironie, tous les méfaits du travail.
Le travail est d'abord cause de dégénérescence intellectuelle et de déformation corporelle. La beauté des corps se trouve chez les peuples « primitifs » où on travaille peu. Les philosophes de l'Antiquité méprisent le travail, considéré comme dégradation de l'homme libre. Parce que le prolétariat s'est laissé pervertir par la drogue du travail, sont nées toutes les misères individuelles et sociales.
Napoléon écrivait le 5 mai 1807, « Plus mes peuples travailleront, moins il y aura de vices ». Les ateliers modernes sont devenus des maisons idéales de correction où l'on incarcère les masses ouvrières, où on les condamne aux travaux forcés douze à quatorze heures par jour, hommes, femmes et aussi enfants. Les ouvriers ont réclamé du travail en juin 1848 les armes à la main et l'ont imposé à leurs familles. Ils ont alors démoli le foyer domestique. Le travail est un vice abrutissant et destructeur pour l'intelligence des enfants.
Si le XIX° siècle est le siècle du travail, cela signifie, nous dit Lafargue, qu'il est  « le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption » Les ouvriers sont souvent contraints à habiter loin des manufactures et, à la fatigue d'une journée de travail démesurément longue, vient donc se joindre celle du trajet. Il faut rappeler que les forçats ne travaillaient que dix heures par jour, les esclaves aux Antilles neuf heures en moyenne, quand en France existent alors des manufactures où la journée de travail est de seize heures avec une heure et demi à retirer pour les repas. « Les philanthropes acclament bienfaiteurs de l'humanité ceux qui, pour s'enrichir en fainéantant, donnent du travail au pauvre ; mieux vaudrait semer la peste. »
Ecoutant les « fallacieuses paroles des économistes », les prolétaires se sont livrés au vice du travail, précipitant la société toute entière dans les crises de surproduction. Celles-ci entraînent la fermeture des ateliers et le chômage crée la faim. Or, fait remarquer Lafargue, au lieu de profiter des moments de crise pour demander une distribution générale des produits, les ouvriers assaillent les fabricants pour avoir du travail, travail qu'ils obtiennent pour un salaire encore plus bas car les industriels profitent du chômage pour payer moins l'ouvrier. La surproduction continue, le marché s'engorge et on finit par jeter par la fenêtre les marchandises excédentaires.
Les industriels, certes, cherchent à échapper à cette destruction peu lucrative des marchandises excédentaires. Ils cherchent des débouchés ailleurs et obligent leur gouvernement « à s'annexer des Congo, à s'emparer des Tonkin », bref au colonialisme. Et voilà d'heureuses nations qui lézardaient au soleil à qui on impose la malédiction du travail. Ces misères s'arrêteront lorsque le prolétariat proclamera les « Droits de la paresse ». Il faut qu'il se contraigne à ne travailler que trois heures pour jour et à fainéanter et faire la fête le reste de la journée et de la nuit.
Lafargue décrit ensuite par le détail, et là aussi avec une ironie réjouissante, les conséquences de la surproduction.
Il rappelle d'abord que le poète grec Antiparos chanta l'invention du moulin à eau qui émanciperait les femmes esclaves. Or la passion aveugle du travail transforma la machine libératrice en instrument d'asservissement des hommes libres qui, au lieu de s'enrichir, s'appauvrirent. A mesure que la machine se perfectionne, l'ouvrier, au lieu de prolonger son repos, redouble d'ardeur. Le bourgeois est alors obligé de surconsommer les produits en trop grand nombre. Ainsi, s'il y a deux siècles le bourgeois était un homme rangé et raisonnable, ironise Lafargue, le voilà qui s'empiffre pour encourager les éleveurs et s'enivre pour encourager les vignerons. Le bourgeois ne doit pas « seulement violenter ses goûts modestes » mais aussi soustraire au travail productif une masse énorme d'hommes afin de se procurer des domestiques. La déperdition des forces productives est colossale (au XIX° siècle le pourcentage des salariés employés de maison est énorme). Il faut ajouter aussi la classe nombreuse des employés voués à fabriquer des produits de luxe. La bourgeoisie s'accommode à cette absolue paresse mais c'est alors que le prolétariat veut l'obliger à travailler, prenant la devise « Qui ne travaille pas, ne mange pas » La répression ne pouvait être que féroce et voilà la bourgeoisie qui s'entoure de policiers, de magistrats. Les armées modernes ne sont maintenues en permanence que pour comprimer « l'ennemi intérieur » Le grand problème du capitalisme n'est pas de trouver des producteurs mais des consommateurs et ce sont des centaines de millions et de milliards que l'Europe exporte tous les ans à des peuplades qui n'en ont rien à faire.
Mais rien n'y fait ; bourgeois qui s'empiffrent, classes domestiques plus nombreuses que les classes productives, nations étrangères engorgées de marchandises européennes n'y changent rien, impossible d'écouler les montagnes de produits fabriqués. On baisse alors la qualité des produits pour en abréger l'existence et obliger à en racheter plus souvent. C'est, dit Lafargue, « l'âge de la falsification ». Au surtravail succède le chômage et l'ouvrier tantôt use à la tâche sa santé, tantôt se retrouve au repos mais sans pitance. Pourquoi ne pas distribuer le travail uniformément sur les douze mois et forcer l'ouvrier à se contenter de cinq ou six heures par jour pendant l'année au lieu de prendre des indigestions de douze heures pendant six mois ? Alors les ouvriers ne se battront plus pour s'arracher le travail des mains et, reposés, ils commenceront à pratiquer les vertus de la paresse. Pour avoir du travail pour tous il faut « le rationner comme l'eau sur un navire en détresse » Pour forcer les capitalistes à perfectionner leurs machines de bois et de fer, il faut hausser les salaires et diminuer les heures de travail des machines de chair et d'os. Alors la bourgeoisie pourra licencier soldats, magistrats etc. Le marché du travail débordera et il sera nécessaire d'obliger les ouvriers à faire du sport, de la danse…ou la sieste pour leur redonner la santé. Les bienheureux polynésiens pourront s'adonner à l'amour libre sans les sermons de la morale européenne. La classe ouvrière devra même développer indéfiniment ses capacités consommatrices « Défendre et non imposer le travail, il le faudra. » Pour tuer le temps, il y aura des spectacles et des représentations théâtrales.
Le texte de Lafargue se termine par des références antiques concernant la condamnation du travail. Un citoyen « qui donne son travail pour de l'argent se vend lui-même et se met au rang des esclaves » (Xénophon) Lafargue rappelle ce texte d'Aristote qui explique que lorsque viendra l'âge du machinisme "le chef d'atelier n'aura plus besoin d'aide, ni le maître d'esclave". Le rêve d'Aristote est réalisé, les machines accomplissent le travail. Elle donnera à l'humanité loisirs et liberté.

Principales oeuvres

  • Le droit à la paresse, 1880
  • Cours d'économie sociale, 1884
  • Le Communisme et l'évolution économique, 1892
  • Le Socialisme et la conquête des pouvoirs publics, 1899

Antonio Gramsci

1) Sources
Hegel, Marx et Engels, Antonio Labriola mais aussi Benedetto Croce, Giovani Gentile, Georges Sorel constituent les principales sources de la pensée de Gramsci. Il s'est aussi opposé à Staline.

2) La vie de Gramsci
Gramsci naît le 22 janvier 1891 à Ales, en Sardaigne, région économiquement très arriérée, fils de petits fonctionnaires ruinés. Il fait très vite connaissance avec la répression gouvernementale et la grande misère des travailleurs du Mezzogiorno. Il grandit dans un contexte de troubles sociaux et dans une Italie non démocratique, et participe aux mouvements ouvriers des années 1910. Handicapé par une chute à quatre ans, il a cependant une grande force de caractère. Son enfance fut difficile, mais il a lu énormément. Son frère l'introduit aux idées marxistes, et dès le lycée, il se montre sensible au socialisme. En 1911, il entame à Turin des études de philologie (latin et grec anciens), et envisage de devenir professeur.
Il adhère dès 1913 à la Fédération de Jeunesse du Parti Socialiste Italien, à Turin. Il est important de noter que cette ville est à l'époque la « capitale industrielle » du pays, où l'industrie lourde est très importante. Il en résulte un fort degré d'organisation du mouvement ouvrier, et une longue tradition de lutte. En 1915, Gramsci abandonne ses études pour se consacrer pleinement à l'action politique. Ironie de l'Histoire, il nourrit alors une sympathie pour la tendance révolutionnaire et syndicale du mouvement socialiste, animée par Benito Mussolini. En 1916, il écrit régulièrement dans Avanti !, le journal de la section de Turin du PS italien. En 1917, il rédige La Cité future pour la fédération de la jeunesse socialiste. Notons qu'il vit de plein fouet l'échec de l'insurrection d'août 1917 à Turin. Il anime la tendance « conseilliste » à partir de 1919, qui préconise la fondation de conseils ouvriers. Il dirige l'hebdomadaire Ordine Nuovo, organe du « Mouvement des Conseils », qui se donne pour mission de réorienter à gauche le PS et les syndicats. Il est cependant dégoûté de la dérive du Parti Socialiste, et s'oppose à la guerre. De plus, il apprend énormément par le contact permanent des ouvriers, avec lesquels il aurait passé des nuits entières à discuter, et qu'il initie au marxisme. Un changement décisif se fait en lui, provoqué par la Révolution d'Octobre. En 1920, une nouvelle vague d'insurrection traverse tout le pays.
Le 21 janvier 1921, avec Bordiga et Togliatti, il fonde la Parti Communiste Italien, adhérent à la IIIe Internationale. Le journal L'Unita est créé ; il y écrira souvent. En février 1922, il fait un voyage en URSS, où il se familiarise avec la langue russe et le bolchevisme. Il y rencontre aussi la fille d'un ami de Lénine, sa future femme. Il est élu en 1924 député de Vénétie. Il est considéré comme le plus grand spécialiste italien de Marx, mais il connaît aussi les théories de Labriola, Lénine. En tant que dirigeant, il reste fidèle à l'internationalisme, à la classe ouvrière. Intellectuel chevronné, il est aussi un homme de Parti, dont il sera secrétaire général en 1926. Il met toujours l'accent sur la formation politique interne au Parti, notamment celle des cadres. Il est arrêté la même année à Rome.
Il est condamné en 1928 à 20 ans de prison, alors même que le PCI était encore légal, pour « conspiration, incitation à la guerre civile et la haine de classe ». Il est emprisonné dans des conditions épouvantables par le régime mussolinien (« Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans. », aurait dit le juge), torturé moralement et physiquement par les fascistes, privé de nourriture, de soin. En liberté conditionnelle, il est interné dans une clinique en juin 1935, où il n'a même pas la liberté de choisir ses médecins et de recevoir qui il souhaite. Il meurt le 27 avril 1937 à Rome, trois jours après que sa peine soit accomplie, dans des conditions douteuses. Il avait reçu une remise de peines. On lui avait également proposé la liberté en échange d'une demande de grâce à Mussolini, proposition qu'il avait refusée, suscitant ainsi l'admiration de ses camarades. Il n'a presque jamais cessé d'écrire. Ses œuvres in extenso ne seront publiées qu'en 1975 sous le titre de Cahiers de prison. Mais des Lettres de prison sont publiées dès 1947 et 1965. En tout, les Cahiers de prison comportent 32 cahiers, soit 2848 pages.

3) Apport conceptuel.
Pour Gramsci, la démocratie n'est pas la démocratie formelle bourgeoise mais la démocratie ouvrière de l'Etat socialiste.
La masse laborieuse doit prendre conscience d'elle-même. Désagrégée, elle doit parvenir à une unité et sa partie la plus consciente doit conquérir l'assentiment de la totalité des masses. Elle doit s'organiser à travers son parti, le Parti communiste.
Pour prendre le contrôle de l'Etat, le prolétariat doit s'allier à des couches sociales susceptibles de constituer avec elles un bloc social antagoniste de la classe bourgeoise dominante. Pour ce faire, il doit exercer une hégémonie dans la société qui permette l'alliance du peuple et des intellectuels. Le rôle des intellectuels est la clef de voûte de l'analyse gramscienne de la société. Le prolétariat doit en même temps s'allier avec les intellectuels les plus progressistes et produire en son sein sa propre couche d'intellectuels organiques.
Gramsci nomme hégémonie le processus par lequel les classes dominantes légitiment et perpétuent leur domination par l'assentiment de vastes couches de la population. L'élément clef de cette hégémonie est le bloc historique Le bloc historique est l'armature complexe sur laquelle se fonde le pouvoir des classes dominantes. Celles-ci exercent ce pouvoir sur le peuple par l'intermédiation des intellectuels.
Pour mieux comprendre cette notion de bloc historique prenons l'exemple du bloc agraire analysé par Gramsci en 1926 à propos de la « question méridionale ». Le bloc agraire qui caractérise l'Italie méridionale est composé de trois couches sociales : la grande masse paysanne amorphe et inorganisée, les intellectuels de la petite et de la moyenne bourgeoisie rurale, les grands propriétaires fonciers et les grands intellectuels. Le paysan méridional est lié au grand propriétaire terrien par l'intellectuel à la fois bureaucrate, idéologue et organisateur politique. Cette fonction intermédiaire assume donc un rôle clef dans le bloc agraire. Ce type d'organisation est répandu dans le Mezzogiorno et la Sicile. Son unique but est de maintenir le statu quo. Le rôle du prolétariat est de briser ce statu quo en faisant en sorte de rallier à lui une partie des intellectuels.
Les intellectuels sont essentiels à la formation de la culture et à la construction de l'hégémonie, préalable à toute conquête du pouvoir. Gramsci voit les intellectuels comme les serviteurs du groupe dominant pour l'exercice des fonctions subalternes de l'hégémonie sociale et du gouvernement politique. C'est à travers eux qu'une classe dominante crée la culture qui la légitime et le « sens commun » qui maintient son pouvoir. Chaque classe possède une couche d'intellectuels qui lui est propre, ses intellectuels organiques. C'est du reste pourquoi le prolétariat ne peut se contenter de l'apport d'intellectuels bourgeois même quand ils sont ses alliés. Il doit, lui aussi, se doter d'intellectuels organiques, issus de sa propre classe. Il ne s'agit donc pas d'une simple intervention extérieure d'intellectuels éclairés mais de la création de cet intellectuel collectif que doit devenir pour lui le Parti communiste.  « Les organisateurs de la classe ouvrière doivent être les ouvriers eux-mêmes ». Chaque homme est un intellectuel et un philosophe qui peut atteindre un niveau de conscience supérieur.
La question se pose de savoir comment le prolétariat peut devenir à son tour hégémonique. Sa prise de pouvoir doit tenir compte des conditions particulières aux sociétés de capitalisme avancé. L'Etat « n'est que la tranchée avancée de la bourgeoisie, derrière laquelle se trouve un système de casemates (appareils d'Etat de contrôle, culture, information, école, formes de la tradition) qui excluent la possibilité d'une stratégie d'assaut, puisqu'elles doivent être conquises une à la fois. C'est pourquoi une guerre de position est nécessaire, c'est-à-dire une stratégie dirigée à la conquête des différents et successifs niveaux de la société civile. » C'est à travers le parti politique que le prolétariat doit exercer son hégémonie dans la société.  « Le parti politique (…) fait la soudure entre les intellectuels organiques d'un type donné, le groupe dominant et les intellectuels traditionnels » L'instrument de l'hégémonie du peuple est le Parti.
S'inspirant de Machiavel, Gramsci présente le Prince moderne comme quelque chose qui ne s'incarne pas dans un individu concret mais dans un organisme complexe d'une société : le parti politique.
La démocratie n'est pas la démocratie bourgeoise. La bourgeoisie a puisé son rôle historique. Celui-ci revient au prolétariat qui constitue la partie la plus consciente du peuple qui n'est pas appelée à subir le rôle dirigeant du Parti mais à créer en son sein les conditions de son unité et de son hégémonie au sein de la société.
Il faut distinguer entre direction et domination, l'hégémonie de la primauté idéologique et économique (direction) et l'hégémonie politique (dictature, domination). La dictature (domination) s'exerce en deux cas :

  • Quand une classe qui la détenait perd son hégémonie au sein d'un bloc historique et se maintient par la force (cas du fascisme)
  • Quand une classe aspire à l'hégémonie et s'empare de l'appareil d'Etat (révolution de 1917) Mais la période de la dictature est une période transitoire entre deux périodes hégémoniques.

4) Principales oeuvres

  • La Citta futura (La Cité future), 1917
  • Carnets de Prison (Posthume, 1975)


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