Les socialistes du XIX° siècle.


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Plan :

I Babeuf et le début du communisme

II Les socialistes utopiques

III L'anarchisme

Si le marxisme peut être considéré comme la plus importante théorie politique du XIX ° siècle, il n'est pas né de rien. Le communisme trouve un premier penseur sous la Révolution française, Gracchus Babeuf.
Mais au début du XIX° siècle vont aussi exister ceux qu'on appelle les socialistes utopiques aux rêveries parfois farfelues mais dont certaines idées néanmoins influenceront grandement Marx et Engels (qui reconnaîtront leur grandeur)
Enfin un courant traversera la Première Internationale tout autant que le marxisme : c'est l'anarchisme qui a encore des adeptes aujourd'hui et dont les premiers théoriciens seront Proudhon et Bakounine.

I Babeuf et le début du communisme

Dans Le Manifeste, Marx le soustrait des utopistes. Il a, dit-il, « formulé les revendications du prolétariat ». Il n'est pas considéré par Marx et Engels comme un utopiste. C'est que Babeuf part de ce constat : le peuple est divisé et toute l'histoire de la Rome antique à la Révolution française montre la guerre des pauvres contre les riches. La Révolution française appartient à cette histoire. Parlant des riches et des pauvres Babeuf écrira « Je vois assez que tous deux veulent la République ; mais chacun la veut à sa manière. L'un la désire bourgeoise et aristocratique ; l'autre entend l'avoir faite et qu'elle demeure toute populaire et démocratique » On pense bien sûr à la notion de lutte de classes qui traduit une opposition d'intérêts et d'idéologies cherchant à se traduire dans les institutions politiques.
Le babouvisme assure la synthèse de l'esprit de la philosophie des Lumières, de l'expérience de la Révolution française et de la réflexion sociale. Il y a cependant cassure entre la vision robespierriste et le babouvisme : perspective de la propriété privée d'un côté, de l'autre, idéal communautaire.

Babeuf (1760-1797) vécut dans la campagne paysanne de Picardie. Il est du peuple, en vécut la condition dans sa chair et se dévoue entièrement et sans équivoque à la cause du peuple. Pour lui (à partir de 1789), le peuple est l'ensemble de ceux qui s'émancipent des contraintes subies dans l'ancienne société. Peuple-acteur il est, aux yeux de Babeuf, la seule force capable, et légitimement capable, de changer l'ordre des choses.
C'est par sa jeunesse en Picardie qu'il comprend que l'inégalité sociale résulte de la concentration des propriétés. Il critique l'héritage. Il comprend dés 1789 que le partage égal des propriétés crée la misère. Mieux vaut des fermes collectives davantage génératrices d'aisance. Le travail combiné est plus efficace, produit davantage, qu'une somme de travaux individuels.
La Révolution Française éclate et déclare l'égalité des droits. Mais cette égalité apparaît vite une chimère face à la question de la subsistance. Il faut passer de l'égalité théorique (celle des droits, celle de la Révolution française) à l'égalité concrète, instaurer une structure rendant possible un état social tel que tous soient effectivement égaux. Babeuf réclame alors la loi agraire.
Cette dernière consiste dans le partage égal de toutes les propriétés et « ne peut durer qu'un jour ». L'inégalité réapparaîtra le lendemain car la propriété introduit nécessairement l'inégalité (Babeuf est fortement inspiré par Rousseau).La loi agraire n'est donc qu'une étape. Le but est le bonheur commun, il faut dépasser la propriété. Au pivot du droit de propriété se substitue celui du droit au bonheur. Babeuf démystifie la concurrence : elle n'aboutit qu'au monopole.
À partir de 1795, Babeuf se prononce pour l'abolition de la propriété privée. Le travail est seul créateur de la richesse et de la valeur.
Il critique le commerce « homicide et rapace ». Le peuple n'est pas une masse indifférenciée mais comporte des agents de production et des agents de distribution (producteurs et commerçants). « Pourquoi les premiers agents, ceux qui font le travail créateur, le travail essentiel, en retirent-ils incomparablement moins d'avantages que les derniers, que les marchands par exemple, qui, à mes yeux, ne font que le travail le plus subalterne, le travail de distribution ?» Les commerçants constituent un corps parasitaire. Il faut que « tous soient à la fois producteurs et consommateurs dans cette proportion où tous les besoins sont satisfaits, où personne ne souffre ni de la misère, ni de la fatigue » Babeuf veut construire une société de « co-associés » sans exploiteurs ni exploités. « Tous les agents de production et de fabrication travailleront pour le magasin commun et chacun d'eux y enverra le produit en nature de sa tâche individuelle et des agents de distribution, non plus établis pour leur propre compte, mais pour celui de la grande famille, feront refluer vers chaque citoyen sa part égale et variée de la masse entière des produits de toute l'association » Il faut donc des magasins d'État où chacun confie la totalité des productions et où chacun ira se fournir selon le principe de l'égalité la plus rigoureuse. Le seul critère est de ne pas excéder les besoins. Idée que l'accaparement d'objets au delà de la sphère des besoins est un dépouillement, une usurpation. Les agents de distribution (les commerçants d'aujourd'hui) doivent cesser leur fonction parasitaire mais devenir des préposés au service de « la grande famille » L'idée d'une administration commune de redistribution des biens apparaît d'autant moins utopique qu'elle a été appliquée aux armées de la République en l'an II (douze cent mille hommes) : « ce qui est possible en petit l'est en grand »
Les babouvistes étendent les devoirs de la communauté aux vieillards et aux infirmes. Tous méritent une existence heureuse et c'est à la société d'instaurer des institutions capables de rendre ce bonheur possible.

Le communisme de Babeuf est un communisme de la répartition et de la consommation. Communisme de distribution. Il pressent néanmoins la nécessité d'un communisme de la production et d'une organisation collective du travail de la terre. Le travail est une nécessité sociale.
L'instruction aussi doit être commune. Instruction identique mais assez courte. Héritage rousseauiste : méfiance à l'égard des arts et des sciences. Le labeur intellectuel apparaît comme une ruse supplémentaire des nantis pour conserver le pouvoir et le savoir une arme dans le conflit des classes. Le savoir reproduit l'ordre (penser à Bourdieu bien plus tard). De toute façon les génies ont bénéficié de l'héritage des générations précédentes et donc les conceptions intellectuelles appartiennent à la communauté et ne sauraient conférer le moindre privilège. Tous les travaux possèdent une valeur identique et le mérite des bras vaut celui de la tête. Ce qui importe est l'égalité réelle. Toutes les professions doivent être élevées au même rang d'honneur.

Au niveau proprement politique, Babeuf est favorable à un système de démocratie semi directe : il implique la ratification des lois par le peuple convoqué et réuni dans les Assemblées primaires, au termes de scrutins dépouillés successivement à l'échelon du district, du département, puis du Corps législatif de manière à ce que « En trois semaines au plus on parviendrait à avoir sur chaque loi rendue dans l'année le veto de tous les citoyens » L'on pourrait voter moins de lois et règlements mais des lois fondamentales qui puiseraient leur force dans la « force de tout un peuple »
La limite du babouvisme tient surtout dans ce qu'il s'agit d'un communisme agraire. Il ignore l'essor industriel (alors encore balbutiant en France). La France est encore paysanne et Babeuf ne croit pas que la production va prendre son essor.

Au cours de l'An V (1795-1796), règne la misère. Babeuf, devenu clandestin, décide de jeter bas par la violence l'édifice social inique. Babeuf exclut tout réformisme. La révolution est la seule voie possible. Quoique partisan de la démocratie directe (influence de Rousseau), il envisage la notion de dictature révolutionnaire : on trouve chez Babeuf le projet d'une autorité provisoire, antérieure à l'ordre électoral.. Après la prise de pouvoir grâce à l'insurrection organisée, il est puéril de s'en remettre à une assemblée même élue au suffrage universel. Le mécanisme électoral est destiné à piéger les faibles et consolider l'inégalité. Pour casser cela, il faut maintenir la dictature de la minorité révolutionnaire que l'insurrection a porté au pouvoir tout le temps nécessaire à la mise en place des institutions et à la refonte de la société. Le gouvernement révolutionnaire provisoire assurera le triomphe de l'égalité, programme qu'un peuple habitué à l'esclavage ne peut remplir (remplace la fiction utopique du législateur chez Rousseau) Il faut distinguer souveraineté réelle et souveraineté formelle. Une dictature révolutionnaire sauvegardera la première. La seconde, liée au souci du légalisme aboutit à une liberté fictive. Par l'intermédiaire de Blanqui, cela donnera la doctrine et la pratique léniniste de la dictature du prolétariat.
Babeuf organise un directoire secret destiné à faire progresser les principes révolutionnaires dans toutes les classes opprimées. Il s'agit de faire un travail de sape. Douze agents révolutionnaires (un par arrondissement de Paris) tiennent « note du thermomètre journalier de l'esprit public » A vrai dire Babeuf n'a jamais cru à la spontanéité du mouvement révolutionnaire. Il avait découvert en 1789 la puissance du peuple autant que l'autonomie de son action une fois enclenchée le processus de sa mobilisation. Encore faut-il qu'il s'enclenche. Babeuf croyait certes à la force de l'exemple : établir un ordre social nouveau sur une partie des terres convaincrait les autres parties de s'engager dans cette nouvelle voie (modèle de l'Utopie) Idée d'une Vendée plébéienne : la Vendée anti républicaine avait réussi à imposer sa spécificité par le biais de traités entre les chefs vendéens et ceux de l'armée de la République. Pourquoi ne pourrait-on imposer aussi à l'oligarchie républicaine un îlot de la « société des Egaux » dont l'influence grandirait ensuite de proche en proche ? Mais encore faut-il une insurrection préalable. La République des Egaux ne pouvant être le produit spontané de l'insurrection du peuple, elle sera une construction volontaire et pensée d'abord conçue par une avant-garde instruite et lucide (qui en définit le modèle) et ensuite imposée par le peuple victorieux. A l'opposition riche pauvre se substitue donc un couple nouveau, celui du « peuple-foule » et de son élite dirigeante.

Ce projet fut mis en place tardivement. Trahi par Grisel, Babeuf est arrêté en mai 1796. Il meurt sur l'échafaud le 27 mai 1797 en tant que chef de ce qu'on a appelé « la conjuration des égaux »

ANNEXE 1

« (…) Ce n'est pas une égalité mentale qu'il faut à l'homme qui a faim ou a des besoins : il l'avait, cette égalité, dans l'état de nature. Je le répète, parce que ce n'est pas là un don de la société ; et parce que pour borner là les droits de l'homme, il valait autant et mieux pour lui, rester dans l'état de nature, cherchant et disputant sa subsistance dans les forêts ou sur le bord des mers et des rivières… La première et la plus dangereuse des objections, quoique la plus immorale, c'est le prétendu droit de propriété, dans l'acceptation reçue. Le droit de propriété ! Mais quel est donc ce droit de propriété ? Entend-on par là la faculté illimitée d'en disposer à son gré ? Si l'on entend ainsi, je le dis hautement, c'est admettre la loi du plus fort. C'est tromper le vœu de l'association ; c'est rappeler l'homme à l'exercice des droits de la nature, et provoquer la dissolution du corps politique. Si, au contraire, on ne l'entend pas ainsi, je demande quelle sera donc la mesure et la limite de ce droit ? car enfin il en faut une. Vous ne l'attendez pas, sans doute, de la modération du propriétaire ?(…)
Nous expliquerons clairement ce que c'est que le bonheur commun, but de la société,
Nous démontrerons que le sort de tout homme n'a pas dû empirer au passage de l'état naturel à l'état social.
Nous définirons la propriété.
Nous prouverons que le terroir n'est à personne, mais qu'il est à tous.
Nous prouverons que tout ce qu'un individu en accapare au delà de ce qui peut le nourrir, est un vol social. »

BABEUF (Manifeste des plébéiens, Le tribun du peuple, 9 frimaire an IV)

II Les socialistes utopiques

Le socialisme utopique est dans la continuation des Lumières. Le manifeste du parti communiste souligne que les premiers échecs du prolétariat tiennent à ce que cette classe était encore embryonnaire et aussi à ce que les conditions matérielles de son émancipation n'étaient pas réunies. Les socialistes utopiques ont vu l'antagonisme des classes mais, ne sachant pas comment pratiquement le prolétariat peut s'émanciper, ils cherchent une solution dans la science sociale. À la lutte sociale, ils substituent leur propre ingéniosité, rêvent d'un monde idéal, fabriqué de toutes pièces, hors de l'histoire.
Ils ont certes vu que la classe ouvrière est la plus souffrante mais ils veulent améliorer les conditions matérielles de la vie pour tous les membres de la société, même les plus privilégiés, de l'humanité toute entière. Ils pensent qu'il suffit de comprendre leur système pour voir qu'il est le meilleur et vouloir le réaliser. Ils ne théorisent donc pas l'action révolutionnaire et cherchent à atteindre leur but par des moyens pacifiques à savoir la force de l'exemple, des expériences politiques (qui d'ailleurs vont toutes échouer)
Leur aspect positif est de vouloir la suppression de l'antagonisme ville / campagne, l'abolition de la famille et du travail salarié ainsi que la transformation de l'État en une simple administration. À mesure que la lutte des classes s'intensifie ils perdent de l'importance et c'est pourquoi, disent Marx et Engels, s'ils sont révolutionnaires leurs disciples sont, eux, réactionnaires.
Sous les détails fantaisistes, Engels souligne qu'existent dans ces théories des idées générales importantes.
Marx et Engels ont retenu parmi les grands utopistes surtout Saint Simon, Fourier et Owen (Engels ajoute Hegel mais il est trop important pour le classer ici) Nous examinerons les deux premiers (de loin les plus importants)

1) Saint-Simon (1760-1825)

a) l'expérience américaine
Pour Saint Simon, l'histoire est la science par excellence, la « science des sciences ». Concept de crise : l'histoire, le déroulement du devenir humain se conçoivent d'abord par des périodes de fermentation, d'interrogation, de remise en question, de secousses. Les conflits sont sources de mouvement.
En 1779 (donc dix ans avant la Révolution Française) il part pour l'Amérique combattre pour l'indépendance des États-Unis. Il s'y passionne pour la liberté industrielle. Il comprend que la révolution américaine ouvre une nouvelle ère. Une forme de civilisation va naître : une civilisation de la production. Les États-Unis apparaissent comme un pays où le dogme religieux est éteint puisque toute religion se voit admise et qu'aucune ne domine. L'Amérique ignore les privilèges de classe, l'oppression et l'exploitation des laborieux par les oisifs. Il n'y a pas de nation fainéante vivant aux dépens de la nation travaillante. Dans l'ancien monde gouvernent les improductifs. Le poids de l'État se manifeste en Amérique avec une force moindre qu'en Europe. Dans une nation égalitaire le carcan étatique ne torture point les industriels : les Américains s'attachent au développement de l'industrie et garantissent la liberté individuelle. Saint Simon, en héritier des lumières veut qu'un « conseil scientifique » gère la planète. Au savoir de guider et d'administrer la communauté. Savants et artistes dirigeront la marche de l'esprit humain.
Le travail se précise par contraste avec le parasitisme des oisifs « L'homme doit travailler » Le travail est une extériorisation productive dans le domaine de la création littéraire et scientifique comme dans celui de l'effort technique. À ce monde où l'homme organise et dompte le réel, soumet les choses à sa volonté, s'oppose la jouissance de l'oisif (cf. dialectique du maître et de l'esclave de Hegel)

À partir de 1816, le concept de travail se trouve de plus en plus clairement formulé et explicité. Tout apparaît comme devant se faire par l'industrie et par conséquent pour elle. Du pouvoir savant nous passons au pouvoir industriel, à la mise en relief de la classe des industriels, seule classe utile. Les savants lui seront subordonnés. Le travail est l'essence de l'homme. « La société toute entière repose sur l'industrie ». L'industrie désigne toute production, toute relation, tout acte par lequel s'opère l'humanisation de la nature. Comme chez Marx, il faut avoir pour principe l'homme incarné dans une situation historique, l'être en tant que producteur.
Mais la méthode de Saint Simon reste utopiste : le « gouvernement des choses » sera le produit du discours et de la persuasion. La violence est exclue de l'univers saint-simonien. Il hérite en cela de la pensée des Lumières : la société libre s'impose d'elle-même. L'ère industrielle est un nouveau moment de l'esprit qui succède au temps d'ignorance et de barbarie.

b) La parabole des abeilles et des frelons : si le travail est premier, si l'industrie informe le monde et éduque l'homme, l'oisiveté par ruse et violence s'empare des fruits du travail. Le grand conflit de la nation travaillante et de la nation fainéante nous fournit le schème de toute lutte de classes à l'époque industrielle. Le labeur des abeilles est spolié au profit d'une armée de frelons.
Là où Marx spécifiera la relation d'exploitation sous la forme du lien entre l'ouvrier et le capitalisme, Saint Simon creuse le thème plus général de l'interaction entre la production et la consommation non productive. L'art de gouverner est l'opération qui légitime le vol généralisé. L'industrie s'est trouvée exclue de toute participation active à l'État et à la direction du pays. La vie sociale morte et sclérosée possède toutes les commandes de la nation.
« Nous supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, ses cinquante premiers physiologistes… et les cent autres personnes de divers états non désignés, les plus capables dans les sciences, dans les beaux-arts et dans les arts et métiers (…), la nation deviendrait un corps sans âme, à l'instant où elle les perdrait » Si la France perdait le même jour officiers, ministres, conseillers d'États, nobles et autres parasites, « il n'en résulterait aucun mal politique pour l'État » Ce texte célèbre provoqua des poursuites contre Saint Simon. Il exprime non seulement le thème de la lutte des classes et du dépérissement de l'État mais aussi le credo fondé sur l'éthique du travail.
Saint Simon pose le principe de la lutte des classes avec la plus grande netteté. L'antagonisme des classes a été, jusqu'à présent, le trait distinctif des sociétés humaines. Saint Simon annonce le célèbre principe du Manifeste. La division est grosso modo tripartite :

Le conflit principal s'est noué entre nobles et producteurs. Les formations intermédiaires n'ont pas d'existence autonome.

Saint-Simon analyse la genèse historique de la lutte des classes.
Le système féodalo-militaire est né au XI° siècle et se constitue définitivement au XI° siècle. La capacité industrielle a été apportée par l'affranchissement des communes. Avec les communes apparaît la propriété industrielle libérée de la puissance seigneuriale. De même le pouvoir spirituel progresse dès que les Arabes introduisent en Europe les ferments de la positivité scientifique. Or nul plan humain n'est préparé d'avance. L'Esprit (comme chez Hegel) se fait, sans se soucier des individus qui sont, au contraire, ses instruments (Ruse de la raison ?)
Le glas du pouvoir féodalo-militaire a sonné. Le résultat de la lutte des classes est le suivant : l'industrie s'enrichit à force de patience et d'économie. D'abord esclave, elle est maintenant indépendante de la classe féodale qui lui est économiquement subalternisée.

Le concept de classe industrielle est ambigu. Saint Simon tend parfois à tout homogénéiser, unifier. Mais peu à peu les textes mettront en relief les divisions au sein de la classe industrielle. Les producteurs sont divisés. La classe la plus nombreuse et la plus pauvre, celle qui n'a que le travail de ses bras, ne peut être confondue avec les chefs des travaux industriels, honorés et puissants et possédants, d'une certaine façon, le pouvoir.

c) La classe des prolétaires
1789 introduit une nouvelle problématique. Jusque là la masse du peuple, des industriels faisait corps contre l'action de la féodalité : lutte contre les privilégiés, les nobles. La Révolution accomplie, les chefs des travaux industriels ont tiré de substantiels avantages du nouveau régime. La classe des prolétaires commence alors à poindre. L'unité des producteurs a été détruite. Existe une classe qui n'a pas d'autre moyen d'existence que ses bras et dont le sort est inséparable d'un « nouveau christianisme ». Le projet social de Saint Simon se situe dans une optique religieuse : théorie des fins, religion de l'humanité souffrante (ce qui n'est pas contradictoire puisque toute religion est pour lui une conception scientifique matérialisée, une application de la science). Le principe de l'amour a pour objet l'amélioration du destin de la classe des prolétaires.
Lettre à messieurs les ouvriers : « Vous êtes riches et nous sommes pauvres. Vous travaillez de la tête et nous des bras. Il résulte de ces deux différences fondamentales que nous sommes et devons être subordonnés » Le bloc se fragmente mais la classe ouvrière ne s'affirme pas sujet. Elle est subordonnée aux chefs des travaux industriels. Le véritable sens de l'égalité manqua à Saint Simon.
Dans De l'organisation sociale (1825), apparaît la classe des prolétaires comme groupe responsable. Peuvent être admis comme sociétaires. Se dessine le prolétariat comme groupe éduqué.
Écart entre Saint Simon et Marx : d'un côté le prolétariat est certes conçu comme responsable mais reconnaissant la supériorité des chefs, de l'autre une classe ouvrière sujet et non plus subordonnée. Le prolétariat n'est pas encore chez Saint Simon la négation vivante de la société bourgeoise. L'époque ne peut encore le permettre.

d) Les classes intermédiaires
Ce sont les légistes et les métaphysiciens. Leur fonction fut médiatrice mais ils ne subsistent plus désormais que comme fossiles inutiles et parasitaires. Légistes et métaphysiciens représentaient un organe de transition destiné à ce que le système industriel ne dépérisse point sous l'action de la féodalité. S'imposait un régime assouplissant le pouvoir théologique. Survit mais cette réalité fait obstacle à l'épanouissement du régime industriel. Ils dirigent les affaires publiques, renforcent l'État, figent le processus historique. Ce sont les bourgeois au sens général du terme. La haine pour les légistes et métaphysiciens est en fait dirigée contre l'État non administratif mais instrument de coercition. Critique de l'État : rêve d'une société non oppressive, d'une communauté libre dégagée des chaînes gouvernementales et bureaucratiques. Il faut dissoudre l'État et la caste qui le soutient. L'État est l'obstacle essentiel. Annonce Marx :

Les gouvernements administrent les affaires générales dans leur intérêt au lieu de les gérer dans l'intérêt des peuples. Les gouvernants devraient jouer le rôle de délégués, de domestiques de la nation travaillante. Gouverner n'est pas un travail positif. L'État doit simplement veiller à ce qu'un processus dont il n'a pas la direction réelle se déroule sans trouble et doit par conséquent s'effacer au maximum. À la force et à la violence, à la coercition se substitue une coordination. Le passage de la forme étatique à la forme administrative est la subordination des gouvernants. Leur rôle consiste à se plier à la discipline que le réel et le peuple leur assignent. Il faut laisser la place au « gouvernement des choses » cf. Engels : « Le passage du gouvernement des hommes à une administration des choses, et à une direction des opérations de production, donc l'abolition de l'État se trouve déjà clairement énoncés ici » Ceci fait aussi de Saint Simon un des fondateurs de la pensée anarchiste. Car ce triple pouvoir industriel, savant, artiste doit s'effacer pour que s'effectue un processus scientifique et rationnel. Le pouvoir s'autodétruit. Le seul critère d'un fonctionnement démocratique est la possibilité de répudier les institutions coercitives. Si un système politique ne tend point à réaliser l'intérêt de la masse alors il lui faut pour subsister, faire appel aux forces répressives. Mais lorsque chacun aperçoit nettement le but d'amélioration vers lequel on marche, l'appareil gouvernemental peut s'effacer le plus possible.

Un autre christianisme va s'engendrer mais sa condition première est la mort de la théologie. Le paradis dont parle Saint Simon n'est pas celui qui se donne dans un au-delà. Saint Simon salue la venue d'une organisation fondée sur l'amour. Il faut œuvrer pour l'amélioration du sort du prolétariat. Œuvrer pour la classe la plus pauvre (et non par elle). Christianisme définitif : bonheur terrestre. Eudémonisme : éliminer non les classes mais le conflit des classes, élever le monde social au bonheur.

Saint-Simon pêche par optimisme. Il élude le problème essentiel des méthodes d'action. Utopiste parce que prisonnier de son époque.

ANNEXE 2

« Nous supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, ses cinquante premiers physiologistes, ses cinquante premiers mathématiciens, ses cinquante premiers poètes, ses cinquante premiers peintres, ses cinquante premiers sculpteurs, ses cinquante premiers musiciens, ses cinquante premiers littérateurs ; Ses cinquante premiers mécaniciens, ses cinquante premiers ingénieurs civils et militaires, ses cinquante premiers artilleurs, ses cinquante premiers architectes, ses cinquante premiers médecins, ses cinquante premiers chirurgiens, ses cinquante premiers pharmaciens, ses cinquante premiers marins, ses cinquante premiers horlogers ;
………………………………………………

Ses cinquante premiers maçons, ses cinquante premiers charpentiers, ses cinquante premiers menuisiers, ses cinquante premiers maréchaux, ses cinquante premiers serruriers, ses cinquante premiers couteliers, ses cinquante premiers fondeurs, et les cent autres personnes de divers états non désignés, les plus capables dans les sciences, dans les beaux-arts, et dans les arts et métiers, faisant en tout les trois mille premiers savants, artistes et artisans de France.
Comme ces hommes sont les Français les plus essentiellement producteurs, ceux qui donnent les produits les plus importants, ceux qui dirigent les travaux les plus utiles à la nation, et qui la rendent productive dans les sciences, dans les beaux-arts et dans les arts et métiers, ils sont réellement la fleur de la société française ; ils sont de tous les Français les plus utiles à leur pays, ceux qui lui procurent le plus de gloire, qui hâtent le plus sa civilisation ainsi que sa prospérité ; la nation deviendrait un corps sans âme, à l'instant où elle les perdrait ; elle tomberait immédiatement dans un état d'infériorité vis-à-vis des nations dont elle est aujourd'hui la rivale, et elle continuerait à rester subalterne à leur égard tant qu'elle n'aurait pas réparé cette perte, tant qu'il ne lui aurait pas repoussé une tête. Il faudrait à la France au moins une génération entière pour réparer ce malheur, car les hommes qui se distinguent dans les travaux d'une utilité positive sont de véritables anomalies, et la nature n'est pas prodigue d'anomalies, surtout de celles de cette espèce.
Passons à une autre supposition. Admettons que la France conserve tous les hommes de génie qu'elle possède dans les sciences, dans les beaux-arts, et dans les arts et métiers, mais qu'elle ait le malheur de perdre le même jour Monsieur, frère du Roi, Monseigneur le duc d'Angoulême, Monseigneur le duc de Berry, Monseigneur le duc d'Orléans, Monseigneur le duc de Bourbon, Madame la duchesse d'Angoulême, Madame la duchesse de Berry, Madame la duchesse d'Orléans, Madame la duchesse de Bourbon et Mademoiselle de Condé. Qu'elle perde en même temps tous les grands officiers de la couronne, tous les ministres d'État (avec ou sans départements), tous les conseillers d'État, tous les maîtres de requêtes, tous ses maréchaux, tous ses cardinaux, archevêques, grands-vicaires et chanoines, tous les préfets et les sous-préfets, tous les employés dans les ministères, tous les juges, et, en sus de cela, les dix mille propriétaires les plus riches parmi ceux qui vivent noblement.
Cet accident affligerait certainement les Français, parce qu'ils sont bons, parce qu'ils ne sauraient voir avec indifférence la disparition subite d'un aussi grand nombre de compatriotes. Mais cette perte des trente mille individus, réputés les plus importants de l'État, ne leur causerait de chagrin que sous un rapport purement sentimental, car il n'en résulterait aucun mal politique pour l'État. »

SAINT-SIMON (L'organisateur)

2) Charles Fourier (1772-1837)

a) Fourier est un philosophe du désir. Il fascina André Breton. On peut le lire comme l'envers positif de Sade (même idée qu'il faut libérer le désir sauf que cela conduit à l'harmonie et non à la violence comme l'a cru Sade.) Fait penser à l'utopie soixante huitarde A inspiré Marcuse.
Changer la société c'est d'abord rendre possible l'épanouissement de l'élan vital et des passions. Sa découverte est celle de la science sociale dessinée à travers la loi de l'amour. L'analyse de la production n'est ici pas première. Ce qui est premier est la vision de l'harmonie universelle. Le monde « à droit sens » est miroir de l'accord divin. Il reflète la réalité et les lois mathématiques de l'univers. Fourier est panthéiste : l'homme, les choses, le ciel, les planètes et l'existence forment l'ordre de la nature où tout est vrai et bon. L'homme, l'univers et Dieu ne font qu'un. La chaîne cosmique permet d'étudier sous la même lumière l'ordre de la physique et l'ordre social. La découverte de Newton servira de principe d'interprétation au groupe humain : « L'attraction est le moteur de l'homme. Elle est l'agent que Dieu emploie pour mouvoir l'univers et l'homme. » L'attraction tend au luxe, à la formation des groupes et au mécanisme des passions.

Il faut partir de l'excellence de la passion. L'ordre de la morale se trouvera inversé qui raisonnait en termes de modération et de répression. Si « tout depuis les atomes jusqu'aux astres forme un tableau des passions humaines », il faut obéir aux vœux de la nature. La soumission à la loi, la contrainte de la pulsion amoureuse par l'interdit ne font que symboliser le monde à l'envers et son ignorance du pivot fondamental de l'existence, l'attraction passionnée. La passion ne s'inscrit pas chez Fourier dans une lecture immoraliste du réel et le cri « développer au lieu de réprimer » n'a rien de callicléen. Fruit de l'harmonie, elle est en elle-même parfaite. Seuls son essor et son actualisation peuvent appartenir au domaine de la corruption. Dans l'association future toute passion parviendra à une extériorisation facile et intégrée. Le règne du désir sera la voie morale naturelle et authentique.

Fourier distingue douze passions : cinq sensuelles (cinq sens), quatre affectueuses (amitié, ambition, amour et familisme) et trois mécanisantes.
Les passions mécanisantes sont :

Morale répressive et essor harmonique sont deux chemins opposés : celui de la civilisation et celui de l'ordre divin.

b) Critique de la civilisation :
Fourier appréhende la civilisation à travers le pilier du commerce. Il est surtout sensible aux crimes de ce dernier. Il critique l'ambition et la frénésie de la concurrence.
Mais en même temps chaque période sociale est avancée vers la supérieure. La civilisation prépare donc l'entrée en régime sociétaire et harmonieux. Elle crée les éléments de l'existence libérée. Grande industrie, sciences et arts progressent. Il manque évidemment aux analyses de Fourier l'examen du Capital.
Le système commercial lèse doublement la société en la privant de bras productifs et en engendrant les méfaits de la concurrence (opposée à l'harmonie). La défense de la concurrence aboutit au monopole. L'opposition concurrence-monopole est vaine. L'une engendre l'autre. Le commerce est donc le terrain où s'engendre le mal moral. Y pullulent vices, désordres, anarchie, incohérence.
Quant à l'industrie, elle implique, elle aussi, un cercle vicieux. Antipodes de Saint Simon et de sa confiance en l'essor de la technique et de la production. L'abondance industrielle voue le producteur à la pauvreté. Travailleurs et prolétaires ne profitent à aucun moment du fruit de leur labeur. L'excès de misère jaillit de la richesse. Envahissement par le pouvoir financier. S'oppose directement à ce que Fourier considère comme le moteur de toute activité humaine, la satisfaction du désir.
Le signe de cette décadence est l'avilissement des femmes. « En thèse générale, les progrès sociaux… s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté, et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. »
Condition féminine : « peut-on voir une ombre de justice dans le sort qui leur est dévolu »
Le groupe familial est immoral. Le ménage isolé et permanent n'est rien d'autre que fils de Hasard et d'Ennui. A papillone et manie de variété, à composite (besoin des âmes et corps) s'oppose la pesanteur de vie de ménage. Le mariage est égoïsme. « L'amour n'a donc en civilisation aucun essor libre puisqu'il n'a que celui de mariage »
Fourier critique aussi la souveraineté populaire : une formule vide, pure apparence d'un système autoritaire où l'argent gouverne, possède pouvoir de coercition ultime.
La formule de Fourier est « à chacun selon ses désirs »

c) Le monde harmonien.
Harmonie se fondera non point sur la dictée de la raison mais sur la passion divine et le culte d'Éros. Néo-religion érotique, culte unifié par l'amour. Liberté composée convergente.

Les hommes ne sont pas encore dignes d'atteindre ce nouveau monde amoureux. On ne peut espérer y accéder qu'à travers une persévérance dialectique. Pourtant dès maintenant l'individu pressent sa vocation à la liberté. Le penchant universel à la polygamie, la mathématique des passions nous indique ce que sera l'insurrection de Nature contre Loi. Nul désir ne sera entravé. Éros devient principe de fraternité, de réciprocité sociale. Polygamie et cumul d'amour réaliseront le rêve ancestral de l'union qui répondra au code divin de l'harmonie des sphères.

Le problème est de réaliser ce nouvel ordre. Fourrier n'envisage pas un seul instant une révolte, une quelconque réaction des passions contre l'oppression. Mieux, il est clair que la répression politique est une absolue nécessité en civilisation car les passions opprimées ne peuvent produire en se libérant que du mal (c'est leur oppression qui en est la cause) ? Une libération de passions d'abord réprimées est destructrice et non productive. Impossibilité donc d'une révolution populaire. Les révoltes du peuple sont irraisonnées. Ce n'est pas le peuple mais la nature contrariée qui s'exprime dans les révolutions. Elles sont la conséquence d'un état de tension permanent de l'homme avec lui-même. Mais alors il ne reste plus qu'une possibilité : s'en remettre à la volonté politique des puissants, des riches. C'est ce que fera Fourier qui, toute sa vie, cherchera auprès de ceux-ci les moyens de lancer l'expérience inaugurale de l'Harmonie. Fourier n'est pas un penseur révolutionnaire. Son projet n'est pas fondé sur une revendication sociale.

Dans le détail, les vues de Fourier portent parfois à sourire. Il préconisa par exemple de changer le sel des océans en sucre pour avoir des océans de limonade et s'intéressa à la force motrice des baleines. Mais il croit aussi que la médecine doit prolonger la vie (l'homme doit pouvoir vivre jusqu'à 144 ans - douze fois douze), parle de navigation aérienne, de transmission des nouvelles par réseaux astraux. Signalons que Jules Verne fut fouriériste.
André Breton écrivit une Ode à Charles Fourier dont voici quelques lignes :
« Indigence fourberie oppression carnage ce sont toujours les mêmes maux dont tu as marqué la civilisation au fer rouge.
Fourier on s'est moqué mais il faudra bien qu'on tâte un jour bon gré mal gré de ton remède »

ANNEXE 3

« Nos régénérateurs ont opiné à proscrire en plein la passion la plus apte à former les liens sociaux, ils ont restreint au minimum le lien amoureux. Leur système conjugal n'admet dans les amours que le mode strictement nécessaire au renouvellement de l'espèce et l'on ne peut pas inventer un ordre social qui restreigne davantage l'essor de l'amour.
…………………………………………
Et, dans cette politique répressive de l'amour, quel est leur but ? Est-ce de conduire le corps social à l'indigence, à la fourberie, à l'oppression, au carnage, etc. ? Non sans doute. Voilà pourtant le résultat de cette politique civilisée qui réprime les amours et les réduit au minimum de légitimité ; en les réduisant de droit, les réduit-elle de fait ? Non vraiment puisque tout être même en état d'oppression s'adonne furtivement à la polygamie et bien mieux encore quand il jouit de quelque liberté.
L'amour doit multiplier à l'infini les liens sociaux.
De là résulte double absurdité politique : l'une d'avilir la législation par un système contre lequel l'immense majorité est ou a été en insurrection secrète, l'autre d'arriver par ce système à tous les résultats opposés aux biens qu'on désirait, d'arriver à l'indigence, l'oppression, la fourberie et le carnage, et c'est pour de tels résultats qu'on va directement contre le but de la nature. L'amour n'a donc en Civilisation aucun essor libre puisqu'il n'a que celui de mariage, lien coercitif qui ne s'étend qu'aux mesures de reproduction indispensable. Du reste, l'amour n'a légalement aucune licence qui soit accordée dans le sens de la nature, dans le dessein de former des liens et de spéculer sur la concorde. »

FOURIER (Le nouveau monde amoureux)

III L'anarchisme

1) Proudhon (1809-1865)

a) Critique de la propriété
Dénoncer les injustices et abus inhérents à la propriété privée n'a rien d'original. Pourtant la critique de la propriété en tant qu'institution à laquelle se livre Proudhon fit scandale. « La propriété, c'est le vol » écrit Proudhon. Dans une entreprise, parce qu'ils travaillent collectivement, les ouvriers produisent plus que s'ils travaillaient chacun individuellement. Il n'est pas vrai en effet qu'un individu puisse faire en dix heures le même travail que dix individus en une heure. Cent hommes peuvent déplacer une pierre de plusieurs tonnes que jamais un individu seul ne pourra faire bouger même en cent fois plus de temps. La force collective dans le travail social produit bien plus que la force individuelle. Pourtant le capitaliste rétribue chacun de ses ouvriers individuellement et donc « vole » ce surplus de valeur. La propriété privée est l'appropriation par un individu d'un travail en commun et est donc un vol. Concept de plus value est ici présent.
La propriété crée l'inégalité et interdit à l'ouvrier la sécurité de posséder. Elle met en péril la cohésion sociale car, alors que les capitalistes accumulent les profits, les ouvriers s'appauvrissent de plus en plus. Dépossédés des richesses qu'ils ont eux-mêmes produits, les ouvriers cherchent à les récupérer par la violence et les capitalistes utilisent la force… pour empêcher d'agir les voleurs ! Car tel est le paradoxe : alors que la propriété résulte d'un vol, elle prétend s'opposer à lui.
Cependant la propriété est en même temps la liberté au sens où elle est un rempart contre l'État. C'est en ce sens, du reste, que Proudhon s'oppose à Marx L'appropriation collective des moyens de production préconisée par Marx ne résout rien aux yeux de Proudhon. Elle ne fait que transférer la propriété à l'État mais, en changeant de mains, la propriété ne change pas pour autant de nature. Le pire mal est d'être livré à l'État propriétaire. Proudhon accuse les communistes de vouloir la dictature en s'appropriant les consciences et les facultés des individus. De plus, si l'État est le propriétaire des moyens de production, les individus ne sont plus encouragés à travailler parce qu'ils sont à l'abri du besoin et de la concurrence. Capitalisme et communisme sont donc renvoyés dos à dos.
Proudhon critique l'État et est, en cela, un anarchiste. Il faut prendre le mot « anarchie », non pas au sens courant de désordre (Proudhon n'est aucunement un partisan du désordre) mais au sens étymologique. Étymologiquement parlant, l'anarchisme est le refus du pouvoir et l'anarchie un système politique sans autorité ou gouvernement. Proudhon refuse tout gouvernement, tout État, ainsi d'ailleurs que le suffrage universel. Les gouvernements sont responsables du désordre et, à ses yeux, seule une société sans gouvernement serait capable de restaurer un ordre naturel et une harmonie sociale.
Mais si l'anarchie n'est pas le désordre, de quel ordre s'agit-il ? Il existe, pour Proudhon, une troisième voie possible, ni capitaliste (où seuls quelques-uns uns sont propriétaires), ni communiste (où personne ne possède). Cette troisième voie, Proudhon l'appelle mutuellisme.

b) L'idée muttuelliste
La mutualité se présente comme une certaine forme de l'échange collectif que Proudhon prétend théoriser à partir des tendances qui se font jour dans les pratiques populaires et en particulier les associations ouvrières.
Mutuum signifie en latin le prêt, l'échange, d'où l'idée d'une prestation de forme contractuelle, fondée sur un engagement réciproque des parties garantissant leurs intérêts. Associations de producteurs, coopératives réunissant producteurs et consommateurs, organismes de crédit et d'assurance mutuels etc. ne constituent pas seulement des tentatives de résistance populaire au monopole du capital mais la mise en œuvre spontanée d'un nouveau modèle d'organisation économique conforme aux principes de la justice, qui a vocation de s'étendre à l'ensemble de l'organisation sociale. L'homme et le citoyen tient son droit directement de la dignité de sa nature. Cette dignité repose sur le travail : de là une règle de réciprocité générale concernant la collaboration et la distribution des produits du travail, donnant, donnant, la loi du talion retournée en équilibre économique. « L'Etat n'est autre chose que la résultante de l'union librement formée entre sujets égaux, indépendants et tous justiciers (…) ; tout débat entre le pouvoir et tel ou tel citoyen se réduit à un débat entre citoyens. » Il s'agit d'organiser non plus le politique mais l'économique ; soumettre le capital au travail, assurer le pluralisme des libertés et des initiatives, absorber le politique dans l'économique. Au fond il s'agit de socialiser des initiatives particulières.

La mutualité signifie donc que tout le monde possède. Ainsi les travailleurs possèderaient (et la possession n'est justement pas la propriété) eux-mêmes les terres ou les machines nécessaires au travail. C'est l'idée de la coopérative ouvrière où les associés possèdent le capital de façon indivise et en assurent collectivement la gestion (on emploie aujourd'hui le terme d'autogestion). Les profits sont alors équitablement répartis entre tous.
Dans le détail cela donne un programme social :

Entre ces coopératives doivent régner des rapports libres qui conduisent à la théorie du fédéralisme. « Ainsi transporté dans la sphère politique, ce que nous avons appelé jusqu'à présent mutuellisme ou garantisme prend le nom de fédéralisme » Une fédération est une convention par laquelle un ou plusieurs chefs de famille, une ou plusieurs communes, un ou plusieurs groupes de communes ou États s'obligent réciproquement et également les uns envers les autres pour un ou plusieurs objets particuliers. Nouveau pacte par lequel se coordonnent régions, districts, communes. Eclatement des centres de décision (« le centre politique est partout, la circonférence nulle part ») Le fédéralisme est contraire au centralisme. Le pouvoir n'est pas condensé en un centre unique mais les groupes associés gardent leur autonomie dans un rapport égalitaire. À la relation de pouvoir qui suppose des dominés et des dominants, Proudhon veut substituer une relation d'échanges réciproques librement consentis qu'il appelle justice. Cela revient-il à prononcer la dissolution du politique ? En un sens oui, si l'on admet que la politique suppose que conflits, contradictions, arbitrages ne peuvent être résolus spontanément et qu'il faut l'artifice des institutions et des spécialistes pour les mettre en œuvre mais la critique de l'étatisme chez Proudhon n'abolit pas le principe d'une certaine forme de planification, un rôle incitateur de l'Etat. L'Etat est incitateur mais non gestionnaire. Il ne fait qu'accompagner la création de la société par elle-même.

Pour mieux comprendre le proudhonisme, il faut voir qu'il repose sur une sorte de métaphysique qu'on pourrait ainsi résumer « se distinguer pour être ; s'associer pour être plus » :

La force collective est le résultat de cette dialectique entre « antagonisme autonomiste » et « équilibration solidaire » Il ne faut ni réduire les antagonismes ni leur substituer une construction juridique artificielle. La politique joue un rôle régulateur en rendant la liberté efficace par la coordination des énergies. Pas de contrat fondateur mais diversité de contrats constitue l'économie.

Proudhon appelle de ses vœux une révolution prolétarienne qui dépossèderait de façon « brusque et sans indemnité » la classe capitaliste.
Ainsi, organiser la société ce n'est pas chercher la synthèse des contraires mais au contraire créer des équilibres dans l'échange.
Ajoutons que pour Proudhon, c'est dans le travail que l'homme inscrit la marque de sa liberté dans le monde et devient proprement humain.
La formule « Ni Dieu ni maître » deviendra principe de l'anarchisme. La critique de l'État se double en effet d'une critique de la religion. Stérile, intolérante dans son principe, contraire à la science et au progrès, elle se borne à consacrer l'impératif politique et législatif. Elle « commande l'obéissance »

ANNEXE 4

« Si j'avais à répondre à la question suivante : Qu'est-ce que l'esclavage ? et que d'un seul mot je répondisse : C'est l'assassinat, ma pensée serait d'abord comprise. Je n'aurais pas besoin d'un long discours pour montrer que le pouvoir d'ôter à l'homme la pensée, la volonté, la personnalité, est un pouvoir de vie et de mort, et que faire un homme esclave, c'est l'assassiner. Pourquoi donc à cette autre demande : qu'est-ce que la propriété ? ne puis-je répondre de même : c'est le vol, sans avoir la certitude de n'être pas entendu, bien que cette proposition ne soit que la première transformée ?
(…)
Tel auteur enseigne que la propriété est un droit civil, né de l'occupation et sanctionné par la loi ; tel autre soutient qu'elle est un droit naturel, ayant sa source dans le travail : et ces doctrines tout opposées qu'elles semblent, sont encouragées, applaudies. Je prétends que ni le travail, ni l'occupation, ni la loi ne peuvent créer la propriété ; qu'elle est un effet sans cause : suis-je répréhensible ? »

PROUDHON (Qu'est-ce que la propriété ?)

« 1° le principe du droit économique est que les produits ne s'achètent que par des produits ; la propriété, ne pouvant être défendue que comme productrice d'utilité et ne produisant rien, est dès ce moment condamnée ;
2° C'est une loi d'économie que le travail doit être balancé par le produit ; c'est un fait qu'avec la propriété, la production coûte plus qu'elle ne vaut ;
3° Autre loi d'économie : le capital étant donné, la production se mesure non plus à la grandeur du capital, mais à la force productrice ; la propriété, exigeant que le revenu soit toujours proportionnel au capital, sans considération du travail, méconnaît ce rapport d'égalité de l'effet à la cause ;
4° et 5° Comme l'insecte qui file sa soie, le travailleur ne produit jamais que pour lui-même ; la propriété, demandant produit double et ne pouvant l'obtenir, dépouille le travailleur et le tue,
6° La nature n'a donné à chaque homme qu'une raison, un esprit, une volonté ; la propriété, accordant au même individu pluralité de suffrages, lui suppose pluralité d'âmes ;
7° Toute consommation qui n'est pas reproductrice d'utilité est une destruction ; la propriété, soit qu'elle consomme, soit qu'elle épargne, soit qu'elle capitalise, est reproductrice d'inutilité, cause de stérilité et de mort ;
8° Toute satisfaction d'un droit naturel est une équation ; en d'autres termes, le droit à une chose est nécessairement rempli par la possession de cette chose. Ainsi, entre le droit à la liberté et la condition d'homme libre il y a balance : équation ; entre le droit à la sûreté et la garantie sociale, équation. Mais entre le droit d'aubaine et la perception de cette aubaine, il n'y a jamais équation ; car à mesure que l'aubaine est perçue, elle donne droit à une autre, celle-ci à une troisième, etc., ce qui n'a plus de terme. La propriété n'étant jamais adéquate à son objet est un droit contre la nature et la raison ;
9° Enfin, la propriété n'existe pas par elle-même ; pour se produire, pour agir, elle a besoin d'une cause étrangère, qui est la force ou la fraude ; en d'autres termes, la propriété n'est point égale à la propriété, c'est une négation, un mensonge, RIEN. »

PROUDHON (Qu'est-ce que la propriété ?)

2) Bakounine (1814-1876).

C'est l'autre grand théoricien de l'anarchisme.

a) La critique de l'Etat
Il est sans doute le plus athée des doctrinaires anarchistes. Tout en reconnaissant que la religion fut nécessaire à l'évolution humaine, Bakounine n'en estime pas moins que le moment est venu de mettre fin à l'« esclavage divin ». C'est Dieu qui est la source de toute autorité humaine, c'est sur Dieu que repose tout pouvoir. Il faut donc nier Dieu, moins parce qu'il n'existe pas que parce que son existence est incompatible avec la liberté de l'homme. « Si Dieu est, l'homme est esclave, or l'homme peut et doit être libre, donc Dieu n'existe pas. »
L'État est un danger permanent. Il apparaît comme le « frère cadet de l'Église », puisqu'il se réclame d'une origine transcendante, sa disparition doit accompagner celle de la religion. L'État n'est donc pas quelque chose d'absolu, de définitif, c'est « une institution historique, transitoire, une forme passagère de la société ». L'État constitue un danger permanent, non seulement pour ceux qui sont gouvernés, mais aussi pour ceux qui gouvernent. Loin d'assurer un ordre profitable à tous, il maintient un semblant d'ordre imposé par une minorité qui en profite pour exploiter la majorité ignorante. Mais, du fait même que cette minorité vit d'exploitation, elle finit nécessairement par perdre ses qualités humaines. La dictature du prolétariat prônée par « Marx et ses amis » n'échappe pas à cette fatalité. « Ils concentreront tous les pouvoirs de gouvernement entre de fortes mains, puisque le fait même de l'ignorance du peuple exige des soins vigoureux et attentifs de la part du gouvernement. Ils créeront une seule banque d'État, concentrant entre ses mains toute l'activité commerciale, industrielle, agricole et même scientifique, et ils diviseront la masse populaire en deux armées, armée industrielle et armée agricole, sous le commandement direct des ingénieurs d'État qui constitueront la nouvelle classe politico-scientifique privilégiée. »
Pourquoi l'Etat est-il mauvais par essence ?

L'oppression politique est liée à l'oppression économique. Alors que pour Marx, l'Etat est un instrument au service de la classe dominante au plan économique et social, Bakounine pense plutôt à une complicité entre les politiques et les possédants, fondée sur une communauté de situation et d'intérêts : ils sont les uns et les autres privilégiés. La bourgeoisie s'est toujours rangée du côté du plus fort, garantie contre la révolte des travailleurs qu'elle exploite. De l'autre côté l'Etat utilise et donc favorise les riches. L'Etat se fonde sur l'inégalité et on ne peut concevoir l'un sans l'autre, ni la disparition de l'un sans la disparition de l'autre. L'Etat est donc l'ennemi à abattre.
Qu'en est-il alors de la démocratie ? Ce n'est pas un meilleur mode de gouvernement. C'est même au fond le pire. Dans les Républiques démocratiques, le peuple ne gouverne pas mais est gouverné. Ce sont des représentants qui exercent le pouvoir et non l'ensemble du peuple lui-même. Ces hommes qui gouvernent sont les maîtres de ceux qui sont gouvernés. L'élection ne change rien à la situation. Le suffrage porte au pouvoir des hommes qui, soit sont déjà ennemis du peuple, soit le deviennent.
La démocratie est le pire des régimes. En effet les républicains ne parviennent au pouvoir qu'en s'appuyant sur les revendications populaires. Ils promettent mais une fois au pouvoir ne respectent pas leur promesse (le pouvoir corrompt). Le peuple se révolte et l'Etat recourt à la répression. « L'Etat républicain est tout aussi oppressif que l'Etat monarchique, seulement il ne l'est point pour les classes possédantes, il ne l'est qu'exclusivement contre le peuple » Un régime politique est d'autant plus néfaste qu'il peut se prévaloir d'une légitimité car son autorité gagne en efficacité.
Peut-on concevoir une démocratie socialiste et comment organiser la société anarchiste ? L'association dirigée par Bakounine et adhérente pendant un temps de l'Internationale, s'appelait « Alliance internationale de la Démocratie Socialiste ». Etre démocrate n'est donc pas nécessairement être contre-révolutionnaire.
Un Etat ne peut être juste que si la contradiction entre le pouvoir et la liberté est surmontée. Une société peut-elle être organisée politiquement et laisser chaque individu libre ? Il faut une série de conditions :

Mais comment peut-on imaginer la coexistence entre une liberté absolue en matière politique et des contraintes économiques impératives ? Ne faut-il pas choisir ?
Ce qui peut seulement fonder la position de Bakounine est une foi profonde dans le mouvement spontané de l'humanité vers une organisation juste et libre qui rendra inutile l'exercice de la contrainte politique. Cela va-t-il de soi ? Les hommes ne cherchent-ils pas de manière spontanée plutôt leurs intérêts propres que ceux d'autrui ? L'abolition de toute autorité politique ne conduit-elle pas à la guerre civile ?
Selon Bakounine, cette objection oublie que les hommes ont été habitués à la tutelle de l'Etat. Une fois celle-ci levée, après un premier temps de désordre ils harmoniseront leurs désirs et retrouveront la paix.

b) La question de la révolution
Bakounine semble donner au prolétariat un rôle moteur en tant que partie la plus éclairée du peuple.
La classe ouvrière sait ce qu'il faut faire et est donc celle qui peut guider le peuple dans la voie de la révolution. Il recommande d'envoyer dans les campagnes, pour étendre la révolution, des francs-tireurs ouvriers. La paysannerie a tendance à se ranger du côté de la réaction, parce que l'Eglise a une grande influence auprès des ruraux.
La bourgeoisie est réactionnaire intégralement. Contrairement à Marx, Bakounine pense que la bourgeoisie est déjà contre révolutionnaire en 1789. elle ne prend le pouvoir que pour exploiter et opprimer le peuple.
La situation pourrait donc sembler claire : la classe ouvrière en avant-garde entraîne la paysannerie à l'assaut des bourgeois. En réalité ce n'est pas si simple car l'idée même d'avant-garde est problématique. Puisque tout pouvoir est mauvais, toute direction d'un mouvement le pervertit. Bakounine dénonce la tendance des ouvriers à se croire supérieurs aux paysans. La classe ouvrière doit certes entraîner le peuple dans la révolution mais non le diriger. Il faut que ce soit d'elles-mêmes que les différentes fractions du peuple se révoltent contre l'ordre établi.
L'originalité de Bakounine réside dans cette conception de la révolte spontanée. Bakounine, originaire lui-même d'un pays agricole et dont les disciples se recrutaient principalement dans les pays latins peu industrialisés, préfère en appeler au socialisme primitif et sauvage des campagnes, dont la ferveur révolutionnaire provient précisément du fait qu'elles sont « à peu près vierges de toute civilisation bourgeoise ». La révolte doit éclater avec la soudaineté d'un orage. «L'orage, c'est le déchaînement de la vie populaire, seul capable d'emporter tout ce monde d'iniquités établies – et nous ne pouvons pas assez déchaîner cette passion et cette vie.»
Ainsi les ouvriers devront diriger leurs actions contre les autorités locales sans s'en prendre aux intérêts des paysans. Ceux-ci, d'eux-mêmes, se révolteront contre les gros propriétaires puis devront bien s'entendre entre eux pour assurer leur survie.
Dire que les ouvriers sont plus lettrés ou plus organisés c'est aux yeux de Bakounine leur trouver des défauts puisqu'il privilégie l'instinct par rapport à l'intelligence et la vie par rapport à la science. Lié aussi à sa conception de l'histoire. A ses yeux la Révolution française est une régression : le pouvoir des bourgeois est plus oppressif que celui des monarques. Le prolétariat urbain a une communauté de destin avec la bourgeoisie dont il garde les défauts. Les paysans plus rétrogrades sont donc peut-être en réalité plus révolutionnaires.
Alors que Marx estimait que la révolution n'aurait pas lieu parmi les peuples slaves mais plutôt en Allemagne, pays plus développé, Bakounine voyait la révolution plus proche en Pologne et en Russie…à cause du rôle de la paysannerie.

Il semble, cependant, que cette foi dans l'irrésistible instinct des masses n'aille pas, chez Bakounine, sans nuances. En exaltant le souvenir de Stenka Razine et de Pougatchev, bandits et chefs de jacquerie, Bakounine pense moins à la paysannerie elle-même qu'à cette petite minorité de déclassés, de hors-la-loi, de bandits qui sortent tout droit de la réalité russe d'alors et à laquelle il voudrait confier le rôle d'élément moteur dans la révolution à venir. Lui-même, conspirateur s'efforce de réunir des « révolutionnaires professionnels » voués corps et âme au « dictateur invisible », c'est-à-dire à lui-même. Le terrorisme anarchiste se trouve préfiguré dans Les règles dont doivent s'inspirer les révolutionnaires, texte que Bakounine rédige en commun avec Netchaïev: « Nous devons nous unir au monde aventurier des brigands qui sont les véritables et uniques révolutionnaires de la Russie. Concentrer ce monde en une seule force pandestructive et invincible, voilà toute notre organisation, notre conspiration et notre tâche. »

En conclusion, Bakounine constitue une tentative de synthèse entre deux représentations opposées : anarchisme et communisme. Mais cette synthèse ne s'opère pas. Elle ne peut se résoudre qu'à condition de croire en la spontanéité de l'organisation sociale affranchie de tout gouvernement, les individus recherchant l'harmonie naturellement de leur propre mouvement. De même si Bakounine reconnaît l'exploitation du prolétariat il hait le pouvoir et l'organisation. Il demeure au fond individualiste : l'individu reste indépassable. Il doit rester son propre maître pour toujours.

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