Premier exemple de corrigé d'un commentaire de texte accompagné de qustion


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Sujet

Sujet : " Il ne paraît pas qu'on puisse amener l'homme par quelque moyen que ce soit à troquer sa nature contre celle d'un termite ; il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle contre la volonté de la masse. Un bon nombre de luttes au sein de l'humanité se livrent et se concentrent autour d'une tâche unique : trouver un équilibre approprié, donc de nature à assurer le bonheur de tous, entre ces revendications de l'individu et les exigences culturelles de la collectivité. Et c'est l'un des problèmes dont dépend le destin de l'humanité que de savoir si cet équilibre est réalisable au moyen d'une certaine forme de civilisation, ou bien si au contraire ce conflit est insoluble. "

FREUD

Questions

1. Dégagez l'idée principale du texte à partir de son étude ordonnée.
2. Expliquez et précisez le sens de : " la liberté individuelle ", " les exigences culturelles de la collectivité ". En quoi les deux peuvent-elles s'opposer ?
3. L'homme est-il, par nature, sociable ?

Question n°1 :

Remarque méthodologique : on demande de dégager l'idée principale du texte à partir de son étude ordonnée. Il importe donc de dégager d'abord les articulations du texte et de préciser ensuite l'idée principale.

Étude ordonnée : il existe des animaux sociaux comme par exemple les termites qui sont naturellement c'est à dire génétiquement constitués pour vivre en société. On peut dire que ces animaux sont naturellement sociaux. En revanche, l'homme, qui pourtant a besoin de vivre en société, n'a pas d'instinct social. Or, souligne Freud, la nature est un phénomène contre lequel nul ne peut agir au sens où il est impossible de faire de l'homme un termite. Il en résulte une contradiction entre d'une part les exigences sociales (" la volonté de la masse ") et d'autre part notre propension égoïste à préférer défendre des droits strictement individuels. L'individu a des droits qui lui sont propres mais ils ne doivent pas contredire l'intérêt général. Tout le problème est alors de concilier ces deux exigences contradictoires (de " trouver un équilibre ") de façon à trouver le bonheur. Comment en effet être heureux si je n'ai aucun droit ? Mais comment aussi les autres seront-ils heureux si je sacrifie à mon intérêt l'intérêt général ? Freud pense que cette exigence d'équilibre et la difficulté de la tâche pour le réaliser expliquent la plupart des conflits humains. Notre avenir dépend du caractère réalisable ou non de ce compromis.
Idée principale du texte : Le bonheur de l'homme suppose de concilier les droits de chacun à la liberté individuelle et les limites de ces droits qu'impose la vie sociale. Or il n'est pas sûr que ce compromis soit possible et donc que le bonheur soit accessible à l'homme.

Remarque : le problème ici évoqué par Freud est un problème classique. On trouve cette exigence dans " La déclaration des droits de l'homme et du citoyen " de 1789 et Kant tentera de résoudre cette question dont il souligne la complexité dans  Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.

Question n°2 :

Liberté individuelle : la liberté individuelle renvoie au droit qu'a chacun de décider, de choisir, ce qui le concerne en propre. Nul par exemple n'a à décider à ma place de mes choix de vie. C'est à moi de décider de mon métier (dans la mesure bien sûr de mes capacités), de ma situation familiale (vais-je ou non me marier, avoir ou non des enfants etc.?). La liberté individuelle renvoie donc à la sphère privée. Elle renvoie à ce dont j'ai envie, à ce qui me plaît.
Les exigences culturelles de la collectivité : " culturel " a ici le sens philosophique de " social ". La vie en société a ses exigences, c'est à dire ses règles dont on ne peut se passer. Elles sont nécessaires pour rendre la vie sociale possible. Par exemple, nous ne pouvons vivre en société dans le conflit permanent. Il y faut la concorde, la paix. Il faut organiser le travail, la distribution des biens de façon à ce que chacun trouve son intérêt, ce que Rousseau appelle " l'intérêt général ". Or ceci n'est possible qu'à condition d'imposer des limites à l'égoïsme individuel qui nous incline à toujours nous préférer aux autres. Ces limites constituent les lois.
Les deux peuvent s'opposer. la liberté individuelle m'incline à l'égoïsme. Je me préfère aux autres, je veux faire ce qui me plaît. Kant appelait cela l'insociabilité. Mais, en faisant ce qui me plaît, je peux être conduit à nuire aux autres et donc à contredire les exigences sociales pourtant nécessaires car l'homme ne peut vivre humainement qu'en société (en ce sens Kant parlait d'une " insociable sociabilité "). La société m'oblige à tenir compte des autres, à respecter ce qui constitue leur droit et qui peut s'opposer au mien. Mon intérêt peut ne pas être conforme à l'intérêt général. Ainsi l'intérêt d'un patron est de payer le moins possible ses ouvriers mais l'intérêt général implique que chacun ait de quoi vivre décemment. De même je peux avoir envie d'écouter de la musique à plein volume, mais les autres ont le droit de dormir la nuit. La vie sociale suppose de régler ce conflit permanent entre ce qui me plait et le droit des autres, droit des autres qui est du reste condition du mien puisque, bien sûr, les autres aussi se préfèrent. Au fond chacun voudrait n'avoir que des droits quand la vie sociale m'impose des devoirs qui sont d'ailleurs condition de mon droit. Ou serait par exemple mon droit à la vie ou à la propriété si la loi n'imposait pas le devoir de ne pas tuer ni voler, quels que soient par ailleurs mes désirs personnels ?

Question n°3 :

Analyse du sujet : il s'agit de s'interroger sur la nature de l'homme. La nature humaine se définit par tout ce qui est à la fois inné chez l'homme et commun à l'espèce humaine. Il faut bien voir que sociable n'est pas le synonyme de social. Sociable signifie " qui est voué à l'existence sociale, qui ne peut vivre qu'en société, qui est fait pour la société ". La question qui est ici posée est donc à la fois de savoir si nous pourrions vivre sans la société ou si au contraire nous sommes faits pour la vie sociale et, dans ce dernier cas, si cela relève d'une nature.

I Pouvons-nous vivre sans la société ?
Pour savoir si l'homme peut vivre sans société il faut penser ce que serait cette vie sans société à la manière des théoriciens de l'état de nature.
Rousseau défendra l'idée d'un état de nature où l'homme vit dans une solitude heureuse. À ses yeux nous ne sommes pas naturellement sociaux et la société relève plutôt d'un devenir historique jusqu'ici peu favorable à l'homme. Les besoins biologiques ne supposent pas aux yeux de Rousseau l'existence sociale car ils sont extrêmement bornés. Se nourrir à sa faim, dormir, se protéger des éléments sont des tâches réalisables solitairement. Ainsi notre nature ne suppose pas la vie en société.
Pourtant le même Rousseau remarque que l'homme naturel serait un " animal stupide et borné " et si l'on définit l'homme comme un animal raisonnable, on peut se demander si l'homme de la nature est véritablement un homme. C'est d'ailleurs ce que suggère l'exemple des enfants sauvages. Accidentellement privés tôt de la société, ces enfants certes ont survécu sans elle mais ne présentent aucune des caractéristiques par lesquels nous définissons habituellement l'humanité : ils ignorent la bipédie, ne parlent pas. Leur intelligence ne dépasse pas celle d'un enfant de deux ans. Il semble donc bien que nous soyons voués à l'existence sociale sous peine de ne réaliser aucune de nos potentialités véritablement humaines. L'enfant sauvage n'est pas un homme. Il n'est même pas un animal car l'animal a au moins les caractéristiques de son espèce.
Il faut souligner de ce point de vue que les recherches anthropologiques sont unanimes sur ce point : l'humanité a toujours vécu en société. Dès qu'on retrouve des fossiles humains et ceci avant même l'apparition de l'homo sapiens sapiens, on découvre aussi des vestiges d'habitat social. Il n'existe aucun peuple dans le monde qui n'ait une vie organisée socialement.
Aristote le soulignait déjà dans l'Antiquité : seul l'animal et Dieu peuvent vivre seuls. L'homme, lui, est un " animal politique " c'est à dire qui a besoin de vivre avec les autres, du moins s'il veut vivre humainement.
Ainsi le fait social est un fait universel pour notre espèce. Mais cela ne suffit pas pour constituer notre nature. Encore faut-il qu'il soit aussi inscrit dans nos gènes.

II Sommes-nous génétiquement sociables ?
Si l'homme est voué à l'existence sociable, ce n'est pas à la manière d'un animal.
Il faut marquer la différence entre les sociétés humaines et les sociétés naturelles animales. Les abeilles, les fourmis, les termites, sont génétiquement programmés pour vivre en société. La division des tâches, par exemple, est programmée naturellement. La reine des abeilles n'est pas constituée biologiquement de la même manière que ses ouvrières. Les fourmis ouvrières sont asexuées. Chacun dans la ruche ou la termitière accomplit sa fonction instinctivement, automatiquement sans avoir besoin de réfléchir. C'est tellement vrai qu'il n'existe nul gouvernement et nulle loi dans une ruche parce que les insectes sociaux n'en ont nul besoin. Ces sociétés sont naturelles c'est à dire qu'elles sont sans histoire. Elles n'évoluent pas et l'organisation est toujours la même quelle que soit l'époque ou le lieu.
Il n'en est pas de même chez l'homme. Si tous les hommes vivent en société, il n'y a en revanche pas deux sociétés humaines identiques. Les règles communautaires sont extrêmement variables d'un pays à l'autre et, mis à part la prohibition de l'inceste (mais on a pu montrer qu'elle est nécessaire à l'existence sociale), nulle loi n'est universelle. De plus, l'homme a besoin de lois. Rien dans son code génétique ne le pousse à agir spontanément en vue de l'intérêt commun. Comme le souligne Freud dans notre texte, nos pulsions égoïstes sont très fortes ce qui explique la possibilité du crime, de la délinquance (actions inexistantes dans les sociétés animales). Hobbes remarquait au XVIIème s. qu'il faut contraindre l'homme à surmonter son agressivité par la loi car naturellement "l'homme est un loup pour l'homme". Kant, quant à lui, soulignait " l'insociable sociabilité de l'homme ". Nous sommes sociables au sens où nous avons besoin de la société. Mais nous sommes insociables parce qu'égoïstes. C'est l'effet de notre liberté. C'est que dans notre espèce la nature ne détermine que des virtualités, des potentialités entre lesquelles chaque société mais aussi chaque individu " choisit " ce qui se réalisera effectivement. L'homme n'a pas d'instinct (et donc pas de nature). Il est ce qu'il devient par son éducation et le cadre social qui est le sien. Ceci permet à notre société d'évoluer, d'avoir une histoire. Cela nous donne aussi des responsabilités car nous serons ce que nous voulons être, en bien ou en mal.
Ainsi, si nous avons intérêt à l'existence sociale, celle-ci ne constitue pas une nature. C'est même d'ailleurs parce que nous n'avons pas de nature que nous avons besoin de la société.

Conclusion :
L'homme n'est pas par nature sociable. Mais cela ne signifie pas qu'il puisse vivre bien c'est à dire humainement sans la société. C'est du reste ce qui constitue l'intérêt du problème soulevé ici par Freud. Sans la société nous ne sommes rien ou pas grand chose mais nulle nature ne garantit l'ordre social. Nous avons du mal à supporter la contrainte des lois et la société doit sans cesse rappeler à ses membres leur importance. Le problème est d'autant moins simple que les lois ne sont pas toujours acceptables et peuvent effectivement contredire des droits individuels légitimes. Tout le problème alors est de concilier les impératifs légitimes de la liberté de chacun et les impératifs non moins légitimes d'une vie sociale, problème que Freud nous invite ici à méditer.

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