La dissertation relève d'un savoir-faire c'est à dire d'une technique. Il est impossible, dans ces conditions, de donner des principes qui vous permettront de réussir du premier coup et à tout coup. Pensez bien que si tel était le cas tous les candidats au baccalauréat obtiendraient la note maximale à l'examen. On apprend à faire des dissertations en en faisant. C'est la raison pour laquelle nous allons ensemble examiner un sujet en regardant pratiquement comment procéder, étape par étape.
Soit donc le sujet : Faut-il être seul pour être soi-même ?
J'imagine que certains ont déjà envie de répondre par oui ou par non
C'est exactement ce qu'il faut éviter de faire. Comment répondre en effet à une question sans savoir précisément ce qui nous est demandé ? La dissertation est d'abord un exercice de lecture et lire n'est pas seulement déchiffrer des mots mais chercher à comprendre, le crayon à la main, ce qui est précisément écrit. Avant de répondre à une question, il faut l'interroger car elle n'est jamais simple. Ainsi, pour notre sujet : qu'est-ce que signifie être seul ? N'y a-t-il pas plusieurs sens à cette expression ? Que veut dire être soi-même ? Le verbe falloir n'a-t-il pas plusieurs sens en français ? etc. C'est pour cela qu'il faut respecter scrupuleusement les étapes suivantes :
Cette analyse de la question, maintenant terminée, nous a pris du temps et nous n'avons pas encore traité le moins du monde le sujet. Sachez bien qu'il ne s'agit pas d'un temps perdu et que si vous ne procédez pas ainsi à l'examen vous courez à la catastrophe. Le hors sujet est le défaut le plus grave d'une dissertation.
La recherche des idées se fait au brouillon. A l'examen vous ne disposerez d'aucun document et ne pourrez-vous fier qu'à vos souvenirs de cours ou de lecture
et à votre intelligence. La philosophie consiste avant tout à penser par soi-même. À vous donc de vous interroger et il n'est pas d'autre méthode que de noter soigneusement au brouillon toutes les idées que le sujet vous évoque. Néanmoins, vos professeurs apprécieront vos éventuelles connaissances philosophiques et, puisque nous ne sommes pas ici à l'examen, je vous propose quelques références qui pourront nourrir votre réflexion.
Une première piste possible consiste à reprendre les différents sens du mot solitude que nous avons repérés.
En ce qui concerne d'abord la solitude temporaire et volontaire, on pourra trouver des éléments intéressants de réflexion chez Heidegger (auteur malheureusement difficile) sur le thème du nivellement social et de ce qu'il appelle la "dictature du On" (Être et temps), et aussi chez Schopenhauer. On pourra aussi se référer au thème de la mauvaise foi chez Sartre et notamment du célèbre épisode du garçon de café ( L'être et le néant", 1ère partie, chapitre 2) où Sartre montre comment nous sommes conduits face aux autres à jouer une comédie, un personnage.
Le thème de la robinsonnade a été abordé dans un roman de lecture facile : Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier dont je vous recommande vivement la lecture.
L'incontournable livre de Lucien Malson, Les enfants sauvages vous éclairera sur ce que ferait réellement de nous l'absence totale de contact social.
Enfin La forteresse vide de Bettelheim permettra d'étudier l'autisme.
On pourra se référer aussi aux auteurs qui ont insisté sur le rôle d'autrui dans la constitution de soi : Hegel, Lacan et aussi la thématique du regard chez Sartre.
Encore une fois, tout ceci est donné à titre indicatif et il est tout à fait possible, quoiqu'un peu risqué, de construire une dissertation sans référence philosophique.
Une fois vos idées trouvées, il faudra les mettre en ordre et constituer un plan. À vous de voir ce qu'il est logique d'aborder en premier. Rappelez-vous que la thèse que l'on défend est toujours la dernière abordée dans le devoir et qu'il faut d'abord commencer par celle que l'on va réfuter, que les parties doivent être équilibrées c'est à dire être d'à peu près même longueur. Le nombre de vos parties est libre. Certes la dissertation idéale suit un plan en trois parties (mais on n'exige pas de vous une dissertation idéale). Vous pourrez n'en faire que deux ou aller jusqu'à quatre. N'allez pas au-delà néanmoins car il n'est pas réaliste de vouloir mener une dissertation de plus de quatre parties dans le temps imparti à l'examen. Quant à ne pas faire de partie du tout, cela signifierait que votre dissertation n'a pas de plan et n'est donc pas une dissertation.
Pour le sujet qui nous occupe, vous trouverez ci-dessous une proposition de plan. Attention ! il ne s'agit en aucun cas d'un modèle. Il y a toujours plusieurs cheminements possibles et celui qui vous est proposé n'est qu'une possibilité parmi d'autres. Si certains points de ce plan ne vous semblent pas clairs (un plan est toujours un rapide résumé), pas de crainte, un corrigé complet suivra.
I La nécessité de la solitude pour être soi-même
1) La société, c'est le nivellement
- La "Dictature du On" chez Heidegger
- Schopenhauer montre que l'authenticité passe par la solitude
2) L'être et le paraître
- Autrui ne voit pas ma conscience mais l'apparence extérieure de moi.
- Je peux donc être conduit à paraître, à jouer un rôle, un personnage comme le montre l'exemple du garçon de café chez Sartre qui joue à être ce garçon de café parce que c'est ce que les autres attendent de lui.
- Si je confonds l'être et le paraître, si je crois que ce personnage à l'usage d'autrui, c'est moi, alors je suis de mauvaise foi et je ne peux plus être moi-même
3) Société et individualité.
- Il est vrai que la société exerce une contrainte sur nous comme le montrent les analyses des sociologues Tardes ou Durkheim
- Néanmoins la société ne fait pas de nous des robots. Nous ne sommes pas tous semblables et chacun a son originalité. Ne faut-il pas alors dépasser cette analyse ? Que serais-je sans les autres ?
II Que suis-je sans les autres ?
1) L'enfant sauvage
Montrer ici que l'enfant sauvage doit à son isolement de n'avoir pas constitué de personnalité. La privation sociale ne nous fait pas être nous-mêmes.
2) L'autisme
En s'isolant, l'enfant autistique se constitue une forteresse vide, c'est à dire qu'en l'absence de relation avec l'autre la personnalité, le Moi, disparaît. L'enfant autistique ne peut être lui-même.
3) La robinsonnade
Montrer ici à partir du roman de Tournier comment la solitude ronge progressivement les facultés de Robinson. La conscience de soi et celle des choses nécessitent la présence d'autrui qui manque à Robinson.
Si sans les autres nous ne sommes rien, il faut conclure que c'est autrui qui nous constitue. Comment le fait-il ?
III Comment l'autre me constitue-t-il ?
1) Autrui et le développement de la personnalité
On développera ici les analyses de Lacan et notamment comment l'enfant constitue une personnalité séparée de celle de sa mère par le rapport avec son père dans la situation dipienne. On pourra aussi se référer aux analyses de Hegel sur le thème de la reconnaissance.
2) Le regard
A travers la thématique du regard chez Sartre, on montrera comment l'autre me fait exister, me dévoile à moi-même. La pièce Huis-Clos, où l'on voit comment la mauvaise foi des personnages ne résiste pas au regard d'autrui et oblige les protagonistes à révéler qui ils sont pourra servir d'illustration.
3) Autrui est-il une condition suffisante pour être soi-même
Il s'agit ici de montrer que si autrui est une condition nécessaire pour être soi, il n'en est pas une condition suffisante. On peut se laisser aller au piège du conformisme. Socrate, qui reste soi jusque dans la mort, constitue une exception.
Comme chacun sait, une dissertation comporte une introduction, un développement, une conclusion.
1) L'introduction
Parce qu'elle se situe au début et provoque la première impression qu'on aura sur la copie, il importe de la rédiger avec soin et donc de faire un brouillon. Sa fonction est double. Elle doit montrer que la question posée est un vrai problème, c'est à dire qu'on ne peut y répondre d'emblée. Elle doit aussi indiquer comment vous allez aborder l'étude de ce problème et c'est pourquoi on ne la rédigera qu'après avoir élaboré le plan. Elle ne comporte qu'un seul alinéa.
Une bonne introduction comporte cinq points :
Pour notre sujet, voici un exemple (et là encore, il ne s'agit pas d'un modèle) :
L'homme est le seul animal qui dispose d'une conscience réflexive, c'est à dire qui est capable de se penser lui-même et de se vivre dans la singularité : dire "je suis moi-même", c'est dire "je ne suis pas un autre et j'assume la responsabilité de mon originalité". Mais, en même temps l'homme est aussi un être social qui subit l'influence des autres et on peut se demander si cela ne le conduit pas nécessairement au conformisme. Alors, les autres sont-ils l'obstacle qui m'empêche d'être ou au contraire le ferment de la constitution de soi ? La question est importante car sa réponse éclaire la définition classique d'Aristote : "l'homme est un animal politique" c'est à dire social. De prime abord il semble bien qu'on ne puisse être soi que dans la solitude qui nous préserve de l'influence d'autrui. Cependant placés dans une solitude absolue serions-nous vraiment capables d'être ? Si la réponse est négative, alors comment l'autre peut-il me constituer ?
2) Le développement.
Il sera directement rédigé sur la copie pour ne pas perdre de temps (seul le plan est noté au brouillon).
Chaque partie doit comporter une petite introduction d'une ou deux phrases où l'on annonce ce qu'on va démontrer ou ce dont on va débattre et une petite conclusion où l'on résume les acquis.
On veillera aussi aux transitions qui se situent soit à la fin de la partie qui s'achève, soit au début de la parie qui commence mais non "quelque part entre deux". Vous y prêterez la plus grande attention car c'est un point délicat et il n'est pas facile de faire de bonnes transitions. La transition doit indiquer au lecteur comment on passe d'une idée à l'autre et quel est le lien logique entre vos deux idées (conséquence, opposition, nuance etc.). Elle met en lumière l'ordre de vos idées.
A l'intérieur de vos paragraphes, quelques règles doivent être respectées :
3) La conclusion.
Comme l'introduction, elle sera particulièrement soignée et doit être rédigée d'abord au brouillon.
Elle doit être concise et ne constitue nullement une partie supplémentaire de votre devoir. Il n'est pas question d'y développer une idée concernant le sujet et n'ayant pas trouvé sa place dans le développement. Il ne faut pas non plus répéter en détail tout ce qu'on a déjà dit. Une conclusion comporte deux éléments :
Ouf ! Nous en avons terminé. J'espère que toutes ces recommandations n'effraient pas les futurs candidats au baccalauréat. Souvenez-vous, en tout état de cause, que la dissertation est un apprentissage qui suppose avant tout du travail. Vos professeurs n'y sont pas non plus arrivés du premier coup mais ils se sont "accrochés". Pour ceux qui ont du mal, sachez qu'un jour ou l'autre se produit le "déclic" qui rend l'exercice plus facile. La seule condition est de ne pas se décourager.
Si vous le désirez, vous pouvez maintenant télécharger le corrigé complet de notre sujet. Le fichier est au format Word 6.
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