Hegel et Marx, deux conceptions opposées de la politique


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Plan

I Hegel, la société civile et l'Etat
II Marx et la lutte des classes
III L'apport de Lénine

Pour ne pas sombrer dans l'utopie, il faut considérer l'État réel et l'État réel c'est l'État historique. L'histoire engendre des groupes sociaux. L'État moderne, l'État tel qu'il est, dans sa situation concrète et historique, voilà ce que nous devons analyser. Hegel et Marx ont tous deux cette exigence en commun. Mais une différence profonde les oppose : l'hégélianisme est une philosophie post révolutionnaire qui réfléchit sur une révolution passée (celle de 1789) et Hegel ne croit pas à l'efficience de la philosophie politique (image de la chouette de Minerve) La philosophie marxiste se veut au contraire une philosophie révolutionnaire : s'il est vrai que jusque alors les philosophes n'ont fait que transformer le monde, il s'agit maintenant de le transformer.

I Hegel, la société civile et l'État

A) État et raison

Le projet de Hegel : Hegel réfléchit après la révolution française soit après l'aboutissement du rousseauisme. Le contrat social correspond à la constitution de la République de l'An 1. Or cette constitution n'a jamais été appliquée. Peut-être parce que ce n'était pas possible. Il faut en tirer la leçon. C'est ce que tente Hegel.
L'apport de Rousseau : Pour Hegel, Rousseau a parfaitement vu l'essence de l'homme c'est-à-dire la volonté. L'homme est volonté pensante c'est-à-dire liberté. Le fondement du corps social est la volonté générale, indivisible et inaliénable. Ce qui se réalise doit être l'émanation de la volonté. Chaque volonté s'élevant à la volonté générale devient la volonté d'un citoyen et non plus d'un homme privé. La société est l'œuvre de tous. Cette volonté est réellement universelle. Elle est la liberté absolue et le peuple se connaît immédiatement dans la loi. L'homme doit donc être citoyen.
Ce que n'a pas vu Rousseau : Mais une société c'est aussi des corps constitués, des groupes sociaux, des corporations. Il y a des États dans l'État. Or, pour Rousseau ces divisions n'ont pas de raison d'être. Elles expriment l'aliénation de la volonté. C'est pourquoi elles doivent disparaître et à leur place doit surgir la volonté singulière et universelle. Négation des groupes au profit de l'identité entre volonté particulière et universelle. C'est la liberté absolue.
Cette thèse est celle de la Révolution française et elle aboutit à un échec ou plutôt à la terreur. La liberté ou la mort ? Rousseau n'écrit-il pas qu'il faut forcer l'homme à être libre ? La liberté ou la mort, on les a pris au mot. C'est la terreur. Si l'homme, volonté universelle, se pense dans l'État il ne reste plus qu'un universel abstrait (et donc négatif). Les groupes sociaux disparaissent et à leur place la nation apparaît une et indivisible. La volonté générale comme absolue s'oppose à la poussière atomique des individus. Entre les deux, il n'y a rien. quiconque s'oppose est suspect. Il ne reste que la mort. Le gouvernement est la faction victorieuse et si le gouvernement est toujours capable, la masse inopérante est toujours suspecte. Cette terreur de la masse est l'aboutissement de la liberté absolue qui vient de ne pas avoir tenu assez compte des groupes sociaux. Il faut donc partir de l'analyse de la société civile. La pensée politique de Hegel veut être une pensée de la politique réelle. Toute politique qui se donnerait comme extérieure et supérieure est condamnée par Hegel car elle est abstraction (refus de l'utopie) Séparer philosophie et politique, c'est abandonner la réalisation de la raison : nous avons un simple discours de plus sur l'État. Il s'agit de chercher quels sont les fondements de la politique. Il faut éviter le « pseudo universel » formel opposé à la réalité. Philosopher sur l'État c'est philosopher contre l'État. Pour le dire autrement toute philosophie exprime nécessairement son temps. Il ne s'agit pas de dresser le plan de l'État idéal, d'opposer ce qui devrait être à ce qui est. Il s'agit au contraire de penser l'État moderne tel qu'il est.

Pour être compris l'État moderne exige la prise en compte de deux éléments de l'histoire :

L'État moderne est post révolutionnaire. La révolution est la réalisation de la liberté. Elle tente de réaliser la liberté et non plus par « ruse de la raison » mais de façon consciente et volontaire. La libre volonté veut la libre volonté. C'est consciemment que les hommes veulent la liberté (cf. déclaration des droits de l'homme)
L'État moderne est différent des formes politiques précédentes. Il réalise la liberté au niveau de l'esprit subjectif. L'histoire ne peut faire surgir un sens nouveau de l'État (celui-ci est trouvé et c'est la liberté- ce sens entre dans l'éternité de la vérité). Elle ne peut plus que réaliser cette idée. Il faut réaliser l'État libre. La philosophie politique de Hegel se pense comme conscience de soi de la politique moderne et en cela entre dans l'absolu. L'analyse de l'État moderne est post révolutionnaire. L'existence de la révolution française change tout. Hegel veut conceptualiser ce qui a été manqué. La réalisation de la liberté la révolution a eu l'avantage de la poser. Cependant elle ne l'a pas réalisée. Elle a fait surgir un sens nouveau de l'État. Dès lors la philosophie doit penser comment réaliser ce sens nouveau car c'est la seule chose qui reste à faire. Le philosophe n'a pas à créer de sens nouveau. Il doit penser comment se réalise ou ne se réalise pas cette liberté concrète. C'est en cela que la politique de Hegel peut se présenter comme absolue.
La continuité de l'histoire du monde n'existe plus. Ce qu'il y a d'historique, de nouveau dans la Révolution française c'est l'événement (et Rousseau le repousse) de la société civile industrielle moderne centrée sur le travail.
La société civile du travail. Dans la philosophie du droit, la société civile est devenue le centre de la vie politique. Opposition entre l'État et la société civile. Celle-ci est le monde du travail, de la production, le lieu des groupes sociaux.
Rousseau n'a pas vu cette opposition. Dans le Contrat social est posé le problème politique et c'est tout. Rejet des problèmes économiques.

Mais pour rentrer plus précisément dans la philosophie politique hégélienne il est bon de retracer le chemin hégélien. L'essentiel de la philosophie politique hégélienne se situe dans les Principes de la philosophie du droit dont nous allons très rapidement retracer l'itinéraire.

Dans les Principes de la philosophie du Droit, l'analyse part de la liberté et donc de la volonté.

1) Le droit abstrait
La loi est l'œuvre première, fondamentale, du libre vouloir. Elle n'est pas une contrainte extérieure mais ce moment où la liberté se veut elle-même. Il ne faut pas oublier que Hegel réfléchit à partir des idées de la révolution française et du destin des idées de Rousseau.
Au contraire de Kant, Hegel ne parle pas de devoir mais de droit. Le droit existe, la morale a à être et est donc seconde. Le droit est le lieu de l'universalité au sens où la loi est valable pour tous. La volonté se donne un contenu c'est à dire un but à réaliser. La liberté n'est liberté que si elle rencontre un contenu :

L'injustice se présente elle-même sous trois formes :

Se pose alors la question du châtiment et de la légitimité juridique de la peine. Nous cherchons spontanément à établir une équivalence entre le crime et le châtiment et les paradoxes viennent de là. Par exemple, qu'y a-t-il de plus grave ? Voler une voiture ou voler de l'argent ? Comment établir des équivalences ?
Pour Hegel, il ne peut y avoir ni une moralisation ni une sacralisation de la peine. Le droit abstrait n'est ni la sphère de la morale, ni celle de la religion. La morale parle de faute, la religion de péché, alors que le droit parle de crime. Nous ne sommes pas dans le même domaine. La fonction de la peine doit être comprise : le crime est une violation du droit et la peine a pour fonction de rétablir le droit. On remarquera ici un bon exemple de la dialectique hégélienne : la loi s'affirme (affirmation), le crime la nie (négation), le châtiment nie le crime et rétablit le droit (négation de la négation). L'injustice est la négativité première qui détruit le droit. C'est la violation du droit comme droit et la peine est au fond le droit du criminel. Imposer une peine à un criminel, c'est lui faire l'honneur de le considérer comme l'être raisonnable que, certes, il n'a pas été, mais qu'il devait être. La peine vise à rétablir par la contrainte le droit violé.
Il se peut que dans la conscience de l'homme naisse un nouveau principe de justice, l'idée d'une justice dénuée de subjectivité, de contingence, d'une justice universelle. Cette nouvelle sphère est celle de la morale car si le droit n'est pas la morale, il y prépare.

2) La morale
La morale est d'abord subjective, ce qui correspond en gros à la moralité kantienne. Kant a eu le mérite de partir de la libre volonté.
a) La moralité subjective :

Tout ceci suit la moralité kantienne. Mais, selon Hegel, celle-ci se heurte à des impasses. Le pur moralisme est inefficace. La morale doit être vécue au niveau de la communauté. Il faut passer de la moralité subjective à la moralité objective.
b) La moralité objective.
Celle-ci se réalise au niveau des trois sphères suivantes :

Ce sont les trois lieux où la morale s'effectue concrètement, où se réalise le libre vouloir.
La société civile est le monde du travail, de la production. C'est la sphère économique, le lieu du besoin. La liberté ici chute au niveau de la nature. D'une certaine façon la liberté s'y réalise car l'homme y vaut parce qu'il est homme et non parce qu'il serait catholique ou juif etc. et si chacun travaille pour lui-même, le résultat est universel puisque se constitue une fortune publique, nationale. Mais c'est aussi le lieu de la nécessité (il faut travailler pour vivre) et aussi du conflit et des contradictions. La société du besoin ne peut fonctionner que si elle repose sur un besoin indéfini. Il se produit une différenciation des groupes sociaux qui sont en opposition. La société moderne produit un groupe social qui perd le sentiment du droit et de la légitimité et donne la possession dans les mains d'une classe de la totalité des richesses. Le pauvre comprend que son travail n'a ni sens, ni utilité. La richesse des uns se réalise à partir de la pauvreté des autres. Il faut trouver des débouchés donc de nouveaux territoires (cf chez Marx colonialisme et chez Lénine impérialisme) recherche du gain. Perte de l'éthique. L'ordre des choses apparaît comme un jeu formel, mécanique des intérêts particuliers. Les fins sont occultées. L'homme du travail ne suit que son intérêt particulier et la société ne sait plus quelle fin elle poursuit. La société civile est à la fois nécessaire et insensée.
Au-delà de cette rechute de la liberté dans la nature, il faut donc un lieu qui permette de réaliser l'éthique, qui permette de réconcilier les groupes : c'est l'État. Pour Hegel, l'État est la sphère où se règlent les conflits. L'État doit mettre fin aux contradictions et a donc un rôle d'arbitre. Il réalise la morale, la raison et la liberté. Il réalise la morale car le droit de l'individu ne peut se réaliser que dans une organisation supra individuelle. Il réalise la raison parce qu'il parle universellement pour tous. Il réalise la liberté car l'homme ne peut être libre que dans et par l'État ( la pensée hégélienne est post révolutionnaire et il fait sienne la déclaration des droits de l'homme et du citoyen). L'État a donc pour but de mettre fin aux conflits. Certes, il se peut qu'il ne réalise pas ce but mais cela signifie que l'histoire continue et que ce sens de l'État qu'ont formulé les révolutionnaires français reste à réaliser. L'histoire n'est pas finie.

B) Grand homme et initiative historique.

Platon et Rouseau considéraient l'État comme arrêt de l'histoire ou même allaient au rebours de l'histoire. Ainsi pour Platon, il s'agissait de réaliser la cité harmonieuse qui met fin au déroulement hasardeux de l'histoire. Pour Rousseau aussi il s'agissait d'arrêter l'histoire en évitant la création de groupes sociaux.
Hegel montre au contraire que la politique ne consiste pas à arrêter l'histoire mais à saisir le mouvement de l'histoire, à lui donner un sens, à faire passer dans les institutions les principes nouveaux. Il faut comprendre les principes nouveaux qu'exigent les temps nouveaux. Il y a un devenir historique et il s'agit de le réaliser.
Hegel est le premier non à traiter de l'histoire (cf. Montesquieu, Kant) mais à voir que l'histoire ce sont les peuples, les États. L'histoire se réalise dans les peuples. C'est cela qui est concret. Il n'y a pas d'histoire en dehors des États.
Le rôle du grand homme est de saisir le mouvement historique, de le réaliser. Il faut comprendre le mouvement historique.
Or qu'est-ce que nous apprend la pensée sur l'histoire ? l'histoire est rationnelle. On peut penser l'histoire par la raison. Ce n'est pas seulement un chaos. L'histoire est pensable, sensée. Il n'y a certes pas de raison antérieure à l'histoire, pas de logos qui puisse prescrire son sens à l'histoire. Celui-ci n'apparaît qu'après. Il n'y a pas d'esprit au début mais à la fin. L'homme a rendu sensé le monde qu'il habite. Le but de l'histoire est de rendre réel la liberté. Dire qu'il y a un sens de l'histoire avant l'histoire, c'est nier la liberté. Le sens de l'histoire n'est pas à venir mais est rétrospectif. A un certain moment l'homme cherche à comprendre ce qui a été et non à anticiper ce qui sera. Or il n'y a pas d'autre but à la liberté que la liberté elle-même. Le sens de l'histoire est la réalisation de la liberté. (Précisez ce que signifie exactement le progrès de la liberté, de la raison et de la morale chez Hegel)
Comment la liberté se réalise-t-elle ? Par quels moyens ? Rien ne peut se faire dans le monde sans la passion des hommes, sans que les hommes n'y participent. Les hommes cherchent ce qui les satisfait et aucune action n'est faite sans intérêt. Pourtant c'est la liberté qui se réalise. C'est ce que Hegel appelle la ruse de la raison. La ruse de la raison c'est ce processus par lequel la raison réalise ses fins en utilisant son contraire qui est la passion (c'est-à-dire chez Hegel l'intérêt égoïste). Par exemple, par ambition Napoléon s'empare de presque toute l'Europe. C'est une dictature. Mais ceci permet aux conquêtes de la Révolution française de se répandre dans toute l'Europe. La liberté progresse par la dictature et la passion du pouvoir : ruse de la raison.
Les grands hommes saisissent l'universel supérieur et en font leur but. Ce sont eux qui réalisent le but de l'histoire. Le rôle des grands hommes pour Hegel est de comprendre ce que les hommes ne comprennent pas, ce à quoi tous les hommes aspirent. À un moment donné, il y a une sorte d'expérience confuse. Le propre du grand homme est de comprendre ce que les autres ressentent inconsciemment.
Lorsque l'on dit « il faut que ça change », le grand homme est celui qui réalisera ce qui est l'objet de l'attente des autres hommes inconsciemment. Le grand homme comprend le mouvement de l'histoire et le réalise. Ce qui est souhaité par les hommes est réalisé par un homme. Les individus connaissent leur époque. Ils connaissent le nouvel universel où est parvenu le monde et en font leur monde. Ils sont devenus l'organe de l'esprit du temps, de l'esprit du peuple.
Les individus historiques sont les agents du but qui constituent une étape dans la réalisation de la liberté. Ils veulent l'universel. Ils ont puisé en eux-mêmes. La compétence politique n'est pas une sagesse, un savoir, ni un art (c'est-à-dire une appréciation des conditions) mais elle consiste à connaître le mouvement de l'histoire et à tenter de le réaliser.

Pour en savoir plus :
La raison dans l'histoire
Principes de la philosophie du droit

ANNEXE 1

« L'État, comme réalité en acte de la volonté substantielle, réalité qu'elle reçoit dans la conscience particulière de soi universalisée, est le rationnel en soi et pour soi : cette unité substantielle est un but propre absolu, immobile, dans lequel la liberté obtient sa valeur suprême, et ainsi ce but final a un droit souverain vis-à-vis des individus dont le plus haut devoir est d'être membres de l'État. Si on confond l'État avec la société civile et si on le destine à la sécurité et à la protection de la propriété et de la liberté personnelles, l'intérêt des individus en tant que tels est le but suprême en vue duquel ils sont rassemblés et il en résulte qu'il est facultatif d'être membre de l'État. Mais sa relation à l'individu est tout autre; s'il est l'esprit objectif, alors l'individu lui-même n'a d'objectivité, de vérité et de moralité que s'il en est un membre. L'association en tant que telle est elle-même le vrai contenu et le vrai but, et la destination des individus est de mener une vie collective; et leur autre satisfaction, leur activité et les modalités de leur conduite ont cet acte substantiel et universel comme point de départ et comme résultat. »

HEGEL (Principes de la philosophie du droit)

II Marx et la lutte des classes

Le matérialisme dialectique correspond à la philosophie marxiste quand le matérialisme historique, lui, se veut une science de l'histoire.
Qu'est-ce que le matérialisme ? Il s'agit d'une posture philosophique qui affirme le primat de la matière sur l'idée.

Dans l'histoire, deux courants de pensée s'opposent :

Marx considère qu'il s'agit de deux positions inconciliables correspondant à deux camps opposés (des positions de classe). Matière chez Marx : pas seulement les choses mais aussi la pratique. Croire qu'on va résoudre les problèmes en discutant autour d'une table (comme l'espère Raffarin) c'est de l'idéalisme. Croire qu'on ne l'emportera que par la lutte, le rapport de force, c'est matérialiste.
A proprement parler, la philosophie marxiste est le matérialisme dialectique qui se présente comme une conception de la connaissance. Le matérialisme historique se présente, lui, comme une théorie scientifique de l'histoire.
Il y a donc trois volets à la théorie marxiste 

:

A) le matérialisme dialectique.

Marx retient de Hegel l'affirmation que seule une approche dialectique peut permettre de cerner le réel. On ne peut comprendre et saisir la vérité qu'en unifiant les opposés (thèse / antithèse / synthèse). Mais encore faut-il bien voir (et c'est en cela que Marx, contrairement à Hegel est matérialiste) que les contradictions de la pensée humaine ont aussi leur source dans le réel objectif. La vérité n'existe pas toute faite avant l'effort humain pour la comprendre. Il y a des conditions concrètes de la recherche de la vérité. Il faut saisir dans le réel les aspects contradictoires et trouver leur unité c'est à dire l'ensemble de leur mouvement. On analyse la réalité, y découvrant des éléments contradictoires (prolétariat / bourgeoisie, être / néant etc.) puis on opère une synthèse de ces éléments qui permet de saisir le mouvement et la vie.
Le matérialisme dialectique se résume en cinq thèses :

B) le matérialisme historique.

1) Marx, critique de Hegel
Marx et Engels reconnaissent à Hegel le grand mérite d'avoir représenté la totalité du monde naturel, historique et spirituel comme un processus c'est à dire un mouvement, un changement, un développement incessant et d'avoir aussi tenté de démontrer la connexion intime dans ce mouvement et dans ce développement. De plus, la problématique de l'histoire chez Marx est très proche de celle de Hegel. Pas plus pour l'un que pour l'autre l'expérience ne peut être lue directement. Il y a un sens caché à découvrir et il faut distinguer l'histoire vraie de l'histoire apparente. Pour Marx aussi, c'est à l'aide d'abstractions, de concepts, qu'il sera possible de reconstituer l'objet à connaître.
D'autre part, Marx a tenu à affirmer qu'il n'avait découvert ni l'existence des classes sociales ni la lutte des classes et, effectivement, ces notions se trouvent avant lui chez les économistes bourgeois.
Pourtant, Marx a élaboré une science nouvelle. Tout d'abord, la méthode de Marx est radicalement opposée à celle de Hegel Quand pour Hegel, c'est l'Idée qui se réalise dans l'histoire, qui est même le moteur de l'histoire, pour Marx au contraire, l'idée n'est que le produit du vrai moteur de l'histoire qu'est la base matérielle c'est à dire la base économique et sociale. Autrement dit, si Hegel fait de l'Idée ce qui produit, fait évoluer la réalité matérielle, pour Marx au contraire la raison est le résultat de la base matérielle. " Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être social, c'est leur être social qui détermine la conscience des hommes "
Pour comprendre l'histoire il faut d'abord définir cette base matérielle.
Marx formulera deux critiques essentielles à la conception politique de Hegel :

Le matérialisme historique a pour objet l'ensemble des modes de production apparus (et à paraître) dans l'histoire, leur fonctionnement et les formes de transition qui font passer d'un mode de production à un autre. La théorie du Capital se veut donc scientifique. Elle exprime la connaissance nécessaire au prolétariat pour en faire usage dans une transformation pratique.

2) L'apport de Marx
a) la lutte des classes
Le Manifeste du parti communiste affirme que « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte des classes. Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs, maîtres de jurande et compagnons, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société toute entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. »

On appelle classe sociale un ensemble de gens qui dans la production jouent un rôle similaire, sont à l'égard d'autres hommes dans des rapports identiques. Le concept de classe est donc chez Marx un concept strictement économique (différent de Bourdieu par exemple)
Exemple : en tant qu'ils sont tous propriétaires de l'appareil de production, les capitalistes (la bourgeoisie) constituent une classe. En tant qu'ils n'ont rien et qu'ils doivent vendre leur force de travail à ceux qui possèdent, les ouvriers (le prolétariat) constituent eux aussi une classe sociale. Le prolétariat n'est donc pas constitué de n'importe quel salariés mais de ceux qui produisent la plus value.

Ce qui caractérise les classes sociales est que leurs intérêts sont le plus souvent antagonistes c'est à dire que les classes sociales ont des intérêts radicalement opposés tels que, si l'une satisfait ses intérêts, elle le fera au détriment de l'autre.. Par exemple, l'intérêt du capitalisme est de baisser les salaires ou d'augmenter la productivité du travail. L'intérêt de l'ouvrier est exactement inverse. Cette opposition d'intérêt conduit directement à la lutte des classes.

b) Le mode de production
Selon Marx, toute société se définit par ce qu'il appelle son mode de production (les marxistes parleront plus tard d'infrastructure socio-économique) qui se définit lui-même par deux éléments :

À partir de là, il est possible de définir cinq modes de production :

c) la théorie de l'histoire
Chaque mode de production détermine les superstructures d'une société c'est à dire à la fois ses institutions mais aussi ses productions intellectuelles, mentales que Marx appelle les idéologies.
Nous avons dit que l'état des forces productives détermine les rapports de production. Mais ces forces productives ne sont pas statiques. Elles évoluent ne serait-ce que par ce qu'il existe un progrès scientifique et technique. Or les rapports de production ont tendance au contraire à ne pas bouger, à être statiques. On comprend que la classe dominante veut rester dominante.

Les forces productives vont donc nécessairement entrer un jour en contradiction avec les rapports de production et aussi les superstructures qui tendent toujours à maintenir le régime en place. Dès lors les forces productives ne peuvent plus évoluer. Elles sont bloquées. C'est cette contradiction qui explique selon Marx les crises économiques.

Comment résoudre la contradiction ? La seule solution est de changer les rapports de production ce qui correspond exactement à ce que Marx appelle une révolution (celle-ci peut donc être pacifique comme le fut le passage du mode de production antique au mode de production féodal). Lors d'une révolution, la classe dominée (révolutionnaire) devient classe dominante. La bourgeoisie fut une authentique classe révolutionnaire lors du passage du système féodal au système capitaliste.

d) Et l'avenir ?
Pour Marx, nous vivons à l'heure des contradictions entre les forces productives du mode de production capitaliste et les rapports de production de cette société c'est à dire que le régime de propriété privée des moyens de production et du profit (qui est aussi pour le prolétariat le régime de l'exploitation et de l'aliénation) est en contradiction avec lui même (baisse tendancielle du taux de profit…)
Or, pour la première fois, changer les rapports de production ce sera supprimer les rapports de classe. La classe dominée est actuellement le prolétariat. C'est donc le prolétariat qui doit prendre le pouvoir. Il doit d'abord prendre le pouvoir politiquement. Cette phase est dite de " dictature du prolétariat ". Il ne faut pas se méprendre sur cette expression. Pour Marx tout État est l'instrument politique de domination d'une classe déjà économiquement dominante. Par exemple l'État actuel est l'instrument qui conforte politiquement la domination économique de la bourgeoisie. C'est donc la " dictature de la bourgeoisie ", ce qui n'exclut nullement des institutions de type démocratique.
La dictature du prolétariat est donc la phase où le prolétariat s'érige en classe politiquement dominante. Cette classe doit alors réaliser l'appropriation collective des moyens de production c'est à dire que les usines, les propriétés agricoles etc. deviennent un bien commun et non plus la propriété de quelques-uns. Durant cette étape, le mode de production est socialiste. Il fonctionne selon la formule " A chacun selon ses mérites " c'est à dire que celui qui travaille le plus doit être payé davantage. L'économie d'échange avec monnaie demeure. Quand l'appropriation des moyens de production par la collectivité est terminée, les rapports de classe disparaissent puisque tout le monde étant dans le même rapport à l'appareil de production (celui de propriétaire) il n'existe plus qu'une seule classe sociale, celle des propriétaires collectifs. L'État, qui avait pour fonction d'assurer la domination d'une classe sur une autre n'a plus de raison d'être. Il dépérit (ce qui n'exclut bien sûr nullement l'existence de lois et d'institutions politiques) et commence l'ère du communisme où les individus gèrent ensemble le bien public et reçoivent les fruits du travail selon la formule " A chacun selon ses besoins ". Le communisme n'est plus une société d'échange mais de redistribution des biens et on peut donc abolir la monnaie. À vrai dire Marx dit peu de choses de cette société du futur car ce sera aux hommes de l'organiser (c'est conforme au matérialisme).

On voit que Marx ne se contente pas d'interpréter l'histoire. Il en tire des règles d'action pour transformer le monde. La connaissance de l'histoire n'est pas une recherche purement intellectuelle mais ce qui rend possible la stratégie et la tactique d'une action politique. Toute action politique qui ne se fonde pas sur une connaissance historique est vouée à l'échec. C'est la définition marxiste de l'utopie. L'utopie est une théorie qui oublie l'histoire, énonce les plans de la société idéale sans théoriser son enracinement dans l'histoire, la façon d'y parvenir. Le marxisme, tout au contraire, se veut une théorie de l'histoire qui éclaire l'action future.

Il y a chez Marx, la conception d'une histoire qui inclut la finalité sans intentionnalité. L'histoire ne poursuit pas de but mais les événements sont le produit de mécanismes dont l'historien doit dégager les lois. L'histoire va certes vers un point (le communisme) mais ne tend pas vers ce point car il n'y a pas d'intention mais une simple nécessité (un peu comme il est nécessaire qu'une pierre vouée aux lois de la pesanteur tombe, sans qu'elle en ait pour autant l'intention). Le rôle des hommes n'est pas de changer le sens de l'histoire qui est déterminé mais seulement de l'accélérer. Tel est le sens de l'action politique : aller dans le sens de l'histoire et tant mieux si ce sens est bénéfique. S'il ne l'était pas nous n'y pourrions rien. La conception de l'histoire chez Marx montre que c'est en fin de compte la lutte des classes qui est le moteur de l'histoire ou plus exactement le mode de production. Ce mode de production détermine la conscience, les idées des hommes. C'est la qu'intervient le concept d'idéologie.

e) Le concept d'idéologie
Est idéologique, au sens marxiste, tout système de pensée qui a des racines socio-économiques inconscientes. Ainsi les phénomènes économiques peuvent se traduire dans les idées des hommes sans que ceux-ci le sachent. Le penseur croit développer ses pensées de façon autonome. Il croit être maître de ses pensées quand il ne fait que refléter une certaine situation historique et économique.
Il faut souligner que l'idéologie a une fonction de classe. Elle traduit, sans le savoir, les intérêts d'une classe sociale et est donc partiale. Comme les penseurs se sont longtemps recrutés dans les classes dominantes, la philosophie développe largement les intérêts de la classe dominante. En termes marxistes elle est une idéologie de classe dominante. Par exemple, le mépris de la pensée antique vis à vis de la technique au profit du savoir désintéressé ne serait que la transposition idéologique de la division de la société antique en maîtres (ceux qui disposent du loisir philosophique et pensent) et esclaves (ceux qui travaillent). En théorisant l'utile comme servile et méprisable (Aristote disait que la noblesse des mathématiques est de ne servir à rien), on ne ferait que conforter le système de l'esclavage. Il apparaît en effet dans cette idéologie que l'esclave est méprisable par son activité. L'idéologie de classe dominante conforte le système en place, se met à son service.
L'exemple de la critique marxiste de la religion nous fera mieux comprendre ce qu'est l'idéologie. La religion chrétienne ne naît pas au hasard. C'est d'abord la religion des pauvres dans le cadre de la décadence romaine. Elle est donc à ses débuts une idéologie de classe dominée. En imaginant un paradis après la mort, elle apparaît à la fois comme une protestation contre la misère réelle mais aussi bientôt comme sa légitimation (et en cela elle devient idéologie de classe dominante). En effet, en espérant un bonheur après la mort (qu'en matérialiste Marx considère comme illusoire) on ne cherche plus le bonheur sur terre. On ne cherche plus à changer l'ordre social. C'est le sens de la célèbre formule " La religion est l'opium du peuple ". Avec la religion, on fait croire au peuple que son malheur sur terre est un bien et une promesse de salut. Les Écritures insistent sur l'idée qu'une vie de souffrance est promesse de salut.
Mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette analyse. Rien ne sert d'interdire autoritairement la croyance et la pratique religieuse. Pour détruire l'illusion, il faut mettre fin à un état qui a besoin d'illusions. C'est la racine de l'idéologie, sa source, c'est à dire le mode de production qui l'engendre qu'il s'agit de combattre.

Il faut bien voir que tout produit culturel n'est pas nécessairement idéologique. Marx remarque, par exemple, qu'on peut toujours admirer l'art antique alors même que la société esclavagiste n'existe plus. De même on sait combien fut ridicule et dangereuse l'interprétation stalinienne qui voulait faire de la science une idéologie et opposer à la science dite bourgeoise une science prolétarienne. Il n'en reste pas moins vrai qu'aux yeux de Marx la science a des conditions historiques d'apparition car " L'humanité ne se pose jamais que les problèmes qu'elle peut résoudre ". Lorsque surgit le problème, les conditions matérielles et intellectuelles de sa solution sont déjà, présentes.

Il faut bien voir aussi que l'action réciproque entre infrastructure économique et superstructure idéologique est complexe. Les idées aussi agissent sur le mode de production (sinon quel sens aurait la constitution d'un parti politique ?). De plus chaque type de superstructure agit dans son propre domaine : la philosophie influe sur la philosophie à venir, le droit sur le droit à venir etc. De même chaque superstructure agit sur les autres (la religion sur l'art, l'art sur la philosophie etc.). Cependant les conditions socio-économiques sont déterminantes c'est à dire qu'elles constituent l'instance prépondérante qui, en dernière analyse, modifie les autres. Ceci est si vrai que, dans une situation historique donnée, il n'y a pas de volonté collective qui s'exprime mais des efforts individuels dont chacun, pris isolément, est un hasard mais qui, en fin de compte, vont réaliser la nécessité économique. Les grands hommes eux-mêmes sont le fait du hasard. Napoléon fut le dictateur dont la République épuisée par la guerre avait besoin mais, faute de celui-ci, un autre aurait joué le même rôle et cela est si vrai que, chaque fois qu'on eut besoin d'un homme exceptionnel, on le trouva (preuve qu'il n'avait en fait rien d'exceptionnel). On retrouve donc toujours la primauté de la sphère socio-économique. Les hommes ont une petite marge de liberté mais ils n'agiraient pas de façon identique dans un autre contexte social. Ainsi le peintre Delacroix, s'il naissait aujourd'hui, peindrait dans un tout autre style et si Marx était né au XVII° s. il n'aurait pas écrit Le Capital. Mais un autre que lui aurait développé des thèses proches. Le spirituel n'a pas de réalité autonome

La sphère politique fait partie des infrastructures. Le droit est une idéologie. Il vise à l'intérêt économique de la classe dominante. Par exemple ; dire que tous les hommes sont libres et égaux en droit permet de faire croire qu'il existe un libre contrat entre le salarié et l'employeur. Tous deux apparaissent comme des partenaires égaux, ce qui dissimule l'inégalité du contrat. Politique et droit ne sont donc pas autonomes.
Question : si l'histoire est déterminé, est-il encore nécessaire d'agir. L'histoire n'ira-t-elle pas toute seule vers le communisme ? Pas si simple !
Pour Marx on peut freiner l'histoire (rôle de l'idéologie de classe dominante) ou l'accélérer. Il faut que les masses aient une conscience juste de leur situation . certes le prolétariat est compétent politiquement en lui-même car il n'a rien à perdre et tout à gagner. Mais cela ne suffit pas. Il lui faut une conscience de classe. Cette conscience peut être confuse, s'égarer. Voilà pourquoi les intellectuels ont un rôle à jouer (Marx lui-même est un intellectuel d'origine bourgeoise). Rôle idéologique des media. Bref, il faut que la classe ouvrière s'organise politiquement et ceci au moyen d'un parti structuré, avant garde du prolétariat. Marx pense que le rôle du parti communiste est d'éclairer le prolétariat sur sa situation d'exploitation et sur son rôle révolutionnaire.

C) Introduction à l'économie marxiste

Objet de l'économie politique : étude des conditions et des formes dans lesquelles les différentes sociétés ont produit et échangé et dans lesquelles les produits sont échangés. Étude des lois objectives (indépendamment de la conscience des hommes). Il s'agit de comprendre par la pensée ce qui est donné par la sensation (ne pas se situer au plan des apparences). Étude à l'échelle sociale et non de l'individu.
Exemple : dans la première phase du capital, le plus visible est l'accumulation des marchandises. En conséquence, on commence par étudier la marchandise.

I Le mécanisme de l'exploitation capitaliste

1) La marchandise
Une marchandise est d'abord faite pour satisfaire le besoin humain. Elle doit donc être utile (quelque chose d'inutile n'est pas une marchandise). L'utilité correspond à ce qu'on appelle la valeur d'usage. La valeur d'usage résulte du travail concret, particulier, différent pour chaque marchandise. Par exemple, pour faire une montre utile, il faut le travail de l'horloger qui est un travail particulier (différent de celui du boucher, du cordonnier etc.)

Mais les marchandises sont aussi échangées. Un objet utile non échangé n'est pas une marchandise (par exemple les objets naturels comme l'air ou ce qu'on fabrique pour soi-même). La marchandise est liée au besoin social Les marchandises ont donc une valeur d'échange. Il faut ici trouver quelque chose de commun, qui se retrouve dans toute marchandise et permette de les comparer. Pourquoi par exemple une maison va-t-elle valoir plus qu'une voiture ? Pour comparer, il faut quelque chose de commun. Il faut donc faire abstraction de la marchandise particulière et donc du travail particulier (concret) qui l'a produit. Ce qu'il y a de commun est le travail en général. Toute marchandise est produit d'un travail (travail abstrait) La valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Pour déterminer la valeur d'une marchandise, il faut considérer tout le travail nécessaire depuis la matière première jusqu'à l'objet fini, à toutes les étapes de sa fabrication.
Exemple : Une table :

Il faut tenir compte d'une habilité moyenne des ouvriers, du niveau technique moyen, de l'intensité du travail moyen (c'est le sens de « socialement » dans notre définition - on parle de « temps de travail social moyen »). Par exemple la valeur du blé est la même dans toute la France même si les conditions sont différentes au sud et au nord. La valeur d'échange n'est pas déterminée une fois pour toute. Elle varie en fonction du développement des forces productives. Le machinisme va diminuer le temps de travail socialement nécessaire à la production. Les produits voient alors diminuer leur valeur d'échange.
Toute marchandise est vendue et achetée à sa valeur.

Mais différence entre la valeur et le prix. Le prix est l'expression monétaire (concrète) de la valeur d'échange (qui elle est abstraite). Loi du marché. Beaucoup de marchandises et peu d'acheteurs = baisse des prix (légèrement en dessous de la valeur). Si l'offre diminue et que la demande augmente, prix gonfle au-dessus de la valeur.

cf. Salaire, prix et profit

On ne peut jouer avec la valeur d'échange. On peut essayer avec le prix.

2) La force de travail.
« Le capitalisme, c'est la production marchande à son plus haut degré de développement, où la main d'œuvre elle-même devient marchandise » (Lénine)

Force de travail : ensemble des qualités physiques et intellectuelles que le travailleur met en œuvre pour produire des choses utiles. Énergie nerveuse, connaissances etc.

Le salarié va vendre sa force de travail au capitaliste. Il n'a que sa force de travail, qui n'est d'ailleurs qu'un potentiel tant qu'elle n'est pas utilisée. Mais c'est en la vendant qu'il va être exploité.
La force de travail est une marchandise. Comme toute marchandise elle a une valeur d'échange déterminée par le temps de travail social moyen nécessaire à sa production. Pour entretenir, maintenir sa force de travail, le salarié doit consommer des produits (nourriture, habillement, logement etc.). A l'usure musculaire et nerveuse, correspond les moyens appropriés : l'usure nerveuse, musculaire nécessite des produits pour la réparer.
La notion de vêtement, de logement, de nourriture varient d'un pays à l'autre. La notion de besoin est variable. Main d'œuvre étrangère : utiliser les pays où on a peu de besoins. Sauf que les cadences augmentent les besoins.
Cf. langage courant. Autrefois on disait « je vais gagner mon pain » Maintenant on dit « je vais gagner mon beefsteak ». Les besoins changent.
École obligatoire de Jules Ferry : besoin objectif de connaissance, de qualification professionnelle. Les frais professionnels entrent dans le calcul de la valeur de la force de travail. Besoins nouveaux. Cadences nécessitent du repos et donc un logement décent. Objectivement le travailleur ne peut plus vivre dans un taudis. Si la femme travaille, le réfrigérateur devient un besoin (on n'a pas le temps de faire tous les jours les courses) ainsi que la machine à laver etc.
Les besoins entraînent la prise de conscience des besoins qui entraînent des innovations techniques.
Ce n'est pas la télé qui produit le besoin. Dire que la publicité crée le besoin c'est avoir une position idéaliste (non marxiste)
Donc la valeur d'échange de la force de travail est déterminée par la valeur des objets indispensables pour produire, développer, conserver et perpétuer la force de travail. La somme d'argent qui permet de renouveler la force de travail n'est autre que le salaire.

Économistes antérieurs à Marx : le capitaliste possède un capital initial A. Il achète locaux, machines, matière première, énergie, force de travail (M).La production (P) aboutit à une marchandise (M') revendue à valeur A' :
A - M - P - M' - A'
Capital initial- production - marchandise produite - valeur de vente. Comment se fait-il que A' >  A. Si toutes les marchandises sont achetées à leur valeur, il est impossible que A' > A

II La formation et l'appropriation de la plus-value

1) La production de la plus-value et son appropriation.
La valeur d'usage de la force de travail est de créer de la valeur. Elle va créer plus de valeur qu'elle n'en consomme. L'ouvrier crée des marchandises, cristallise du travail dans la marchandise. Au bout d'un certain temps de travail, l'ouvrier a créé l'équivalent en valeur de ce qu'il reçoit comme salaire mais il continue à produire. Ce supplément, non payé, est accaparé par le capitaliste. Le capitaliste achète la force de travail (comme on achète une marchandise) et il s'en sert, comme une valeur d'usage. Il paye la valeur d'échange de la force de travail mais il se sert de la valeur d'usage de cette force.

La plus value est la valeur du surtravail. C'est ce surtravail qui est la seule source du profit (les profits boursiers proviennent aussi de la plus value). Il existe du travail non payé parce que ce n'est pas le travail qu'on paye mais la force de travail. Exploitation.

L'exploitation est masquée. Sur la fiche de paye, toutes les heures sont payées. Mais elles sont payées en-dessous de leur valeur.

C'est parce qu'il dispose des moyens de production que le capitaliste peut s'approprier du surtravail. Ce que les marxistes reprochent ce n'est pas l'existence du surtravail (l'homme est un être social qui doit aussi contribuer à la collectivité) mais l'appropriation privée de ce surtravail. En régime socialiste il y de la plus value mais qui redevient le bien de tout le monde.

2) les formes de la plus value

La logique du capital est d'augmenter le plus possible le surtravail (processus non conscient). Puisque la seule source de profit est la plus value, tout est fait pour l'augmenter.

Plus value absolue : est obtenue par l'intensification du travail.
Deux formes :

  1. Augmenter le temps de travail : journée de travail de 12 ou 14 heures. Travail des enfants. Pas de congé, ni de retraite : XIX° siècle. Mais lutte des classes pour abaisser le temps de travail, nécessité de la scolarisation (travail des enfants plus possibles) car la production, à cause de la mécanisation, nécessite aussi des connaissances vont rendre ce processus partiellement impossible. Remarquons néanmoins que le recul actuel de l'âge de la retraite ou la remise en cause des 35 heures procèdent de ce mécanisme.
  2. Pendant une journée de travail de 12 heures est créée une certaine valeur. Si on réduit la journée de travail et qu'on augmente la cadence, on a le même résultat qu'auparavant. Même si on réduit le temps de travail, la force de travail utilisée est la même.
    Même chose. La force de travail utilisée dans un cas comme dans l'autre est la même (valeur ne change pas). N'affecte pas la valeur de la marchandise produite : temps inférieur mais intensité de travail plus grande. Le temps de travail moyen reste le même (pas de niveau technique plus grand etc). Plus de valeur produite en un temps plus réduit. Force de travail s'use plus vite. Le salaire ne diminue pas mais des besoins de nouveau (cadences plus fortes) ne sont pas satisfaits et donc augmentation de la plus value.
    Taylorisme : augmentation de la plus value.

Plus value relative : introduction de moyens techniques nouveaux. Quand, à l'échelle sociale, les progrès touchent tout, la valeur de la force de travail diminue (la valeur des marchandises nécessaires à la satisfaction des besoins diminue - le capitaliste ne tient pas compte des besoins nouveaux). Donc la plus value augmente (souvent en même temps l'accélération des cadences et la compression du personnel augmentent aussi la plus value absolue). Diminution du travail nécessaire. Certes le salaire augmente mais moins vite que la plus value. Les besoins objectifs augmentent plus que les salaires.
Plus value absolue : augmentation du surtravail
Plus value relative : diminution du travail nécessaire.

Plus value extra : secret de fabrication. Ayant un secret de fabrication, le capitaliste peut abaisser le temps de travail tout en vendant au même prix (ou légèrement en dessous) du marché. La plus value extra est éphémère car quand tous les capitalistes ont le secret cette plus value n'existe plus.

L'exploitation capitaliste est un phénomène global où tous les éléments agissent les uns les autres.

3) Formes actuelles de l'exploitation.

L'exploitation est de plus en plus globale. Entreprises multinationales avec des centaines de milliers d'ouvriers.

Supermarchés : permettent augmentation de la plus value et de plus augmentent la vitesse du cycle marchand. Caissières surexploitées.

La fiscalité permet de drainer une partie de la valeur du travail non salarié (paysans…) qui revient aux entreprises sous la forme de subventions.

SMIG : décision prise non plus par l'entreprise mais par l'État

Crédits, épargne : fraction de salaire retourne à l'État

Salaires indirects (salaire socialisé) : allocations, Sécu. Part de paiement de la force de travail. Si on comprime cela, renforcement de l'exploitation.

III Les contradictions de la mise en valeur du capital

1) le développement de la contradiction force productive / rapport de production

a) Profit et accumulation
Le but du capital est le profit, profit qui n'a de sens que s'il est accumulé. Le profit a pour but l'accumulation du capital. Mais l'accumulation a lieu aussi pour le profit (dialectique). Logique du profit et de l'accumulation.
Dans la société pré-capitaliste :

M - A - M

On produit les marchandises (M) pour leur valeur d'usage et l'argent (A) est un simple intermédiaire.

À un moment, la production permet la spécialisation de la production. On passe d'une production pour le besoin à une production pour accumuler. La formule devient :

A - M - A' avec A' >  A

Soit un capital initial (A) de 100 et un capital final (A') de 150. Au deuxième cycle, le capital de départ sera plus important. Une part du profit réalisé dans le cycle précédent s'intègre dans le capital initial.

Reproduction élargie du capital mais en même temps reproduction élargie de l'exploitation (expropriation des petits producteurs, salarisation) L'accumulation du capital est aussi concentration du capital. Adjonction d'une partie du profit au capital initial. Centralisation du capital. Les capitalistes plus faibles sont dépossédés au profit des plus puissants. Concentration du capital.
Tendance à la centralisation du capital mais en même temps tendance à son éclatement : sociétés par actions, nombreux porteurs d'action. Le poids des décisions de quelques firmes est de plus en plus important même si de plus en plus d'actionnaires dans ces entreprises. Double mouvement. Différenciation s'opère dans la bourgeoisie capitaliste.
Les monopoles se développent mais ils sont en même temps la négation du capitalisme de libre concurrence en portant la concurrence à un développement supérieur. La plus value empochée par le commerce (bénéfice) et la finance (intérêt) est prise sur la plus value produite par les prolétaires. Vrai aussi pour les services. L'argent donné par exemple au coiffeur est un argent venu de la production. La concentration capitaliste suppose une extension du secteur commercial, bancaire : nécessité d'écouler les produits. Formation d'une oligarchie financière. Interpénétration des capitaux industriels, commerciaux et bancaires.
Le capital initial devient de plus en plus élevé au fur et à mesure des cycles. La concentration du capital est poussée de plus en plus et en même temps la prolétarisation est de plus en plus importante : reproduction élargie des rapports d'exploitation.

b) Progrès de la productivité dans la société capitaliste et tendance à la hausse de la composition organique du capital.
Les forces productives se développent avant le capitalisme et continueront à se développer après. On assiste à une modification de ce qu'on appelle la composition technique du capital qui varie en fonction du développement des forces productives (elles ne sont pas identiques pour produire une brouette ou le Concorde).

Composition technique du capital - Capital, III, 1

La composition technique du capital tend à augmenter. Cela signifie qu'il y a dans l'usine de plus en plus de machines et de moins en moins de monde. On parle de composition technique quand on parle de quantité.

Composition organique du capital. C'est toujours le rapport capital constant / capital variable, sauf qu'on ne parle plus en termes de quantité mais de valeur. Le capital constant croit plus vite. La concurrence fait que la tendance à ce que la quantité de machines mise en œuvre par un travailleur augmente. Donc tendance à l'élévation de la composition organique du capital. Résultats aussi des luttes. Par exemple, la lutte pour l'environnement entraîne l'obligation de matériels anti-polluants c'est-à-dire une augmentation du capital constant.
Si un nombre d'ouvriers donné met en valeur une quantité croissante d'instruments de production, l'accumulation entraîne une élimination relative du travail vivant. Diminution du nombre d'ouvriers. Productivité accrue entraîne une diminution relative du travail vivant.

Si le capitaliste économise sur le travail vivant, comme c'est celui-là qui produit la plus value, le capitaliste en retire moins. Il y a donc contradiction. L'extension des forces productives entraîne la diminution du travail vivant qui entraîne la diminution du profit (c'est donc le développement des forces productives qui entraîne la contradiction)

2) Éléments essentiels de la baisse tendancielle du taux de profit.

Taux général de profit moyen : rapport entre la masse de plus value et la masse de capitaux. Non déterminable en chiffre car des éléments nombreux interfèrent. La chimie par exemple a une composition organique supérieure à la composition organique de l'habillement.

Nous avons vu que la composition organique du capital a tendance à augmenter. Cela signifie que là où le taux d'exploitation est stable, le taux de profit tend à baisser. Certes, si on surexploite les travailleurs le taux de profit reste stable mais la lutte des classes l'empêche.

La baisse tendancielle du taux de profit moyen s'accompagne d'une tendance à l'égalisation du taux de profit. En effet, si dans une branche le taux de profit est supérieur à ce qui se passe dans une autre branche, tous les capitalistes vont vouloir produire dans cette branche (celle de faible composition organique) mais alors surproduction. Régulation nécessaire.
Dans la branche de composition organique élevée, la marchandise est écoulée au-dessus de sa valeur (peu d'offre) alors que dans la branche de composition organique moindre, la marchandise est écoulée en dessous de sa valeur (surproduction). Conforme à la loi de l'offre et de la demande. Ceci amène une régulation d'ailleurs aveugle.

Dans branche de forte composition organique une partie de la plus value produite par branche de faible composition organique est récupérée. (différence entre prix et valeur d'échange)

cc + cv + pm = prix
cc = partie de cc pour chaque produit : pm = profit moyen

3) Théorie de la suraccumulation - Dévalorisation du capital

a) La baisse du taux de profit moyen est tendancielle
Existence de contretendance. Mais dialectique. Chaque tendance va être une contretendance et chaque contretendance va être tendance.
Si on augmente le degré d'exploitation des travailleurs, on va compenser l'effet de la hausse de la composition organique. Élever le degré d'exploitation est donc une tendance mais c'est aussi une contre tendance car pour élever le degré d'exploitation on diminue le travail vivant (l'augmentation des cadences entraîne moins de travailleurs employés, moins de salaire et donc moins de capital variable) Donc augmentation de la composition organique donc diminution du taux du profit. Ainsi la contretendance va confirmer la tendance.
Contretendance : si on produit de la marchandise avec moins de travail social nécessaire, la valeur des moyens de production diminue. Baisse de la composition organique. Mais on fait baisser cv et cc de plus, pour une productivité meilleure il faut des machines plus développées, du progrès technique. Confirme tendance à la baisse du taux de profit.

Inflation : on ajoute au bout du cycle MP= moyen de production ; FP = force productive
une somme supplémentaire n'ayant pas de répondant en A et consécutive à la hausse des prix (contretendance à la baisse du taux de profit puisque le prix est au-dessus de la valeur) Gonflement artificiel du capital (A') Or taux de profit = plus value / total du capital. Le capital augmente mais non la plus value. Donc diminution du taux de profit (contretendance devient tendance)

b) Les moyens de pallier la baisse du taux de profit.
On aboutit à la dévalorisation du capital dans le but d'élever le taux de profit c'est-à-dire le rapport plus value / capital, la plus value étant constante.

Le capital résiste, s'invente d'autres moyens mais il est néanmoins un système contradictoire voué à sa propre perte.

Pour en savoir plus :
Les manuscrits de 1844 (sur le concept d'aliénation)
Le manifeste du parti communiste
Le Capital

ANNEXE 2

« L'État n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société; il n'est pas davantage « la réalité de l'idée morale », « l'image et la réalité de la raison », comme le prétend Hegel. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonismes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'« ordre »; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'Etat. (...) Comme l'État est né du besoin de réfréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée. (...) L'État n'existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'État et du pouvoir d'État. A un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de État une nécessité. »

ENGELS (L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État)

« A l'encontre de la philosophie allemande qui va du ciel à la terre, on procède ici de la terre au ciel. C'est-à-dire qu'on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, des hommes dits, pensés, imaginés, représentés, pour en arriver aux hommes vivants ; on part des hommes réels, agissants, et de leur vie réelle, on expose le développement des reflets et des échos idéologiques de cette activité vitale. Les nuées du cerveau des hommes sont des sublimations nécessaires de leur activité vitale matérielle, empiriquement constatable et liée à des conditions matérielles. Ainsi la morale, la religion, la métaphysique et les autres idéologies, et les formes de conscience qui leur correspondent perdent l'apparence de l'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, pas de développement, ce sont les hommes qui, en développant leur production matérielle et leur commerce matériel, modifient en même temps que cette réalité leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, c'est la vie qui détermine la conscience. Dans le premier cas, on part de la conscience comme de l'individu vivant (lui-même) ; dans le second, on part des individus vivants réels et on considère la conscience comme leur conscience. »

MARX (L'idéologie allemande)

« Le communisme est une phase réelle de l'émancipation et de la renaissance humaine, phase nécessaire pour l'évolution historique prochaine. Le communisme est la forme nécessaire et le principe énergique de l'avenir prochain. Mais le communisme n'est pas, en tant que tel, la fin de l'évolution humaine, – il est une forme de la société humaine. »

MARX ( Manuscrits de 1844)

« En ce qui me concerne, je n'ai ni le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société moderne, ni celui d'avoir découvert leur lutte. Les historiens bourgeois avaient bien avant moi exposé le développement historique de cette lutte de classes, et les économistes bourgeois l'anatomie économique de ces classes. Ce que j'ai fait de nouveau consiste dans la démonstration suivante : 1° l'existence des classes ne se rattache qu'à certaines luttes définies, historiques, liées au développement de la production ; 2° la lutte de classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3° cette dictature elle-même constitue seulement la période de transition vers la suppression de toutes les classes et vers une société sans classes. »

MARX (Lettre à Weidemeyer, 5 mars 1852)

III L'apport de Lénine

1) L'économiste

Pas plus que Marx, il n'est un économiste au sens universitaire du terme. Il reprend les thèses de Marx et les applique à l'économie de la Russie. L'erreur est de croire que la production a pour but la consommation. Seule une fraction limitée de la plus-value alimente les fonds de consommation de la société. La majeure partie sert à la reproduction et à l'accroissement de la formation du capital. « Le capitalisme ne peut exister et se développer sans étendre constamment la sphère de sa domination, sans coloniser de nouveaux pays et entraîner les vieux pays non capitalistes dans le tourbillon de l'économie mondiale. Le processus de formation d'un marché pour le capitalisme comporte deux aspects : le développement en profondeur du capitalisme, c'est-à-dire le développement cumulatif de l'agriculture capitaliste et de l'industrie capitaliste sur un territoire précis, bien délimité et clos, et son développement en étendue, c'est-à-dire l'extension de la sphère de domination du capitalisme sur de nouveaux territoires. » (L'impérialisme, stade suprême du capitalisme) Ce qui caractérise l'impérialisme est le fait que les monopoles capitalistes font tout pour s'assurer des « profits supplémentaires gigantesques » Les États sont divisés en deux groupes, « les riches et les puissants qui pillent le monde » et les autres, la majorité, pratiquement passés sous la dépendance non avouée des premiers. Le régime capitaliste passe alors du stade du capitalisme stricto sensu à une « structure économique supérieure » Un tel régime, qui vise à la domination économique et politique d'aires géographiques attardées, mais riches en ressources naturelles et en main d'œuvre grâce à l'extension des réseaux de communication, ne peut qu'être source de conflits violents, en particulier de guerres internationales pour s'assurer matières premières et débouchés.
L'existence de l'impérialisme annonce l'approche de la révolution mondiale, point sur lequel Lénine était particulièrement ferme.<§P>

2) le philosophe

Le marxisme pose comme postulat le matérialisme. L'autre, rejeté, est l'idéalisme. Ils sont contradictoires. Ils ne peuvent être ni démontrés, ni réfutés. Il est impossible de trouver une « troisième voie » qui permettrait de n'être ni idéaliste, ni matérialiste, et de dépasser l'un et l'autre par un point de vue plus scientifique et plus moderne.
Lénine distingue nettement la définition que donne la philosophie de la matière de celle que proposent les sciences exactes. Sans subordonner la philosophie aux sciences exactes il estime qu'elle est à l'école de ces dernières.
Lénine insiste sur la méthode dialectique : « Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique - par opposition à la méthode métaphysique - n'est ni plus ni moins que la méthode en sociologie, qui considère la société comme un organisme vivant, en perpétuel développement (et non comme quelque chose de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux »

On trouve chez Lénine une véritable théorie de la démocratie qu'il importe (vu les événements qui ont suivi la révolution russe) de préciser.

Quelle est d'abord la position léninienne pendant la préparation de la révolution ? Le mot « démocratie » est toujours qualifié par une classe sociale. Il ne faut pas parler de démocratie mais de démocratie bourgeoise ou de démocratie prolétarienne.
La question de l'Etat est au centre de la deuxième Internationale dès 1899, date des thèses de Bernstein (Edouard Bernstein, Les présupposés du socialisme) Selon Bernstein, Marx est dépassé par le développement même du capitalisme, qui sous l'influence du prolétariat a été obligé d'accorder des droits fondamentaux aux travailleurs. La révolution n'est donc plus nécessaire et l'action quotidienne des travailleurs, des élections parlementaires, vont améliorer la situation graduellement à la fois matériellement (amélioration de la condition ouvrière) et politiquement (instauration de la démocratie).
En 1912, en Russie, les enjeux sont centrés autour du caractère de la révolution à venir. Sera-t-elle bourgeoise (parlementaire) ou socialiste ? Lénine dans Le développement du capitalisme en Russie montre que la Russie est un pays où domine le capitalisme. La bourgeoisie russe et internationale trouvent leur intérêt dans le système aristocratique féodal qui les protège du prolétariat. Cependant la bourgeoisie russe et l'aristocratie libérale veulent participer au pouvoir politique, ce que refuse le tsar. La révolution bourgeoise est bien à l'ordre du jour mais la bourgeoisie ne veut pas la faire par crainte des masses populaires et cherchera un accord avec l'aristocratie. La révolution bourgeoise est donc impossible au sens littéral du terme (sous la direction de la bourgeoisie) et c'est à la classe sociale dont la vocation est de renverser la bourgeoisie que revient la charge de conduire la révolution bourgeoise. Mais pour atteindre les objectifs de cette dernière (suffrage universel, république, liberté de la presse et de réunion, laïcité, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes) le prolétariat doit s'allier à la paysannerie contre les propriétaires fonciers et doit s'attaquer à la bourgeoisie. La révolution démocratique bourgeoise doit se transformer en révolution prolétarienne. Lénine revient toute sa vie sur le fait que ne pas avoir d'illusions sur la démocratie bourgeoise, dénoncer son caractère tronqué et limité ne signifie pas que le prolétariat doive ne pas s'en soucier, s'en détourner. Elle est le meilleur cadre pour mener la lutte révolutionnaire.
Pendant la guerre, le débat rebondit autour de Boukharine. Lénine engage la polémique en avançant que les objectifs démocratiques sont inséparables des objectifs socialistes. La question du droit de peuples à disposer d'eux-mêmes n'est pas une revendication socialiste (le socialisme vise même à lui tourner le dos dans sa vocation internationaliste) mais pourtant la réalisation de ce mot d'ordre est incontournable comme pour les autres mots d'ordre démocratiques (liberté, république etc.) si l'on veut que les masses se mettent en marche pour le socialisme.

Dès la révolution de février et la mise en place de la dualité des pouvoirs (soviets et gouvernement provisoire) se pose la question : que mettre à la place du tsarisme ? Selon Lénine il y a un double pouvoir d'Etat : celui de la classe ouvrière, alliée à la paysannerie, les soviets, et celui de la bourgeoisie, le gouvernement provisoire. En acceptant le gouvernement provisoire, les soviets se mettent à la remorque de la bourgeoisie, mais le gouvernement bourgeois est incapable de gouverner sans l'accord des soviets qui ont la force armée c'est-à-dire la garde rouge et les soldats. Paradoxe : la Russie est à la fois l'Etat le plus démocratique mais les objectifs démocratiques ne sont pas atteints. Ces objectifs démocratiques sont la paix, la réforme agraire, la réunion d'une assemblée constituante, la ratification des revendications des travailleurs et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le gouvernement provisoire s'y oppose parce que la bourgeoisie ne veut ni la pax, ni la réforme agraire, ni satisfaire les revendications, ni abandonner son système colonial. Les soviets doivent pour Lénine prendre tout le pouvoir. La révolution démocratique bourgeoise n'est pas conduite par la bourgeoisie mais contre elle. Il faut instaurer la « dictature démocratique de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre », transition vers la « dictature du prolétariat ».

Thèses exposées dans L'Etat et la révolution et La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky.
L'Etat est l'expression de la dictature d'une classe. Tout Etat, quelle que soit sa forme, est dictature car tout Etat est appareil militaire, policier et bureaucratique destiné à mettre en œuvre la domination de la classe dominante. Il n'a pas toujours existé et n'existera pas toujours puisque dans le communisme il n'y a plus d'Etat. Toute démocratie opprime les classes dominées (la dictature du prolétariat elle-même opprime les anciennes classes dirigeantes) La démocratie est donc une des formes de la dictature de classe. Elle n'existe à l'état pur dans aucune formation historique. Il y a une démocratie esclavagiste à Athènes, la démocratie bourgeoise qui assure la domination de la bourgeoisie et la démocratie prolétarienne qui assure la domination de la classe ouvrière et permet aux pauvres de connaître la démocratie c'est-à-dire de participer à la vie politique pour y promouvoir leurs intérêts. Dans le socialisme il n'y a pas d'autre possibilité que la démocratie. La démocratie bourgeoise concerne le seul domaine politique et se démasque donc comme dictature économique et sociale du capital. Du reste l'impérialisme, l'oligarchie financière engendrent la remise en cause de la démocratie bourgeoise par la démocratie monopoliste. Le parlementarisme se vide, les décisions sont prises ailleurs : dans les cabinets, les conseils d'administration
La démocratie bourgeoise est aussi un enjeu pour la lutte révolutionnaire. Elle crée des conditions à la fois meilleures et plus difficiles : meilleures pour la propagande, l'agitation mais plus difficiles car elle engendre des illusions sur la nature de l'Etat, sur ses possibilités de l'utiliser et non le détruire. Les conditions meilleures cependant l'emportent. La défense de la bourgeoisie bourgeoise contre la réaction est une position de principe. Elle est condition pour passer au socialisme : république, séparation de l'église et de l'Etat, résolution de la question nationale, libertés démocratiques fondamentales, cela ne dépasse pas le caractère démocratique bourgeois mais à l'époque de l'impérialisme ce ne peut être défendu et établi que contre la bourgeoisie par la classe ouvrière.

Qu'est-ce qui oppose la démocratie bourgeoise au socialisme ou démocratie prolétarienne ?
Dans la démocratie bourgeoise, il n'existe pas de démocratie économique. La démocratie prolétarienne met en cause la propriété privée des moyens de production et d'échanges. Le pouvoir politique s'étend à tous les domaines. Il n'y a donc de démocratie « jusqu'au bout » que dans la dictature du prolétariat, le socialisme. Cette démocratie conserve et élargit les libertés démocratiques bourgeoises : liberté de réunion en mettant des locaux à la disposition des travailleurs, liberté d'expression avec une aide à la presse. Il s'agit de détruire les privilèges des bourgeois en matière d'éducation, de culture et de communication. C'est une démocratie à la base (les soviets) où les décisions sont prises sur place et sans « médiateur ». Les travailleurs élisent des députés aux soviets qui sont rappelables à tout moment et qui doivent rendre des comptes à leurs mandants. Ce sont les soviets qui désignent leurs représentants aux niveaux supérieurs du pouvoir. Ceux-ci doivent rendre compte et sont rappelées dans les mêmes conditions par ceux qui les ont élus. L'armée et la police sont constitués du peuple en arme et il n'y a plus de fonctionnaires non élus. Le parlementarisme est remplacé par un corps agissant, législatif et exécutif à la fois.

Confronté à l'édification du nouveau régime et au reflux révolutionnaire dans le reste du monde, il va lui apparaître très vite que les choses sont plus complexes qu'il les avait envisagées d'autant que la Russie et un pays « marqué par la barbarie asiatique » Il y a 80 % d'analphabètes, la guerre civile, l'agression étrangère, le sabotage etc. Lénine mènera un combat contre la bureaucratie renaissante qui profite de la faiblesse culturelle des masses. Il préconise l'élargissement des pratiques démocratiques. Tout en prenant en compte que la dictature du prolétariat ne pouvait provisoirement évoluer vers un dépérissement rapide de l'Etat, Lénine s'inquiétait du risque que l'ancienne bureaucratie ne reprenne le pouvoir et ne voyait de remède que dans la mobilisation des travailleurs prenant en main leur destinée.

3) L'action politique

Trois thèmes principaux doivent être soulignés :

Ces thèmes occupent la brochure Que faire ?
Lénine s'y élève contre l'opportunisme qui « déclare inconsistante la conception même du « but final » et repousse catégoriquement l'idée de la dictature du prolétariat », dont Karl Marx avait pourtant dit qu'elle constituait sa contribution essentielle à la théorie socialiste.
La conscience de classe née de la lutte sur le terrain économique ou social ne peut aboutir à une conscience politique vraiment révolutionnaire. Tout développement spontané du mouvement ouvrier le soumet à l'idéologie bourgeoise. « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. » Nouveau par rapport à Marx. Il faut une formation « fondée sur l'expérience de la vie politique » Dans cette éducation politique active, la presse jouera un rôle important ainsi que les « révolutionnaires professionnels » qui auront une fonction permanente d'agitation politique clandestine.
Dès le début la tâche consiste à convaincre la majorité du peuple de la justesse du programme et de la tactique du Parti. Une véritable « révolution culturelle » doit accompagner le développement du pouvoir soviétique : l'école, les soviets locaux seront les lieux privilégiés de cette mutation des mentalités.
Dans L'État et la révolution, Lénine esquisse ce que sera la dictature du prolétariat dès la prise du pouvoir. Passage de la liberté formelle des démocraties bourgeoises (liberté des possesseurs de marchandises) à la liberté réelle qui exige l'abolition des classes au cours d'une lutte portée à son paroxysme. La dictature du prolétariat sera coercitive. L'État prolétarien est un demi-État qui dépérit avec la consolidation de la victoire sur les classes bourgeoises. C'est une dictature politique « la politique ne peut manquer d'avoir la primauté sur l'économie »

Pour en savoir plus
L'État et la révolution
L'impérialisme, stade suprême du capitalisme
La maladie infantile du communisme, le gauchisme.

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