Durkheim

Il n'invente pas la sociologie mais donne à cette science sa méthode. En ce sens, il est peut-être le plus actuel des sociologues classiques.

Sommaire

Les sources de sa pensée.

La vie de Durkheim

Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.

D'Auguste Comte, celui qui fit de la sociologie une science, il garde la préoccupation de faire de la sociologie une science autonome. On notera aussi une influence de Spencer et de Renouvier (de ce dernier, il retient l'idée de faire de la morale une science positive). Intéressé par les précurseurs de la sociologie (Aristote, Montesquieu), il s'opposera en revanche aux thèses socialistes qu'il considère comme étant la conséquence des dérèglements de la société plutôt qu'un remède à ses maux.

La vie de Durkheim

Émile Durkheim naît à Épinal en 1858 dans une famille de rabbins. Brillant élève, il prépare au lycée Louis Le Grand le concours d'entrée à l'École Normale Supérieure où il entre en 1879. Il a pour condisciples Bergson, Blondel, Jaurès, Janet mais admire surtout deux de ses professeurs : Fustel de Coulanges et Émile Boutroux.
Il obtient en 1887 une chaire de pédagogie et de science sociale à l'Université de Bordeaux alors qu'il n'est encore que l'auteur de trois articles dans La Revue philosophique, conséquences d'un voyage en Allemagne pour étudier les sciences sociales auprès de Wundt.
En 1893, il publie De la division du travail social qui est aussi sa thèse de doctorat. La thèse complémentaire (en latin) porte sur La contribution de Montesquieu à la constitution de la science sociale.
En 1895, il publie Les règles de la méthode sociologique qu'on peut considérer comme le « discours de la méthode » de la sociologie. Il fonde en 1896 la revue L'année sociologique autour de laquelle se crée L'école française de sociologie qui réunit des penseurs comme Marcel Mauss (neveu de Durkheim), Maurice Halbwachs, Georges Davy, Fauconnet etc.
En 1897, Durkheim publie Le suicide. Nommé professeur à la Sorbonne en 1902 comme suppléant de Ferdinand Buisson à la chaire de science de l'éducation, il devient titulaire en 1906 (cette chaire devient, en 1913, chaire de sociologie). Il se consacre désormais essentiellement à son enseignement et à sa revue L'année sociologique où il écrit de nombreux articles.
Bouleversé par l'affaire Dreyfus, son intérêt pour le phénomène religieux aboutit en 1912 à la publication des Formes élémentaires de la vie religieuse.
La première guerre mondiale lui inspire quelques écrits de circonstance. Il meurt à Paris le 5 novembre 1917.

Apport conceptuel.

Les règles de la méthode sociologique

a) La méthode
Qu'est-ce qui peut faire de la sociologie une science positive ? Quelles sont les méthodes qui doivent être celles de cette discipline pour qu'elle soit scientifique ? Telles sont les deux questions au centre des Règles de la méthode sociologique.
Il faut, dit Durkheim, « considérer les faits sociaux comme des choses. » « Choses » signifie ici « faits physiques ». Cela signifie-t-il que les faits sociaux seraient assimilables à des faits physiques ? Ce n'est pas ainsi qu'il faut interpréter la phrase. Durkheim veut dire que la méthode en sociologie doit être analogue à la méthode en physique. Or que fait le physicien ? Il tente d'expliquer les faits. Expliquer n'est pas comprendre. Expliquer, c'est analyser, chercher les causes alors que comprendre, c'est ramener à l'unité, faire la synthèse.
Prenons l'exemple de ce fait social qu'est le mariage. Une approche compréhensive consisterait à se demander quelles sont les fins que poursuivent les hommes en se mariant, se demander pourquoi ils se marient. Quelles que soient les motivations (par amour, par intérêt), une telle étude permet-elle de rendre compte de ce fait social qu'est le mariage ? Durkheim répond négativement. De la même façon que le physicien ne cherche plus (depuis que la physique est devenue une science) la fin des phénomènes mais leur cause, de même le sociologue recherchera les causes des faits sociaux. Cela signifie aussi que les hommes ne sont pas tout à fait libres puisque leurs comportements ont des causes, sont contraints.
Dire qu'il faut considérer les faits sociaux comme des choses, c'est aussi dire que ces phénomènes ne sont pas immédiatement transparents pour l'intelligence (pas plus que les faits physiques) et qu'il faut donc recourir à une démarche inductive utilisant observation et expérimentation. « Traiter les faits d'un certain ordre comme des choses, ce n'est pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel ; c'est observer vis à vis d'eux une certaine attitude mentale. C'est en aborder l'étude en prenant pour principe qu'on ignore absolument ce qu'ils sont et que leurs propriétés caractéristiques, comme les causes inconnues dont elles dépendent, ne peuvent être découvertes par l'introspection même la plus attentive. » On remarquera dans cette citation l'affirmation selon laquelle il faut rejeter l'introspection (ce n'est pas par une observation même attentive de nous-mêmes qu'on pourra expliquer le comportement humain) mais aussi l'idée que faire de la sociologie c'est rechercher les causes des phénomènes c'est-à-dire les expliquer.
Mais quels sont ces faits sociaux qu'il s'agit de considérer comme des choses ? Durkheim reconnaît le fait social à ce qu'il exerce une contrainte sur l'individu. Ainsi que nous le disions plus haut l'homme n'agit pas librement mais son comportement dépend d'un contexte social qui le fait agir.
Durkheim affirme que l'explication d'un fait social doit toujours être recherché dans un autre fait social. Par exemple, dans Le suicide, Durkheim balaiera les explications d'ordre naturel. Si on se suicide davantage en été qu'en hiver, ce n'est pas parce qu'il y fait plus chaud (explication naturelle) mais parce que l'intensité de la vie sociale varie selon les saisons.
La société entraîne des coercitions, des contraintes plus ou moins explicites. La vérité première n'est pas l'individu mais la société ou, pour le dire autrement, la société ne s'explique pas comme une somme d'individus mais c'est plutôt le comportement individuel qui s'explique par la société. Une société n'est pas le simple somme des individus qui la composent mais elle est, en plus, les relations complexes qui s'instaurent entre ces individus.

b) Un exemple d'application : le suicide.
S'il s'agit de faire de la sociologie comme on fait de la physique, que peut signifier une approche expérimentale quand on parle d'une science humaine c'est-à-dire justement d'une science où il est impossible de procéder à des expériences ? Il faudra procéder à des comparaisons systématiques, analyser les relations entre variables. Dans Le suicide, Durkheim utilise le traitement statistique.
Le suicide est habituellement interprété comme un acte relevant exclusivement de la psychologie individuelle. Tout le propos de Durkheim est de montrer qu'en réalité cet acte a des causes sociales montrant qu'il est imposé du dehors à l'individu par la société.
Le taux de suicide varie en fonction des milieux sociaux. On se suicide par exemple davantage lorsqu'on est célibataire que lorsqu'on est marié, lorsqu'on a des enfants que lorsqu'on n'en a pas. Les protestants se suicident davantage que les catholiques. Le taux de suicide est supérieur à la campagne par rapport à la ville etc.
Durkheim distingue plusieurs types de suicide :

  • Le suicide altruiste ne concerne que les sociétés où l'individu est fortement soumis aux valeurs collectives (exemple du milieu militaire).
  • Le suicide égoïste
  • Le suicide anomique lié au dérèglement de la société. L'anomie est l'absence de normes. On constate que lorsqu'une société traverse une grave crise (guerre, famine) les suicides sont moins nombreux qu'en période de prospérité économique. Une exposition universelle à Paris s'accompagne toujours d'une augmentation des suicides dans cette ville.

Les deux dernières formes de suicide concernent les sociétés modernes et intéressent davantage Durkheim.
Le suicide égoïste varie en fonction inverse de l'intégration sociale de l'individu. Plus l'individu « participe » à la société (par exemple s'il a des attaches familiales) moins il aura tendance à se suicider. Plus la pression du groupe est grande, moins on se suicide. Par exemple, le catholique se suicide moins parce qu'il reçoit ses croyances et principes d'action de l'extérieur alors que le protestant doit les tirer de sa conscience.
Le suicide anomique est lié au dérèglement social. La prospérité, par exemple, tend à accroître les attentes de l'individu et donc aussi à accroître ses déceptions et son insatisfaction.

Travail et solidarité

Dans De la division du travail social, Durkheim étudie la solidarité sociale. Dans une société, les parties se tiennent les unes aux autres par des relations, compactes, solides. Ce fait, Durkheim l'appelle solidarité. Il distingue :

  • La solidarité mécanique : les individus sont et se vivent comme d'une certaine manière tous identiques. Une conscience collective surgit d'être tous les mêmes dans une situation où les intérêts sont communs. Cette solidarité est surtout caractéristique des sociétés archaïques.
  • La solidarité organique : les individus sont et se vivent comme différents mais complémentaires, indispensables les uns aux autres. Cette solidarité caractérise surtout les sociétés modernes.

On signalera que les deux types de solidarité en réalité coexistent toujours. Si une société de chasseurs manifeste une solidarité mécanique, néanmoins les fonctions différentes entre hommes et femmes, le fait que parmi les chasseurs certains seront rabatteurs, d'autres tueurs etc. institueront aussi une solidarité organique. De même dans une société de division du travail comme la nôtre, la solidarité organique dominante n'exclut pas des formes de solidarité mécanique qu'on observe par exemple dans la lutte syndicale.
Pour Durkheim, le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique vient de l'extension démographique et de l'accroissement des communications et des échanges. Ceci pousse les hommes à répartir davantage les tâches. La division du travail va alors individualiser les hommes.

L'origine sociale de la religion

Athée, Durkheim considère néanmoins la religion comme un phénomène d'essence universelle. Durkheim définit la religion par l'opposition entre sacré et profane. Toute religion se caractérise par la croyance en une force impersonnelle extérieure à l'individu. Or il est symptomatique que la seule force réelle qui dépasse les individus n'est autre que la société. La religion ne serait alors qu'une transposition de la société. Dieu est extérieur, supérieur à l'individu, comme la société est extérieure et supérieure à l'individu. Il est contraignant comme la société nous impose des contraintes. Dieu n'est donc que la transfiguration inconsciente de la société. La loi divine n'est rien d'autre que la loi sociale divinisée. « Quand notre conscience parle c'est la société qui parle en nous » ou encore « Le devoir c'est la société en tant qu'elle nous impose ses règles, assigne des bornes à notre nature. » Ainsi la morale religieuse comme l'idée de sacré trouvent leur source dans la société et il n'est nul besoin de présupposer l'existence de Dieu pour expliquer d'où vient la religion.
Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une critique de la religion car Durkheim pense qu'elle a une utilité. Elle renforce l'autorité des lois sociales. On obéit plus facilement à un Dieu qui est censé tout voir qu'à l'autorité sociale seule, dont on peut toujours espérer l'impunité pour peu qu'on ait l'intelligence de ne pas se faire prendre.

Les principales œuvres.

  • De la division du travail social (1893)
  • Contribution de Montesquieu à la constitution de la science sociale (1893)
  • Les règles de la méthode sociologique (1895)
  • Le suicide, étude de sociologie (1897)
  • Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912)

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