La philosophie politique au XVII° siècle


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I La théorie de droit divin

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette théorie ne naît pas au Moyen Age. A cette époque en effet l'absolutisme n'existe pas. Il existe des parlements, une noblesse et de nombreuses franchises (villes libres…) et le pouvoir royal est loin d'être absolu.
La théorie du droit divin est née au XVII° siècle. Illustrée par le De legibus (1612) de Suarez et Politique tirée des propres paroles de l'Écriture Sainte (1670) de Bossuet. Ces deux auteurs entendent justifier l'absolutisme sans borne que le Souverain n'a à partager ni avec son peuple, ni avec des corps intermédiaires (noblesse, parlement etc.) puisqu'il est censé le tenir directement de Dieu. Cette théorie s'appuie sur l'autorité des textes sacrés qui sont considérés comme la source unique de toute connaissance

Les théoriciens de droit divin prennent pour point de départ de l'élaboration de leur doctrine le passage de l'Épître aux Romains où Paul prêche la soumission totale aux autorités établies. On y trouve la thèse fondamentale selon laquelle les princes sont les ministres (serviteurs) de Dieu (ses exécutants) sur la terre, ce qui signifie qu'on leur doit obéissance comme à Dieu lui-même, fussent-ils les pires des despotes. Saint Paul, Épître aux Romains, XIII, 1 : « Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu »

Bossuet développe la théorie du droit divin. Il définit les quatre caractères de l'autorité royale de droit divin. Les deux premiers font du pouvoir un attribut surnaturel :

Ce quatrième caractère semble en contradiction avec les précédents. Ce peut même paraître une concession faite au droit naturel. « Il faut établir des règles générales de conduite, afin que le gouvernement soit constant et uniforme : et c'est ce qu'on appelle lois (…) toutes les lois sont fondées sur la première de toutes les lois qui est celle de la nature, c'est-à-dire sur la droite raison et l'équité naturelle ». Cependant, c'est au souverain et au souverain seul qu'il appartient de suivre ou non la raison qui ne comporte pas d'effet d'obéissance. Rien ne l'oblige à être raisonnable. Bossuet écrit un manuel d'éducation pour le Dauphin, où il donne des conseils de sagesse, de modération, de bonté, de prudence. Libre à lui de les suivre ou non. Ce sont des recommandations qui constituent le devoir moral du prince et que Bossuet appelle soumission à la raison. Si le souverain ne les suit pas, il ira en enfer. Mais c'est à lui à décider s'il veut aller ou non en enfer. Les sujets eux n'ont qu'à obéir et, si le roi n'entend pas raison, à prier.

La puissance absolue est, pour Bossuet, à l'image de la toute puissance divine. On peut se demander d'ailleurs si le véritable rapport n'est pas inverse : n'est-ce pas l'autorité royale absolue qui a servi de modèle à la définition classique de Dieu tout puissant ? (idéologie ?)

Bossuet défend l'absolutisme jusque dans ses ultimes conséquences. Tout droit de résistance est condamné au nom de l'ordre public, même si la cause de ceux qui tenteraient de résister est juste. Quel adoucissement au pouvoir peut apporter la loi si le souverain lui-même n'y est pas soumis mais en est l'auteur ?

La théorie de droit divin est conçue pour justifier la monarchie absolue. Pourtant l'histoire montre que d'autres régimes ont existé et que la monarchie absolue elle-même a été ébranlée et même renversée pour des révolutions. Si Dieu donne la puissance aux princes comment peut-il la confier à Cromwell ou à Robespierre. Si toute autorité vient de Dieu, la leur aussi doit venir de Dieu alors que pourtant ils ont commis le sacrilège de renverser un pouvoir.
Les théoriciens du droit divin répondent que Dieu exerce son autorité sur le monde par des voies secrètes et nous ne pouvons à la rigueur comprendre la signification que lorsqu'elles sont accomplies. Cette action divine s'appelle la providence qui s'exerce de deux façons par le miracle Bossuet explique la révolution d'Angleterre par le caractère exemplaire de la punition divine envers Cromwell qui avait commis le crime de faire décapiter Charles 1er. Cromwell était resté dix ans au pouvoir. En un instant Dieu, pour l'édification des peuples l'abat en lui logeant un petit caillou dans la vessie.
Ce type d'explication est assez grotesque pour avoir été rapidement ruiné par la pensée rationaliste. S'il est repris par d'autres théoriciens, c'est avec de notables transformations. Joseph de Maistre (1753-1821) qui est contre le rationalisme et contre la Révolution Française considère que Dieu n'use que modérément du miracle et soumet les hommes à un ordre qui s'applique indifféremment de la même manière aux bons et aux méchants, tous les événements du monde étant justifiés comme inhérents à la condition humaine. La révolution elle-même n'est qu'une maladie et, finalement, si le malheur s'adresse à tous c'est justice. Ce sont les exceptions qui seraient injustes.

Rousseau réfutera l'argument de droit divin en quelques lignes : même si tout pouvoir vient de Dieu, ce n'est pas pour cela qu'il faut lui obéir. Si Dieu a tout créé il a aussi créé la maladie. Dois-je la considérer comme sacrée ? Bossuet appelait son médecin quand il était malade. Si un brigand me menace d'un pistolet dois-je renoncer à la légitime défense ? Le pistolet aussi est une puissance. Dois-je considérer la légitime défense comme sacrilège ?<:p>

II L'homme est naturellement méchant - Une première approche de la théorie du contrat

1) le besoin du droit

Platon, République, le mythe de l'anneau de Gygès. Platon raconte l'histoire d'un berger, Gygès, qui découvre un anneau magique qui lui donne l'invisibilité. Profitant de cette invisibilité, il parvient à séduire la reine, tuer le roi et s'emparer impunément du pouvoir. Le mythe (qui n'est d'ailleurs pas défendu par Platon lui-même mais défendu par un de ses adversaires) tend à montrer que l'injustice serait la source du droit. L'homme serait fondamentalement injuste, dès qu'on peut agir impunément on le fait et ce qui nous rend raisonnable est seulement la peur du gendarme et du châtiment. Que ferions-nous si nous possédions l'anneau de Gygès ? A chacun de se poser sincèrement la question à lui-même. Honnêtement, serions-nous toujours sages et justes ? Peu de gens pourraient répondre affirmativement. Rousseau lui-même qui défend l'idée d'une bonté fondamentale de l'homme (avec des nuances nous le verrons) reconnaît que s'il possédait l'anneau de Gygès il le jetterait… de peur de se servir.

Thèse de Hobbes : L'homme est naturellement injuste et a besoin du droit pour survivre.
Hobbes fait partie des théoriciens du droit naturel, opposés à la théorie de droit divin. Hobbes considère que l'entrée en société est un choix volontaire et non le produit d'une providence divine. Il faut distinguer l'état de nature (état des hommes tels qu'ils sont créés par Dieu) et l'état de société qui suppose en plus le lien social (idée donc que c'est l'homme qui crée le lien social.

L'homme, tel que Dieu l'a crée vit à l'état de nature : on nomme ainsi une situation originelle qui aurait existé avant l'invention de la société, des lois, de l'État (et de l'histoire).L'état de nature représente ce que serait l'homme en l'absence de tout pouvoir politique et par conséquent de toute loi. Il est construit en enlevant tout ce que la société apporte à l'homme dans tous les domaines : social, politique, économique, moral et intellectuel. Il faut bien voir que cet état de nature n'a jamais existé et que tous les théoriciens de l'état de nature le savent pertinemment. L'homme a toujours vécu en société. L'état de nature est donc un modèle, une construction de l'esprit, une fiction théorique. Le but est de comprendre pourquoi le droit, les lois, l'État existent et la meilleure façon de le comprendre est d'imaginer ce qui se passe sans eux. La construction qu'on fait de l'état de nature n'est jamais innocente. Elle implique une conception du droit et de la politique. Si on suppose l'homme naturellement violent, on défendra un pouvoir fort. Si on est démocrate, l'homme naturel est nécessairement bon et paisible. Qu'en est-il pour Hobbes ?

Pour Hobbes, l'état de nature est un état de guerre « A l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme » et dès lors à cet état tout est préférable. On ne saurait payer trop cher pour mettre fin à la guerre, même s'il faut pour cela renoncer à la liberté.
La description que fait Hobbes de l'état de nature repose sur un paradoxe : l'état de nature est un état égalitaire. Les hommes y sont égaux non pas en ce qu'ils possèdent tous au même degré les même qualités mais parce que chacun peut revendiquer sur tous les autres une supériorité. Par exemple, l'un est plus fort mais l'autre est plus rusé, le troisième plus courageux etc. Qui l'emportera ? Cela ne va pas de soi. Mais chacun peut espérer l'emporter et donc n'hésitera pas à le tenter. Par ailleurs ils ont aussi tous les mêmes besoins et la même volonté de les satisfaire. C'est pourquoi Hobbes affirme, contrairement à d'autres auteurs, que l'égalité conduit à la guerre de chacun contre chacun. L'homme le plus faible peut l'emporter avec de la ruse.
Cette guerre est abominable et féroce. Quiconque dit Hobbes sème un champ et s'apprête à jouir du fruit de ses récoltes peut craindre l'arrivée d'un plus puissant qui lui volera tout et le tuera. À défaut, certains s'allieront contre lui, quitte ensuite à s'entre déchirer la victoire obtenue. La guerre est si féroce que se pose la question de la survie de l'espèce humaine. L'humanité risque de disparaître. La peur est perpétuelle. Il n'est d'autre issue que d'essayer de mettre fin à cette situation en créant la société policée, la loi.
À ceux qui seraient sceptique sur cette description de l'état de nature, Hobbes oppose l'argument suivant : vous vivez dans un État policé, avec des lois, une police et tout ce qu'il faut pour votre sécurité. Pourtant vous fermez vos coffres et vos portes à clef quand vous sortez. N'est-ce pas que vous imaginez les autres méchants ? Que feriez-vous si cette police, ces tribunaux n'existaient pas ? N'auriez-vous pas encore plus à craindre ? Question à méditer : l'origine de la violence est-elle naturelle ou sociale ?

Ainsi, une humanité livrée à elle-même, sans l'ordre social aurait fini par disparaître. Ce qui va sauver l'homme c'est sa peur de mourir et son instinct de conservation. L'homme comprend que pour subsister il n'y a pas d'autre solution que de sortir de l'état de nature. C'est là qu'intervient la théorie du contrat. Ce qui va permettre de passer de la nature à la société, de la guerre à la paix, c'est un contrat passé entre les sujets et un souverain.

2) la théorie du contrat

A l'origine la notion de contrat n'est pas une notion politique mais économique (contrat de vente) et juridique (contrat de mariage). Son apparition est liée à celle d'une bourgeoisie marchande qui revendique la liberté de commerce. Le contrat suppose des partenaires libres c'est-à-dire possédant des biens et en ayant libre disposition (l'esclave ou le serf ne sauraient commercer) qui s'engagent en leur nom propre, l'un à fournir la marchandise, l'autre à en acquitter le prix. Cette entente est censée produire un avantage mutuel. Le vendeur obtient de l'argent et l'acheteur un bien dont il a besoin.

Appliqué au domaine politique, le contrat fonctionne exactement de la même manière : c'est librement et volontairement que les hommes échangent leur liberté naturelle contre la paix et la sécurité. Avantage mutuel : les sujets gagnent la paix et le roi gagne le pouvoir. Le roi obtient le pouvoir mais ce n'est pas sans contrepartie : il a le devoir d'assurer la paix civile, de mettre fin à la situation de guerre. Les sujets gagnent la paix mais en contrepartie donnent leur liberté.
Le contrat est passé entre les sujets qui s'engagent à abdiquer chacun (un à un, le contrat de chaque sujet successivement avec leur souverain - le modèle ici est le modèle féodal où chaque vassal faisait allégeance à son suzerain) toutes leurs prérogatives pourvu que les autres en fassent autant. Le souverain reste alors le seul homme (ou groupe d'hommes, on peut envisager une assemblée) qui continue à vivre à l'état de nature puisqu'il est entièrement libre. Le souverain est à la fois acteur (il est seul à agir à la place de ses sujets) et auteur (il est la source de tout pouvoir)

Hobbes fait la théorie du despotisme fondé sur le caprice d'un seul. Le droit de résistance (droit pour le peuple de renverser le souverain en cas d'abus du pouvoir) est bien sûr exclu. Le souverain, par cela seul qu'il est l'auteur des actes du sujet ne peut rien faire, même s'il use de la dernière violence, de contraire à l'intérêt de son peuple. Se révolter contre le pouvoir c'est risquer de retomber dans l'état de nature et l'état de nature est ce qu'il y a de pire. « A l'état de nature l'homme est un loup pour l'homme, à l'état social l'homme est un dieu pour l'homme"
Cette théorie a permis à Hobbes de justifier aussi bien l'absolutisme de Charles 1er que celui de Cromwell, même si ce dernier est issu d'une révolution.
Le pouvoir est absolu parce que c'est le garant de sa stabilité. Cela ne signifie pas qu'il soit nécessairement arbitraire ou despotique. Hobbes, parce qu'il donne un fondement juridique à l'État, peut être considéré comme le précurseur de ce qu'on appelle l'État de droit.
Reste cependant la question politique centrale : jusqu'à quel point faut-il renoncer à sa liberté pour obtenir la paix et la sécurité? On sait que la réponse de Rousseau sera diamétralement opposée à celle de Hobbes.

Question de réflexion : l'État a-t-il pour fonction d'assurer l'ordre et la sécurité ? Bien voir que sécurité et liberté sont antinomiques. Faut-il préférer une injustice à un désordre ? Faut-il au contraire privilégier la liberté des hommes. Signalons, qu'avant Rousseau, Spinoza opposera la paix à la concorde. La paix (absence de guerre civile) ne suffit pas. Il faut aussi la concorde c'est-à-dire une certaine forme de solidarité. Mais Spinoza défendra, contre Hobbes, l'idée que la fin de l'État est la liberté.

Pour en savoir plus : 
Léviathan
De cive (du citoyen)

ANNEXE

« Gygès le Lydien était berger au service du roi qui gouvernait alors la Lydie. Un jour, au cours d'un violent orage accompagné d'un séisme, le sol se fendit et il se forma une ouverture béante près de l'endroit où il faisait paître son troupeau. Plein d'étonnement, il y descendit, et, entre autres merveilles que la fable énumère, il vit un cheval d'airain, percé de petites portes; s'étant penché vers l'intérieur, il y aperçut un cadavre de taille plus grande, semblait-il, que celle d'un homme, et qui avait à la main un anneau d'or, dont il s'empara; puis il partit sans prendre autre chose. Or, à l'assemblée habituelle des bergers qui se tenait chaque mois pour informer le roi de l'état de ses troupeaux, il se rendit portant au doigt cet anneau. Ayant pris place au milieu des autres, il tourna par hasard le chaton de la bague vers l'intérieur de sa main; aussitôt il devint invisible à ses voisins qui parlèrent de lui comme s'il était parti. Étonné, il mania de nouveau la bague en tâtonnant, tourna le chaton en dehors et, ce faisant, redevint visible. S'étant rendu compte de cela, il répéta l'expérience pour voir si l'anneau avait bien ce pouvoir; le même prodige se reproduisit : en tournant le chaton en dedans il devenait invisible, en dehors visible. Dès qu'il fut sûr de son fait, il fit en sorte d'être au nombre des messagers qui se rendaient auprès du roi. Arrivé au palais, il séduisit la reine, complota avec elle la mort du roi, le tua, et obtint ainsi le pouvoir. Si donc il existait deux anneaux de cette sorte, et que le juste reçût l'un, l'injuste l'autre, aucun, pense-t-on, ne serait de nature assez adamantine (1) pour persévérer dans la justice et pour avoir le courage de ne pas toucher au bien d'autrui, alors qu'il pourrait prendre sans crainte ce qu'il voudrait sur l'agora, s'introduire dans les maisons pour s'unir à qui lui plairait, tuer les uns, briser les fers des autres et faire tout à son gré, devenu l'égal d'un dieu parmi les hommes. En agissant ainsi, rien ne le distinguerait du méchant; ils tendraient tous les deux vers le même but. Et l'on citerait cela comme une grande preuve que personne n'est juste volontairement, mais par contrainte, la justice n'étant pas un bien individuel, puisque celui qui se croit capable de commettre l'injustice la commet. »

PLATON (La République)

(1) Adamantine: qui a la dureté et l'éclat du diamant



« Si deux hommes désirent la même chose alors qu'il n'est pas possible qu'ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis : et dans leur poursuite de cette fin (qui est, principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur agrément), chacun s'efforce de détruire ou de dominer l'autre. Et de là vient que, là où l'agresseur n'a plus rien à craindre que la puissance individuelle d'un autre homme, on peut s'attendre avec vraisemblance, si quelqu'un plante, sème, bâtit, ou occupe un emplacement commode, à ce que d'autres arrivent tout équipés, ayant uni leurs forces, pour le déposséder et lui enlever non seulement le fruit de son travail, mais aussi la vie ou la liberté. Et l'agresseur à son tour court le même risque à l'égard d'un nouvel agresseur.
Du fait de cette défiance de l'un à l'égard de l'autre, il n'existe pour nul homme aucun moyen de se garantir qui soit aussi raisonnable que le fait de prendre les devants, autrement dit, de se rendre maître, par la violence ou par la ruse, de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible, jusqu'à ce qu'il n'aperçoive plus d'autre puissance assez forte pour le mettre en danger. Il n'y a rien là de plus que n'en exige la conservation de soi-même, et en général on estime cela permis. (...)
Il apparaît clairement par là qu'aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs; mais dans un espace de temps où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée: on doit par conséquent tenir compte, relativement à la nature de la guerre, de la notion de durée, comme on tient compte, relativement à la nature, du temps qu'il fait. De même en effet que la nature du mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses mais dans une tendance qui va dans ce sens, pendant un grand nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne consiste pas dans un combat effectif, mais dans une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu'il n'y a pas d'assurance du contraire. Tout autre temps se nomme paix.
(...) Il peut sembler étrange, à celui qui n'a pas bien pesé ces choses, que la nature puisse ainsi dissocier les hommes et les rendre enclins à s'attaquer et à se détruire les uns les autres: c'est pourquoi peut-être, incrédule à l'égard de cette inférence tirée des passions, cet homme désirera la voir confirmée par l'expérience. Aussi, faisant un retour sur lui-même, alors que partant en voyage, il s'arme et cherche à être bien accompagné, qu'allant se coucher, il verrouille ses portes; que, dans sa maison même, il ferme ses coffres à clefs; et tout cela sachant qu'il existe des lois, et des fonctionnaires publics armés, pour venger tous les torts qui peuvent lui être faits; qu'il se demande quelle opinion il a de ses compatriotes, quand il voyage armé; de ses concitoyens, quand il verrouille ses portes; de ses enfants et de ses domestiques quand il ferme ses coffres à clef. N'incrimine-t-il pas l'humanité par ses actes autant que je le fais par mes paroles? Mais ni lui ni moi n'incriminons la nature humaine en cela. Les désirs et les autres passions de l'homme ne sont pas en eux-mêmes des péchés. Pas davantage ne le sont les actions qui procèdent de ces passions, tant que les hommes ne connaissent pas de loi qui les interdise; et ils ne peuvent pas connaître de lois tant qu'il n'en a pas été fait; or, aucune loi ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas entendus sur la personne qui doit la faire. »

HOBBES (Léviathan)

« La cause finale, le but, le dessein, que poursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté et l'empire exercé sur autrui, lorsqu'ils se sont imposé des restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c'est le souci de pourvoir à leur propre préservation et de vivre plus heureusement par ce moyen : autrement dit, de s'arracher à ce misérable état de guerre qui est, je l'ai montré, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes, quand il n'existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect, et de les lier, par la crainte des châtiments, tant à l'exécution de leurs conventions qu'à l'observation des lois de la nature.
La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l'attaque des étrangers, et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela revient à dire: désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer leur personnalité; et que chacun s'avoue et se reconnaisse comme l'auteur de tout ce qu'aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun : j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une REPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. »

HOBBES (Léviathan)

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