La démocratie antique et les philosophes grecs


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Plan :

I Les institutions grecques - Athènes et Spartes
II Les sophistes démocrates et l'aristocrate Platon
III La politique d'Aristote

On ne peut évoquer une philosophie politique, quelle qu'elle soit, sans la replacer dans le contexte politique qui l'a motivée.

I Les institutions grecques - Athènes et Spartes.

Pas d'unité politique grecque. La Grèce est morcelée en autant d'Etats qu'il n'y a de cités (polis en grec, d'où dérive le mot « politique ») La Cité ne dépasse guère la grandeur de ce que nous considérons aujourd'hui comme une ville moyenne (environ 400 000 habitants sur la cité athénienne au V° siècle av. J.C.) Chaque cité a ses mœurs, ses institutions, son système politique indépendant. Les cités se déchirent entre elles (guerres du Péloponnèse)

Il y a cependant une unité grecque qui tient à trois facteurs essentiels:

Tout ceci crée un patriotisme commun qui permettra par exemple aux grecs de s'unir contre l'envahisseur Perse. (Guerres médiques)<§P>

1) La démocratie athénienne.

Définition de la démocratie : la démocratie n'est pas exactement le pouvoir de tous. Elle est le pouvoir de tous les citoyens c'est-à-dire de tous les hommes libres. Cela signifie que sont exclus du pouvoir les femmes, les enfants, les esclaves et les métèques (comme on appelait alors les étrangers à la cité, ces étrangers pouvant du reste être grecs - ils correspondent à ce qu'on appellerait aujourd'hui les travailleurs immigrés). Sur environ 400 000 habitants, 130 à 140 000 sont citoyens, desquels il faut retrancher les femmes et les enfants. Il y a possibilité d'accéder à la citoyenneté par décision spéciale mais sous Périclès cette possibilité est assez limitée. Démocratie restreinte. Il faut préciser, et nous y reviendrons, que pas une seule voix ne s'élèvera contre l'esclavage.

Comment fonctionne cette démocratie? Démocratie signifie pouvoir des dèmes c'est-à-dire des citoyens.
Dèmes : circonscriptions, subdivisions administratives, cantons d'Athènes. Il y avait 30 dèmes à Athènes groupés 3 par 3 en tribus. Comme il y avait 3 régions géographiques à Athènes (la région montagnarde des collines, le littoral du port d'Athènes qu'est le Pirée et la ville), chaque tribu groupait 3 dèmes, un dème montagnard, un dème du littoral et un dème de la ville de manière à ne pas rendre rivaux des intérêts différents: les intérêts des négociants du port ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des éleveurs de la montagne. Chaque tribu exprime donc les trois types d'intérêt possibles.
Cette démocratie est directe: les citoyens participent à l'Ecclesia, assemblée où l'on votait à main levée les lois mais où l'on jugeait aussi les coupables envers l'État. Cette assemblée populaire était autant législative qu'exécutive ou judiciaire.
La Boulè est une assemblée de 500 membres tirés au sort (après candidature) pour un an. C'est une sorte de conseil permanent, chargé de l'exécution des lois ainsi que de la préparation des projets de lois à soumettre à l'Ecclesia.
La justice aussi était populaire, rendue par le tribunal de l'Héliée dont les membres étaient tous tirés au sort.

La hantise des athéniens est le retour de la tyrannie. Tout est organisé pour l'éviter :
Tirage au sort, limite en durée de nombreuses charges et aussi mesure d'ostracisme (bannissement pour 10 ans d'un homme politiquement trop influent) tendaient à préserver le régime de la tyrannie.

Le régime permettait aux talents artistiques de s'épanouir. Nul n'était inféodé à un prince ou à un tyran. Toute la population assistait aux cérémonies religieuses et donc aux représentations théâtrales données à l'occasion, par exemple, des fêtes de Dionysos.

Athènes a aussi une supériorité politique sur les autres cités au V° s., et ceci à cause de son rôle important lors des guerres médiques (contre les Perses). Sa supériorité maritime et ses victoires placèrent Athènes à la tête d'une confédération de cités alliées auxquelles elle assurait sa protection militaire. Mais Athènes exigeait des tributs en échange et imposa des vexations aux cités réticentes. Beaucoup de ses alliées se liguèrent contre elle en s'alliant à sa grande rivale, Spartes.
Le monde grec fut divisé en deux : les partisans d'Athènes et ceux de Spartes. Ce qui donna la guerre du Péloponnèse.

2) La timocratie spartiate

Le régime de Spartes contrastait avec celui d'Athènes et fit l'admiration des ennemis de la démocratie (y compris de Platon).
Les institutions :
Deux rois se partageaient la direction de la cité. Leurs attributions étaient surtout militaires, judiciaires et religieuses. Ils étaient assistés par l'imposante geronsia (conseil de vieillards issus des familles nobles de Spartes) qui, outre des fonctions judiciaires, préparait les lois qu'elle soumettait à l'assemblée des citoyens dont la voix était purement consultative. Le pouvoir appartenait surtout à 5 Ephores (élus et renouvelés annuellement) chargés de l'exécution des lois et du contrôle de l'ensemble de la cité y compris des rois.
Les citoyens spartiates vivaient des activités artisanales et agricoles des Périèques (disposant de leurs propres terres autour de la cité) et surtout du travail des Hilottes sur les terres qui appartenaient aux spartiates. Ces paysans asservis, durement traités par leurs conquérants et maîtres menaçaient par des révoltes fréquentes la sécurité de l'État. L'économie spartiate est donc essentiellement agricole (artisanat peu développé) et l'activité intellectuelle et artistique est quasiment inexistante.
Mais sur le plan militaire Spartes est une grande puissance. En fait Spartes est une timocratie (pouvoir des militaires). Le citoyen spartiate consacrait tout son temps à sa formation de soldat. Le jeune spartiate, séparé très tôt de sa famille, recevait une éducation intellectuelle très rudimentaire en comparaison de celle du jeune athénien. Entraîné à souffrir toutes sortes de privations, rompu à toutes sortes d'exercices on le préparait à devenir un guerrier redoutable. Adulte il participait aux repas en commun: il vivait le plus clair de son temps en communauté avec ses compagnons comme s'il était sans cesse en campagne militaire.
Platon se souviendra dans son projet de cité idéale de La République de la division des tâches -économiques pour les uns, militaires pour les autres - et de la vie communautaire des citoyens-guerriers qui caractérisait le régime de Spartes.

II Les sophistes démocrates et l'aristocrate Platon

1) La sophistique antique

Elle est en prise directe avec ce que nous venons de dire d'Athènes.
La démocratie athénienne est avant tout une cité de la parole. Dans une démocratie directe, chacun est amené à s'exprimer en public, ce qui suppose un apprentissage. Il faut apprendre les gens à discuter, à prouver leur point de vue. Ceci exige qu'on apprenne les techniques rhétoriques: les rhéteurs vont apprendre cet art aux gens. Les rhéteurs sont les maîtres du beau langage qui prétendent qu'on peut persuader (et non convaincre) autrui de ce que l'on veut par le beau langage. Les rhéteurs sont aussi des sortes d'avocats de l'époque (l'institution des avocats est inconnue à Athènes et chaque citoyen doit se défendre seul. Or les procès sont nombreux) : les rhéteurs écrivent contre rémunération les plaidoiries de ceux qui doivent parler au tribunal.

L'ensemble des cités grecques du V° s s'ouvre au commerce. Des voyageurs vont dès lors découvrir qu'il y a d'autres villes et d'autres pays. Ceci permet un renouveau des connaissances. Les valeurs traditionnelles sont remises en question: on compare Spartes à Athènes par exemple. On s'aperçoit que les mœurs sont variables, que les institutions sont variables, que la conception de la justice est variable.
Dans la cité existent donc des maîtres qui ont voyagé: les sophistes, sortes de conférenciers itinérants. Ceux-ci vont prétendre que la coutume n'est pas universelle, qu'elle est relative, que les manières de vivre sont changeantes. Ils en concluent que la vérité n'est pas universelle. Les sophistes apprennent aux autres que chacun peut convaincre, est apte à savoir: chacun a son idée et son opinion. Il y a une multiplicité d'opinions et chacun peut défendre la sienne. Pour eux, toutes les opinions se valent. Aucune n'est plus vraie que l'autre et par là même on peut persuader autrui de n'importe quoi. Ils mettent en cause l'idée de la vérité.
Petit à petit, ils vont en arriver à discourir sur n'importe quoi, sur des choses qu'ils ne connaissent pas. Le sophiste ne sait pas ce que c'est que la justice. Il sait qu'il y a une justice à Athènes (la démocratie) et une autre à Spartes (l'aristocratie militaire). Il veut persuader sur ce qu'est la justice en tel ou tel endroit. Il veut persuader et donc il flatte. Le sophiste flatte. Il est le démagogue, celui qui défend avant tout sa cause et sa profession. Il flatte pour persuader et par là-même (s'il y arrive) peut prendre le pouvoir. Le sophiste est un tyran en puissance. La sophistique est le ferment, l'aliment, dans un régime démocratique. La démocratie est démagogique. Le sophiste flatte pour faire triompher son opinion. Il persuade et ne convainc pas. C'est la critique que fera Platon à la démocratie.

Platon fut très antisophistique. Le problème est qu'il constitue notre principale source d'information sur ce que pensaient vraiment les sophistes. Il s'agit donc de reconstituer, par delà les affirmations partisanes, qui ils furent vraiment. Il semble que sur le plan politique ils se divisaient en deux camps :

Cf. Mythe de Prométhée et d'Épiméthée ( Protagoras 320)
Ce mythe est présenté par le sophiste Protagoras pour soutenir son point de vue : il raconte que les dieux ayant créé les espèces mortelles (animaux et hommes) prescrivent aux titans Épiméthée et Prométhée de distribuer les qualités. Épiméthée commence par les animaux : aux uns il donne des cornes pour se défendre, à d'autres la capacité d'aller vite pour s'enfuir devant le danger, de manière à ce que nulle espèce ne disparaisse. Il leur donne une fourrure pour se protéger etc. Or lorsqu'il arrive à l'homme il n'a plus rien à lui donner. L'homme est désarmé et voué à la mort.
Prométhée, pour sauvegarder l'homme décide de voler le feu, symbole de l'intelligence technique, à Héphaïstos et Athéna. Ce qu'il donne par là à l'homme ce sont les arts et les techniques. On sait quelle sera la punition de Prométhée pour avoir volé le feu : son foi sera rongé éternellement par un aigle.
Or les arts techniques ont été distribués inégalement : on distribue le travail. L'un sera potier, l'autre charpentier, le troisième médecin etc. Or ce qui se passe c'est que les hommes s'entre-déchirent. Alors Zeus envoie Hermès leur donner les arts politiques. La question se pose de savoir si l'on va distribuer le don politique à tous les individus ou à quelques spécialistes comme on l'a fait pour la technique. S'il ne le donne qu'à quelques-uns la division demeure. Pour qu'il y ait cité il faut que tous les individus aient quelque chose en commun. Pour Protagoras ce quelque chose sera l'art politique: Hermès donne à tous les arts politiques. Et Protagoras explique le mythe : selon les sophistes chacun est apte à savoir ce qu'est la justice, chacun est compétent politiquement, chacun peut du reste discuter de la politique car pour Protagoras il n'est pas de vérité politique. Ce qui est vrai c'est ce qui s'impose et est donné. Le mythe d'Epiméthée et de Prométhée conduit à la démocratie: chacun a son mot à dire en politique.

2) La politique platonicienne

Qui est Platon ? (427-347 av. J. C).Par sa naissance et son éducation, Platon est du parti des aristocrates.
Tout destinait Platon à une carrière politique. Il est issu d'une famille noble. Du côté paternel, il descendrait de Codrus, dernier roi d'Athènes. Sa mère était la petite fille de Critias l'ancien et la cousine germaine du Critias qui fit partie des Trente tyrans que Spartes imposa à Athènes vers 404 avant J.C. et qui furent, du reste, promptement démis du pouvoir. La mère de Platon était sœur de Charmide auquel ce même gouvernement des Trente confia des fonctions importantes.
Ainsi, Platon a tout pour faire une carrière politique: il a une famille illustre, une parenté puissante.
Il reçut l'éducation de tout jeune athénien: l'apprentissage de la poésie (Homère), de la musique (flûte, cithare), de la gymnastique. Mais aussi celle que lui offrait son milieu et qui lui permit d'acquérir une formation intellectuelle diversifiée et solide, de se familiariser avec les mathématiques, l'astronomie, les conceptions physiques des philosophes présocratiques. Il semble qu'il fut initié à la philosophie d'Héraclite par Cratyle.
Deux événements feront renoncer Platon à la politique:

a) la critique de la démocratie

La démocratie est fondamentalement démagogique. C'est la domination de l'opinion c'est-à-dire du langage des préjugés, de l'incompétence.

Pour Platon, la politique est un savoir. Qu'est-ce qu'être compétent politiquement ? c'est savoir et surtout posséder le savoir de la fin (fin=but) Celui là est compétent qui connaît la fin spécifique de ce qu'il doit faire. Or quelle est la fin de la politique ? La fin de la politique est de nous faire vivre dans un monde de raison, c'est-à-dire de lutter contre la violence

Pour Platon est compétent celui qui connaît la fin d'une action. Quand les fins sont différentes, les compétences sont différentes. Or il est toujours possible de faire croire qu'on sait (démagogie). Il y a deux manières de gouverner des ignorants : on peut le faire en toute honnêteté dans l'intérêt de tous mais on peut aussi utiliser la démagogie, flatter les passions. Dans le Gorgias, Platon imagine un médecin assigné en justice par un cuisinier devant un tribunal d'enfants. Le cuisinier va dire « c'est moi qui vous donne la santé » et mitonner de bons petits plats. Le médecin va dire « non c'est moi » et distribuer des potions amères. Que vont décider les enfants (c'est-à-dire les ignorants) ? Dans le contexte antique, le démagogue, le flatteur, le manipulateur d'opinion est le sophiste. Aujourd'hui ce sont les medias, TF1 etc. Actualité de ces analyses. Les démagogues sont de toutes les époques.

La connaissance des fins est inégale. Chacun a connaissance de certaines fins. Le cordonnier poursuit une fin : fabriquer des chaussures. Mais il ne lui viendrait pas à l'idée de conduire une bataille. Inversement le stratège ignore ce qu'est la fabrication des chaussures. Il y a donc différence des savoirs parce qu'il y a différence de fonctions. Or la démocratie est ce lieu où tout le monde se croit compétent pour parler de tout. C'est là l'illusion. Chacun dit « je pense que ». règne du mot incontrôlé, de la parole instable (cf. statues de Dédale - l'opinion est comme ces statues qu'on néglige de fixer. Seules les sciences sont stables) Si la politique est un savoir, la démocratie est un système absurde. Il est absurde de voter au sujet de la vérité. C'est comme si on soumettait au vote un problème de mathématique ou de physique. La majorité peut se tromper (cf. Galilée. On peut avoir raison contre tous). Il est des circonstances où un individu peut avoir raison contre tous. La vérité ne se décide pas au suffrage universel.

La démocratie est donc le règne du désordre. Seul le savoir permet l'ordre. Il n'est rien de pire que d'être gouverné par des ignorants. Chacun se dit compétent en politique. Le stratège dit « moi je sais ce qu'est la guerre et je peux défendre le pays » Chacun de ceux qui réussissent dans leur travail diront être compétent. Platon ne serait pas étonné de voir certains journalistes demander leur opinion politique à des écrivains ou des artistes comme s'ils en savaient plus que les autres sous prétexte qu'ils sont compétents dans leur discipline. Quand chacun dit « c'est moi qui sais », celui qui triomphe est seulement le plus habile, l'orateur qui sait retourner une foule. La voie est libre pour la tyrannie. Au fond Platon craint moins la démocratie que ce à quoi elle mène : la tyrannie.

b) La justice

L'erreur est de croire que la compétence politique porte sur le général. Toute compétence est spécialisée. La famille poursuit une fin spécifique, l'entreprise une autre mais la cité aussi poursuit sa fin.
La fin de l'Etat est la justice.
Qui sait ce qu'est la justice ? C'est le philosophe. A l'époque pas de différence entre philosophie et science. Platon préconise donc le gouvernement des savants.
Qu'est-ce que la justice ? la cité juste, la cité idéale est la cité harmonieuse. La cité juste est la cité où chacun est à sa place (d'ailleurs être juste c'est être à sa place) Caractère organique de la cité platoniciennes : solidarité des fonctions, dépendance réciproque des couches sociales.
Organisation tripartite :

Corps social Fonction Équivalent dans l'âme Vertu (les vertus cardinales)
Les trois réunies = justice
Philosophes Rois (gouvernent la cité) Raison (noùs) Sagesse
Guerriers Défendent (sont subordonnés) Courage (thymos) Courage
Artisans, esclaves… Travaillent Appétits (epithumia) Tempérance

La bonne cité est celle où les philosophes commandent, où les guerriers défendent et où les artisans travaillent..
Les qualités du philosophe roi : le philosophe est compétent parce qu'il sait (rien n'est pire que d'être gouverné par des ignorants) et aussi parce qu'il déteste le pouvoir. Le savoir rend en effet heureux. Celui qui sait n'a besoin de rien d'autre. il faut donc forcer le philosophe à gouverner car il ne le désire pas. C'est ce qui le rend compétent car celui qui n'aime pas le pouvoir ne risque pas d'en abuser. Se méfier de ceux qui aiment le pouvoir car ils en abusent (à méditer au plan électif - ceux qui se présentent sont en général ceux qui aiment le pouvoir et qui sont donc potentiellement porté à en abuser)
Les qualités qui rendent le philosophe compétent viendront aussi de son éducation. Dans La République Platon explique ce que sera l'éducation des gardiens (philosophes rois) Ils seront choisis dans l'élite intellectuelle, morale et physique. Instruction poussée. La réforme politique nécessite une réforme éducative.

À cette cité juste correspondent terme à terme les caractéristiques de l'âme juste (pas de séparation entre la morale et la politique pour les philosophes antiques) L'âme juste est aussi l'âme harmonieuse : la raison y domine sur le courage et les appétits. L'homme juste n'existe vraiment que dans la cité juste. Dans la timocratie l'âme est le plus souvent sous l'empire du courage et dans la démocratie y dominent les passions.

ANNEXE 1

« Les gens de bien ne veulent gouverner ni pour les richesses ni pour les honneurs : ils ne veulent pas être traités de mercenaires, en exigeant ouvertement le salaire de leur fonction, ni de voleurs en tirant eux-mêmes de leur charge des profits secrets. Ils ne sont pas non plus attirés par les honneurs ; car ils ne sont pas ambitieux. Il faut donc qu'une punition les contraigne à prendre part aux affaires ; aussi, risque-t-on, à prendre volontairement le pouvoir, sans attendre la nécessité, d'encourir quelque honte. Or la punition la plus grave, c'est d'être gouverné par un plus méchant que soi, quand on se refuse à gouverner soi-même : c'est par crainte de cette punition, ce me semble, que les honnêtes gens qu'on voit au pouvoir se chargent du gouvernement. Alors ils se mêlent aux affaires, non pour leur intérêt ni pour leur plaisir, mais par nécessité et parce qu'ils ne peuvent les confier à des hommes plus dignes ou du moins aussi dignes qu'eux-mêmes. Supposez un État composé de gens de bien : on y ferait sans doute des brigues pour échapper au pouvoir, comme on en fait à présent pour le saisir, et l'on y verrait bien que réellement le véritable gouvernant n'est point fait pour chercher son propre intérêt, mais celui du sujet gouverné ; et tout homme sensé préférerait être l'obligé d'un autre que de se donner la peine d'obliger autrui. »

Platon

« (...) la législation et la moralité étaient corrompues à tel point que moi, d'abord plein d'ardeur pour travailler au bien public, considérant cette situation et voyant comment tout marchait à la dérive, je finis par en être étourdi. Je ne cessais pourtant d'épier les signes possibles d'une amélioration dans ces événements et spécialement dans le régime politique, mais j'attendais toujours, pour agir, le bon moment. Finalement je compris que tous les États actuels sont mal gouvernés, car leur législation est à peu près incurable sans d'énergiques préparatifs joints à d'heureuses circonstances. Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie et à proclamer que, à sa lumière seule, on peut reconnaître la justice dans la vie publique et dans la vie privée. Donc, les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n'arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement. »

Platon (Lettre VII, aux parents et aux amis de Dion )

c) L'utopie platonicienne

Platon ne dit pas comment passer de la cité idéale à sa réalisation. Tout ce que nous pouvons dire est qu'elle est compatible avec la nature humaine.
Il faut qu'un roi devienne philosophe ou qu'un philosophe devienne roi.

Il faut attendre. Peut-être un jour les hommes ne sauront-ils plus que faire et confieront-ils le gouvernement à celui qui sait. Nous attendons depuis…24 siècles ! Platon n'abandonnera jamais l'espoir. C'est le sens de l'Académie, première école de philosophie de l'histoire. Elle fut fondée par Platon dans un but purement politique : former des jeunes gens qui un jour peut-être gouverneront.

En attendant au mieux gouverne le savoir faire. Ignorance de la fin. Actualité de Platon. Critique de la technocratie. La technocratie est l'oubli de la fin au service du savoir faire efficace. Elle sait mais ne sait pas pourquoi elle sait. La fin est le PIB mais le PIB pourquoi ? Platon prend encore l'image du bateau : il est parti, il n'est pas ivre mais il ne sait pas vers quel port il va. Bateau qui erre sans chercher de port mais qui est bien conduit. Le capitaine est efficace . le bateau ne coulera pas mais il erre. Le savoir est perdu et la politique n'est plus qu'un rouage. La machine marche à l'aveugle. Voir la dégénérescence de l'Etat dans la République qui va de l'aristocratie à la timocratie (excès des honneurs) puis à l'oligarchie (ceux qui gouvernent s'enrichissent) puis à la démocratie (révolte de ceux qui n'ont rien) et s'achève dans la tyrannie.

Nous arrêterons là notre exposé même si la politique platonicienne pose beaucoup d'autres questions (celle du mensonge politique, de la censure artistique qu'il défend, de la communauté des biens, des femmes et des enfants pour les dirigeants et même de l'eugénisme - on a parfois vu dans Platon un des théoriciens du totalitarisme)
Pour en savoir plus :
La République
Le politique
Les Lois

Questions de réflexion :

III La politique d'Aristote

Rappel rapide de qui fut Aristote (384-322 av. J. C.) Aristote est macédonien. Fut élève à l'Académie puis s'en sépara. Contemporain de la constitution de l'empire macédonien, des conquêtes de Philippe de Macédoine. En 343 ou 342, Aristote est choisi par Philippe de Macédoine comme précepteur pour son fils Alexandre (le futur Alexandre le grand) âgé de 13 ans. . Il enseigne à son royal élève la poésie et la politique. Le préceptorat d'Aristote se termine avec la nomination d'Alexandre comme régent du royaume, en 340. Aristote fondera une école rivale de l'Académie, le lycée, qui deviendra un centre érudit. Esprit encyclopédique. La question politique est une petite partie de son œuvre.

« L'homme est un animal politique » Platon pensait que l'homme avait besoin de l'Etat à cause de sa faiblesse. Il doit s'associer parce qu'il est limité. Aristote pense au contraire que l'homme a un penchant naturel à s'associer. L'homme est fait pour vivre en société et dans une société politique. Seul un Dieu où une bête peuvent vivre seul (et l'homme n'est ni l'un ni l'autre). Encore certains animaux vivent-ils en société (les abeilles) ou en troupeaux (les moutons) mais aucun n'est animal politique. La nature ne fait rien en vain. Or elle nous a donné le langage, preuve de notre destination à une société de type politique c'est-à-dire où on discute de l'utile et du nuisible, du juste et de l'injuste. La société des hommes n'est pas celle des abeilles. La reine des abeilles ne règne pas. Pas de révolution ni même de lois. Chacun a sa tâche prescrit par l'instinct et ne peut en discuter. La société des hommes, elle, suppose des lois et donc la discussion politique, l'établissement des lois.
Dire que l'homme est un animal politique c'est dire que la politique a une valeur absolue. L'homme est voué à la politique non au sens où il y est contraint par la force des choses mais au sens où telle est sa vocation, sa complète réalisation.

ANNEXE 2

« La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (...) l'homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l'humanité. Il est comparable à l'homme traité ignominieusement par Homère de:

sans famille, sans loi, sans foyer,

car en même temps que naturellement apatride, il est aussi un brandon de discorde, et on peut le comparer à une pièce isolée au jeu de trictrac.
Mais que l'homme soit un animal politique à un plus haut degré qu'une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l'état grégaire, cela est évident. La nature, en effet, selon nous, ne fait rien en vain; et l'homme, seul de tous les animaux, possède la parole. Or, tandis que la voix ne sert qu'à indiquer la joie et la peine, et appartient pour ce motif aux autres animaux également (car leur nature va jusqu'à éprouver les sensations de plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours sert à exprimer l'utile et le nuisible, et, par suite aussi, le juste et l'injuste: car c'est le caractère propre de l'homme par rapport aux autres animaux, d'être seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité. »

ARISTOTE (La politique)

Importance de la praxis et dévalorisation de la poiésis. Praxis : action politique. Action du citoyen quand il discute à l'assemblée. L'activité est noble. Poiésis : activité technique. Elle est servile. Dévalorisation de ce qui est utile, valorisation de l'activité théorique désintéressée "La noblesse des mathématiques est de ne servir à rien". Conception typiquement idéologique. L'homme libre fait des math ou de la philosophie mais l'esclave travaille. En dévalorisant l'activité de travail on justifie l'esclavage.

Pour Aristote, l'esclavage n'est pas contre nature. Il existe une inégalité naturelle. Certains hommes naissent capables de se gouverner, de prendre des initiatives et donc il est logique qu'ils soient des citoyens, des hommes libres, des maîtres. Mais d'autres naissent incapables de se conduire seuls. Il est dangereux de les laisser livrés à eux mêmes. Il est donc utile à l'esclave d'être esclave, c'est pour son bien. Inégalité naturelle justifie l'esclavage.
Remarques

  1. L'argument sera réfuté par Rousseau. Aristote confond la cause et la conséquence. Il ne voit pas que l'incapacité de l'esclave à se conduire seul vient de sa condition sociale (on ne lui laisse jamais prendre d'initiative) et non de sa nature.
  2. Aristote entrevoit le caractère idéologique de l'esclavage. Il existe un texte assez extraordinaire ( cf. ci-dessous Annexe 3) où il explique que le jour où les navettes (celles qui servent à tisser) se déplaceront seules et les cithares joueront toutes seules on aura plus besoin d'esclave. Or il est exact que l'avènement du machinisme aboutira à l'abolissement de l'esclavage (en 1848 en France, en pleine révolution industrielle)

ANNEXE 3

« De même que, dans un art bien défini, l'artisan sera nécessairement en possession des instruments propres à l'accomplissement de l'œuvre qu'il se propose, ainsi en est-il pour celui qui est à la tête d'une famille et les instruments dont il dispose sont, les uns inanimés et les autres animés (par exemple pour le pilote, la barre est un être inanimé, et le timonier un être animé : car dans les divers métiers, celui qui aide rentre dans le genre instrument). De même également, la chose dont on est propriétaire est un instrument en vue d'assurer la vie, et la propriété dans son ensemble, une multiplicité d'instruments ; l'esclave lui-même est une sorte de propriété animée, et tout homme au service d'autrui est comme un instrument qui tient lieu d'instruments, Si, en effet, chaque instrument était capable, sur une simple injonction, ou même pressentant ce qu'on va lui demander, d'accomplir le travail qui lui est propre, comme on le raconte des statues de Dédale ou des trépieds d'Héphaïstos, lesquels, dit le poète, « se rendaient d'eux-mêmes à l'assemblée des dieux », si, de la même manière, les navettes tissaient d'elles-mêmes, et les plectres (1) pinçaient tout seuls la cithare, alors, ni les chefs d'artisans n'auraient besoin d'ouvriers, ni les maîtres d'esclaves. »

ARISTOTE (La politique)

(1) Plectre: lamelle de bois ou d'ivoire qui sert à toucher les cordes de l'instrument; on dit aujourd'hui un médiator.

Contrairement à Platon, Aristote ne conçoit pas l'Etat idéal mais plutôt les conditions de possibilité de l'Etat. Réalisme d'Aristote
« On doit en effet examiner non seulement le régime politique le meilleur mais encore celui qui est simplement possible »
L'autorité politique se distingue des autres formes d'autorité (père/enfant, maître /esclave) en ce qu'elle s'exerce sur des hommes libres, des citoyens. Celui qui gouverne doit apprendre en pratiquant lui-même l'obéissance car ce sont les lois qui doivent faire autorité, des lois justes.
Le but de l'État n'est pas seulement d'assurer la survie mais de vivre dans une communauté qui doit s'entendre sur l'utile, le bon et le juste. Le but de l'Etat est l'accomplissement éthique des citoyens. Or cet accomplissement consiste en une vie heureuse des hommes (eudémonisme d'Aristote, le but est le bonheur qui pour tout être réside dans la réalisation de sa nature). Mais il n'est pas de bonheur sans vertu. Le citoyen ne doit pas mener une vie mercantile (sans noblesse) ni agricole (la vertu suppose le loisir). Si l'homme et un animal politique, la politique n'est sa fin que s'il est vertueux et c'est à la vertu du gouvernement qu'on juge la valeur d'un régime. Le citoyen se définit par son droit au suffrage et sa participation à l'exercice de la puissance publique.

L'Etat se forme à partir d'une suite de communautés qui va en s'agrandissant :

Seule la polis réalise l'autarcie

Existence de trois formes de communautés justes avec leur forme pervertie.

Gouvernement Forme juste Forme pervertie
Un seul homme Royauté Tyrannie (le plus mauvais régime)
Un petit nombre (une minorité) Aristocratie Oligarchie
La majorité République (politeia) Démocratie (moins mauvaise)

Les gouvernements sont nécessairement bons quand ils visent l'intérêt commun. Le critère de distinction des bons et des mauvais régimes n'est pas le nombre. Tant qu'on vise le bien être général, tout va bien. Les formes perverties sont celles où on ne poursuit que l'intérêt de ceux qui commandent. Pas de préférence entre les trois formes justes mais le régime le plus stable et le plus réalisable reste la politeia. La République est en fait un mélange parfait d'oligarchie et de démocratie sans que paraissent l'une et l'autre. cf. Ethique à Nicomaque : « La communauté politique la meilleure est celle que constitue la classe moyenne (…) son apport fait pencher la balance et empêche l'apparition des excès contraires »
Ce point mérite d'être développé. On a dit que le bon gouvernement se juge à la vertu de son gouvernement. Or, dans une politeia tout le monde gouverne. Elle suppose donc un peuple vertueux c'est-à-dire un peuple qui n'existe pas dans la pratique. Le peuple n'étant pas vertueux conduit à une malversation politique, la demokratia. La meilleure forme politique est donc bien la politeia mais son impossibilité fait qu'elle ne peut exister que sous la forme pervertie de demokratia, de sorte que monarchie et aristocratie la surpassent.

Aristote pense que le peuple remplit parfaitement les critères d'aptitude politique pour trois raisons :

Mais, répétons-le, en aucun cas Aristote n'affirme la vertu du peuple. Efficace mais pas meilleur. C'est son intérêt propre qu'il recherche. Tout dépend de la qualité de la multitude et « certaines foules sont des brutes ».

La démocratie évite deux écueils qui font sombrer les autres régimes : la sédition et la corruption. Absence de faiblesse conditionnelle : le peuple n'est pas incorruptible mais moins accessible à la corruption. Une sédition des riches n'est pas non plus impossible. La menace par excellence est la sédition. L'insurrection est le danger qu'il faut éviter à tout prix. Or ce risque est moindre en démocratie que dans les autres régimes parce qu'il y a plus de pauvres que de riches et donc le pouvoir de la masse des indigents fait plus de satisfaits que d'insatisfaits.

En toute rigueur, le pire des régimes est la tyrannie et le meilleur des régimes est la monarchie. Mais tout régime risque de dégénérer et ses défauts seront alors proportion de ses qualités. Ainsi si la monarchie dégénère, comme ses qualités sont maximales, les défauts de la forme dégénérée (tyrannie) seront les pires. La politeia parce qu'elle est le moins bon des bons régimes dégénère en démocratie, moins mauvais des mauvais régimes. Et Aristote de dire qu'il faut donc opter pour la démocratie. Pour prendre une métaphore médicale, la monarchie c'est la meilleure santé possible au risque du choléra. En comparaison la démocratie est un simple rhume et peut-être vaut-il mieux garder son rhume que prendre le risque du choléra ! La démocratie est donc le régime de la prudence.
Il n'en reste pas moins vrai que la forme politique la meilleure est celle qui convient au pays et aux besoins des citoyens (variables)

Défense de la famille, de la propriété privée (rejette la communauté des biens platonicienne) Voie moyenne : « que la propriété soit privée mais que l'usage en soit commun » Inégalité maître / esclave, homme / femme mais égalité des hommes libres

La justice et l'équité. La justice est générale mais l'équité suppose de s'adapter au cas particulier. C'est ce qui rend d'ailleurs indispensable des gouvernants. Par delà la loi il y a des décisions à prendre parce qu'il y a toujours des exceptions que la loi n'a pas prévues. Sera repris par la scolastique et Saint thomas d'Aquin. Exemple de la loi qui oblige à restituer son bien au propriétaire. Doit-on restituer son épée à l'homme devenu fou. Si la loi oblige de fermer les portes de la ville contre les ennemis assiégeant, faut-il ne pas ouvrir à des citoyens dont le salut de la ville dépend et qui sont à l'extérieur ?
Importance de l'aristotélisme : dominera le Moyen Age et la Renaissance.

Pour en savoir plus :
La politique
Éthique à Nicomaque

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